— Je suis desolee. Toujours est-il que ni elle ni toi n’auriez pu me causer le moindre desagrement. Si je l’ai detruite, c’est pour avoir insolemment cru la chose possible et ce faisant, cela m’a coute ta loyaute. Je trouve ce prix bien lourd a payer. Je veux te faire revenir, je crains de ne pouvoir et pourtant je voudrais que tu restes, ne serait-ce que pour donner a l’endroit une certaine classe.

— Il en a effectivement besoin, mais je ne peux pas, meme si j’en avais.

— Tu te sous-estimes. Ce que tu m’as demande est impossible. Tu n’es pas la premiere Sorciere que j’aie nommee a ce poste durant mes trois millions d’annees. Il n’y a qu’une facon de le quitter et c’est les pieds devant. Personne n’y a jamais survecu et personne n’y survivra. Mais je peux faire une chose pour toi : je peux la faire revenir. »

Cirocco enfouit la tete dans ses mains et demeura silencieuse un long moment. Puis elle bougea, serrant les bras sous son poncho informe et se balancant lentement d’avant en arriere.

« Voila bien la seule chose que je craignais », dit-elle enfin, a personne en particulier.

« Je puis la recreer exactement telle qu’elle etait, poursuivit Gaia. Tu n’ignores pas que je possede des echantillons tissulaires de vous deux. Lors de votre examen initial, puis au cours des visites pour le traitement d’immortalite, j’enregistre tous vos souvenirs. Les siens sont parfaitement a jour. Je peux regenerer son corps, puis l’emplir avec son essence. Elle sera elle-meme, je le jure. Il sera impossible de trouver la moindre difference. Et c’est ce que je ferai avec toi si, malgre tout, il est necessaire de te tuer. Je peux te la rendre, avec un unique changement et ce sera la suppression de son desir de me detruire. Rien que cela et rien autre. »

Elle attendit et Cirocco ne dit rien.

« Tres bien, reprit Gaia avec un geste impatient de la main. Je ne changerai meme pas ca. Elle sera pareille a elle-meme a tout point de vue. Je peux difficilement faire mieux. »

Cirocco avait fixe un point situe legerement au-dessus de la tete de Gaia. A present, elle baissait les yeux et s’agitait sur son siege.

« Voila bien la seule chose que je craignais, repeta-t-elle. J’avais meme songe a ne pas venir afin de ne pas avoir a entendre pareille proposition et etre tentee. Parce qu’elle est tentante. Ce serait un moyen tellement agreable de se sentir mieux au sujet de tellement de choses et de se trouver une excuse pour continuer a vivre. Et puis, je me suis demande ce que Gaby en aurait pense et j’ai compris alors quelle infecte, puante et diabolique machination ce pouvait etre. Elle aurait ete horrifiee a l’idee que lui survive une petite poupee Gaby creee par vous et issue de votre propre chair corrompue. Elle aurait voulu que je la tue immediatement. Et plus j’y pensais, plus je savais que chaque fois que je l’aurais vue, chaque fois je me serais un peu plus devoree les entrailles jusqu’a ce qu’il n’en reste rien. »

Elle soupira, leva les yeux vers le ciel, puis les abaissa sur Gaia.

« C’est donc votre derniere offre.

— Effectivement. Mais ne…»

Les explosions se succederent en rafales. Cinq trous rapproches etaient apparus sur le devant du poncho de Cirocco et sa lourde chaise avait recule de deux metres avant qu’elle n’ait fini de tirer. De l’arriere du crane de Gaia jaillit un flot de sang. Trois balles au moins avaient penetre au niveau de la poitrine. Elle fut projetee en arriere et son corps boula mollement sur une trentaine de metres avant de s’immobiliser.

Cirocco se leva, ignorant le pandemonium, et marcha vers elle. Elle sortit le colt 11,43 automatique de sous son vetement, visa la tete de Gaia et tira les trois dernieres balles. Agissant avec promptitude au milieu d’un silence grandissant, elle sortit un bidon metallique, l’ouvrit et deversa sur le cadavre un liquide incolore. Puis elle fit tomber une allumette et se recula tandis que les flammes jaillissaient et commencaient a ramper sur le tapis.

« Et voila pour les gestes symboliques », dit-elle avant de se retourner vers la foule. De son arme, elle leur indiqua la cathedrale la plus proche.

« Votre seule chance est de fuir par le rayon. Une fois arrives au bord, sautez ! Vous serez recuperes par des anges qui vous deposeront en surete a Hyperion. » Ayant dit cela, elle les oublia totalement. Qu’ils vivent ou qu’ils meurent, voila qui etait sans consequence.

