mouvement de rotation. En fait, vue de l’exterieur, sa trajectoire demeurait rectiligne tandis que la roue continuait de tourner sous elle. Son acceleration radiale serait d’abord faible. Et ce n’est qu’apres avoir atteint une velocite transversale considerable que sa vitesse de chute commencerait a s’accroitre notablement ; a ce moment elle percevrait le phenomene comme un vent relatif de direction opposee a la rotation.

Elle regarda rapidement autour d’elle. Le vent deja etait fort. Elle pouvait distinguer la cime des arbres qui croissaient sur l’un des murs verticaux : cette foret de Gaia etagee horizontalement. Si Gaia avait tourne dans le sens inverse, il ne lui aurait fallu que quelques minutes, voire quelques secondes, pour s’ecraser. Puisque sa chute avait debute pres d’une paroi, il lui restait du temps.

Elle pouvait effectuer quelques calculs simples. Son ignorance de la densite exacte de l’air dans Gaia l’handicapait toutefois. Elle avait lu que la pression atmospherique etait elevee, tournant autour de deux bars au niveau du sol. Mais quel etait son taux de decroissance a mesure que l’on approchait du moyeu ? Puisqu’il restait toujours respirable, elle pouvait l’estimer a une atmosphere a hauteur du moyeu.

Se perdre dans les calculs mathematiques etait curieusement reconfortant. Ca ne la genait pas de recommencer de zero, meme si elle etait frappee par la futilite d’un tel projet. Son acharnement provenait du desir de connaitre le moment precis de sa mort. Il etait important de mourir convenablement. Elle agrippa la sangle du sac qui contenait Nasu et recommenca ses calculs.

Elle parvint a un resultat qui ne lui plaisait pas, recommenca encore, et encore une troisieme fois car ses chiffres ne correspondaient pas. En faisant une moyenne elle parvint au chiffre de cinquante-neuf minutes avant l’impact. En prime, elle avait la vitesse d’impact : trois cents kilometres a l’heure.

Elle tombait le dos au vent. Puisqu’elle approchait a la fois de la couronne et de la paroi, c’est donc que son corps etait legerement incline. Le moyeu n’etait pas exactement sous ses pieds. La paroi qui s’eloignait, pas tout a fait verticale. Elle regarda autour d’elle.

C’etait a couper le souffle. Dommage qu’elle ne fut guere en position de l’apprecier.

Lachee de son point de depart, l’Arche n’aurait ete qu’une boite de conserve degringolant une gaine de vide-ordures. Le Rayon de Rhea etait un tube creux, evase en son extremite inferieure, et entierement incruste d’arbres qui auraient ridiculise les plus gros sequoias. Ces arbres s’enracinaient dans la paroi et poussaient horizontalement. Elle etait desormais incapable de discerner meme les plus gros d’entre eux : les parois internes n’etaient plus tout autour d’elle qu’un tapis de vert sombre uniforme. L’interieur etait eclaire par deux rangees verticales d’ecoutilles, si du moins l’on peut employer ce terme pour des ouvertures d’un diametre d’au moins un kilometre.

Elle se tordit le cou pour regarder dans le sens du vent. Nox semblait plus proche. Et il y avait autre chose, qui flottait au seuil de sa vision.

C’etaient les cables verticaux de Rhea. Ancres a des iles en pleine Mer de Minuit, ils jaillissaient tout droit avant de converger pour se rejoindre a proximite du bas du rayon et se nouer en une monumentale queue de cheval.

Il fallait qu’elle voie. En se tordant elle parvint a se stabiliser face au vent et ouvrit les yeux. Les cables etaient droit devant elle et s’approchaient de seconde en seconde.

« Oh, Grande Mere, ecoute-moi maintenant. » Elle marmonna la premiere incantation mortuaire, incapable de detourner le regard de ce qui etait a present un mur sombre en train de se ruer vers elle. Le cable semblait tourner comme une enseigne de coiffeur, consequence de sa chute rapide le long des brins entrelaces.

Il lui fallut une minute entiere pour depasser le cable. Lorsqu’elle fut au plus pres, elle garda le bras droit serre le long du corps : elle avait la nette impression de pouvoir le toucher rien qu’en tendant la main alors qu’elle savait que la distance etait considerable. Une fois passee, elle se tourna une nouvelle fois pour voir la chose s’eloigner au-dessus d’elle.

* * *

Une heure, ce n’est apparemment pas si long que ca. On devait certainement pouvoir rester tout ce temps dans un etat de terreur absolue. Elle commenca a se demander s’il n’y avait pas en elle quelque chose qui ne tournait pas rond, car elle n’avait plus peur du tout. Avant que l’approche des cables ne reveille sa terreur, elle etait parvenue a une sorte de paix. Et maintenant elle sentait cet etat l’envahir a nouveau, avec plaisir. Il est une douce quietude qui parfois accompagne l’evidence que la mort est proche, qu’elle sera rapide et sans douleur et qu’il ne sert a rien de transpirer et de brasser l’air en maudissant le destin.

* * *

Ca ne pouvait durer eternellement. Pourquoi pas seulement vingt minutes de plus ?

Desormais, elle oscillait entre le fatalisme et la frayeur. Savoir qu’il n’y avait rien a faire ne lui suffisait plus. Elle voulait vivre et ne le pourrait pas et nul mot n’aurait pu exprimer sa detresse devant ce fait.

Sa religion n’etait pas de celles ou l’on croit a la vertu des prieres. Au Covent, on ne priait pas a proprement parler. On ne demandait rien. Il etait des choses qu’on pouvait exiger, des positions a acquerir dans la vie eternelle mais grosso modo on etait livre a soi-meme. La Grande Mere ne s’immiscerait jamais dans la destinee de quiconque et il ne serait jamais venu a l’idee de Robin de le Lui demander. Ce qu’elle souhaitait en fait, c’est qu’il existat quelque chose, une force quelconque dans cette immensite vers quoi se tourner pour avoir de l’aide.

Et soudain, elle se demanda si ce n’etait pas la ce que Gaia voulait. Pouvait-elle l’entendre, ici-bas, a quelques minutes a peine de son annihilation ? Passe le premier choc, Robin n’etait guere surprise d’un comportement aussi terrifiant : cela collait, semblait-il, assez bien avec les inepties debitees par le personnage. Mais a present, elle se demandait pourquoi, et la seule raison qui lui vint fut que Gaia desirait la terroriser pour qu’elle la reconnaisse comme son Seigneur.

Si c’etait vrai, alors peut-etre Gaia pouvait-elle faire quelque chose. Robin ouvrit la bouche et aucun son n’en sortit. Elle essaya encore et hurla. Par quelque alchimie spirituelle, sa terreur s’etait muee en une colere si intense qu’elle la faisait vibrer plus encore que le vent.

« Jamais ! hurla-t-elle. Jamais, jamais, jamais ! Espece de cancer puant ! d’abomination ! de perversion repugnante et detestable ! J’irai sur ta tombe t’eventrer et t’etouffer avec tes boyaux puants ! Je te remplirai de charbons ardents, je t’arracherai la langue, t’embrocherai et te ferai frire jusqu’a la fin des temps ! Je te maudis ! Ecoute-moi, o Grande Mere, ecoute-moi bien ! Je voue mon ombre au tourment eternel de celle qui se fait appeler Gaia !

— A la bonne heure.

— Je n’ai pas encore commence ! Je…»

Elle regarda vers ses pieds. A un metre d’elle, il y avait un visage hilare. Vu l’angle, elle ne pouvait guere en decouvrir plus ; hormis ses epaules, sa poitrine etonnamment developpee, et les ailes repliees dans son dos.

* * *

« Vous prenez la chose avec beaucoup de calme.

— Et pourquoi pas ? demanda Robin. Je pensais avoir tout compris et je ne suis pas encore sure de m’etre trompee. Est-ce que vous me jurez, par tout ce qui vous est le plus sacre, que Gaia ne vous a pas envoye ?

— Je le jure par l’Escadron. Gaia savait qu’elle ne vous envoyait pas a une mort certaine mais elle n’avait aucun controle dessus. J’agis librement, de mon plein gre.

— Je suppose que je vais toucher la paroi d’ici cinq minutes.

— Erreur. Le fond du puits s’evase en cloche, vous vous souvenez ? Cela suffit pour que vous en sortiez en tombant sous un angle de soixante degres au-dessus de Test d’Hyperion.

— Si vous dites ca pour me rassurer…» Mais le fait est que cela agit. Sa premiere estimation de soixante- huit minutes apparaissait en fin de compte exacte. Toutefois, le chiffre de sa velocite terminale etait trop bas ; sa chute durerait plus longtemps. Elle se demanda ce que l’ange pourrait bien dire contre ca.

« Il est vrai que je ne peux pas vous porter, dit-il. Franchement, vous me surprenez. Les gens ont toutes sortes de reactions. En general, ils me disent ce qu’il faut faire, du moins quand ils sont rationnels.

— Je suis rationnelle ; et maintenant si on faisait quelque chose ? J’ai comme l’impression que le temps

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