Elle haletait tandis qu’elle ejectait le chargeur vide et en tirait un neuf d’une poche secrete. Elle l’insera, ramena le tiroir, le laissa revenir puis s’eloigna du brasier grandissant.

Lorsqu’elle fut assez loin pour y voir clairement, elle se campa sur ses pieds largement ecartes et leva le pistolet au-dessus de sa tete. Visant presque a la verticale, elle tira sur le ruban rouge. Elle espaca ses coups, prenant tout son temps et ne cessa de tirer que lorsque le chargeur fut vide.

Elle en sortit alors un autre et l’insera dans le magasin.

44. Eclairs et Tonnerre

Ce fut au milieu de son quatrieme chargeur que la sensation commenca a la troubler. Au debut, elle ne parvint pas a mettre le doigt dessus. Elle hocha la tete, visa et tira une nouvelle balle. Elle deglutit, la bouche seche. Il etait parfaitement possible que ce ne fut encore qu’un « geste » ; elle ne pouvait le savoir. Meme si elle touchait au but, ses balles etaient bien petites et sans doute inoffensives.

Malgre tout, elle tira encore une fois et s’appretait a recommencer lorsque la sensation revint, avec une intensite accrue.

Quelque chose lui disait de detaler. Qu’une telle sensation put lui paraitre deplacee dans le cas present, l’aurait en temps normal peut-etre amusee, mais ce n’etait pas le cas pour l’instant. Elle tira deux balles encore et le tiroir s’ouvrit sur la chambre vide. Elle degagea le chargeur du magasin et il tomba sur le sol a cote d’elle avec fracas. Elle deglutit a nouveau. La sensation revenait, plus forte que jamais. Inexplicablement, les larmes lui vinrent aux yeux et roulerent sur ses joues. Bon sang, elle attendait la mort et ca prenait plus longtemps que prevu.

Mais elle comprenait a present ce qu’elle ressentait et ses poils minuscules se herisserent sur ses bras et la base de son cou. Pour une raison quelconque, elle etait sure que Gaby lui disait de partir.

C’etait encore un truc de Gaia. Elle fit quelques pas incertains et se sentit tout de suite mieux. Mais elle s’immobilisa et la sensation revint.

Pourquoi etait-elle decidee a mourir ? Cela n’avait pas fait partie de son plan initial – sinon qu’elle s’etait effectivement preparee a mourir s’il le fallait.

Elle avait eu un certain nombre de choses a accomplir. Elle les avait accomplies et son intention premiere avait ete de deguerpir ensuite. Etait-ce donc la le truc ? Est-ce que Gaia lui faisait entendre la voix de Gaby pour l’emplir de confusion en attendant que sa vengeance se manifeste ?

Mais brusquement, elle eut confiance : elle se mit en marche vers les cathedrales.

L’air parut se dechirer lorsque la foudre vint s’ecraser a l’endroit precis ou elle s’etait tenue. Elle courut et la colere de Gaia s’abattit de toute part. La-haut, le ruban rouge etait plus brillant que jamais.

Saute !

Elle obeit, coupant brusquement sur la gauche, et un nouvel eclair frappa juste ou elle s’etait trouvee.

Il etait possible d’atteindre une vitesse terrifiante dans la faible gravite du moyeu, mais il y fallait le temps : les pieds n’avaient pas un appui suffisant pour permettre une acceleration rapide. Elle devait commencer par petites foulees saccadees, les allongeant graduellement jusqu’a ce que ses pieds ne retombent au sol qu’apres des enjambees de plusieurs metres. Et une fois la vitesse acquise, elle se maintenait. Elle bondit a grands pas, touchant rarement le sol, tandis que la foudre tombait autour d’elle.

Le plus difficile etait de changer de direction. Lorsqu’elle jugea qu’il lui fallait devier sur la droite, il ne fut pas facile de traduire en actes cette envie mais elle y parvint sans pouvoir dire si cette fois-ci elle avait ete bien inspiree : la foudre ne tomba pas a l’endroit ou elle etait passee.

Le sol tremblait. Une partie des cathedrales touchees par les eclairs repetes et maintenant attaquees par la vase, commencait a tomber en morceaux. Des gargouilles de pierre s’ecraserent autour d’elle au moment ou elle depassait une partie des fuyards. Des tours chancelaient au ralenti, se fragmentaient et de monstrueux blocs de maconnerie se mirent a flotter inexorablement vers le sol. Bien que ne pesant que quelques kilos, ils avaient une masse suffisante pour tout ecraser sur leur passage.

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