presse.
— Mais pas du tout, vous savez. Je veux dire, pas encore. Je ne pourrai vous aider qu’une fois que nous serons plus pres du sol et encore, simplement pour vous ralentir. En attendant, vous feriez mieux de vous detendre. Mais je suppose que je n’ai pas a vous le dire. »
Robin ne savait que lui repondre. Elle etait a deux doigts de l’hysterie et ses defenses s’affaiblissaient. Elle s’etait apercue que le seul moyen de lutter etait de feindre le calme. Si l’on etait capable de tromper les autres, on pouvait peut-etre se tromper soi-meme.
Il tombait maintenant devant elle. En l’observant, elle s’apercut de deux choses : il faisait partie des cinq personnes peut-etre qu’elle eut rencontrees qui fussent d’une taille inferieure a la sienne ; et elle n’avait aucune raison de supposer qu’il fut male. Elle se demanda pourquoi elle l’avait fait. Il n’avait pas d’organes sexuels externes ; il n’y avait entre ses jambes qu’une touffe de plumes d’un vert irise. Ce devait etre a cause de sa maigreur. Son court sejour dans Gaia l’avait conduite a associer male avec anguleux. Il donnait l’impression de n’etre fait que d’os et de tendons recouverts en parts egales d’une peau brun clair et de plumes multicolores.
« Etes-vous un enfant ? demanda-t-elle.
— Non. Et vous ? » Son sourire s’elargit. « Enfin voila que vous vous conformez a mes previsions. Votre prochaine question sera si je suis male ou femelle. Je suis extremement male et fier de cette infirmite. Je dis infirmite parce que les anges males vivent environ deux fois moins longtemps que les femelles, sont de taille plus petite et d’une autonomie plus faible. Mais il y a des compensations. Avez-vous deja fait l’amour dans les airs ?
— Je n’ai jamais fait l’amour, du moins dans le sens ou vous l’entendez sans doute.
— Vous voulez essayer ? Nous avons une quinzaine de minutes devant nous et je vous garantis une experience inoubliable. Qu’en dites-vous ?
— Non. Je ne parviens pas a imaginer ce qui vous y pousserait.
— Je suis un pervers, repondit-il avec entrain. J’en pince pour les grosses. J’en ai jamais trop. Je traine dans le coin a guetter les grosses bonnes femmes de passage. Je leur rends service, elles me rendent service. Tout le monde est content.
— C’est ca votre prix, hein ?
— Non, ce n’est pas un prix. Je vous sauverai de toute facon. Je n’aime pas voir les gens se faire ecrabouiller. Mais qu’en dites-vous ? Je ne demande pas grand-chose. Presque tout le monde est content de me retourner cette faveur.
— Pas moi.
— Vous etes bizarre, vous savez ? Je n’ai jamais vu d’humains avec des marquages tels que les votres. Vous etes nee comme ca ? Etes-vous d’une espece humaine differente ? Je n’arrive pas a comprendre pourquoi vous ne voulez pas faire l’amour avec moi. C’est si vite passe. Ca ne demande qu’une minute. Est-ce trop vous demander ?
— Vous en posez, des questions !
— Je veux juste… Hop la ! Il est temps de commencer a tourner ou vous allez heurter… attention ! »
Prise de panique, Robin s’etait retournee, croyant que le sol etait tout proche. Son epaule donna prise au vent et elle se mit a virevolter.
« Decontractez-vous de nouveau, lui conseilla l’ange. Vous allez vous stabiliser. Voila qui est mieux. Maintenant, essayez de vous retourner, pour voir. Gardez les bras le long du corps et inclinez-les vers l’arriere. »
Robin fit ce qu’on lui disait et termina son mouvement en saut de l’ange. Ils traversaient la zone crepusculaire et le sol etait maintenant assez proche pour qu’elle put le voir distinctement defiler. L’ange se glissa derriere elle et l’encercla de ses bras, aussi durs et resistants que des cordages : l’un en travers de sa poitrine, l’autre de son bas-ventre. Elle sentit la douce caresse des plumes de ses joues contre son cou puis la chaleur de ses levres contre le lobe de son oreille.
« Tu es si douce, si adorablement rembourree…
— Par la Grande Mere, si c’est pour me violer, faites-le tout de suite et allez au diable : votre ramage vaut bien votre plumage ! On n’a pas que ca a faire ! » Robin frissonnait : la peur de tomber se melait a la menace de la nausee pour entamer son sang-froid.
« Qu’y a-t-il dans le sac ? demanda-t-il brusquement.
— Mon demon.
— Bon d’accord, ne me repondez surtout pas ! Mais tenez-le bien. On y va ! »
Ses bras etaient maintenant de vraies tenailles tandis qu’il commencait avec precaution a deployer ses ailes. Le poids la tira en arriere, la chute libre s’etait muee en l’impression d’etre suspendue la tete en bas. Il lui devint impossible de maintenir les jambes tendues derriere elle. Lorsqu’elle les laissa retomber, le couple instable qu’ils formaient oscilla quelques instants autour du point d’equilibre des ailes de l’ange, en dessous de ses omoplates.
Le sol s’inclina lorsque l’ange vira prudemment. Son but etait de se diriger vers l’Ophion, a l’endroit ou il passait sous le cable joignant la Porte des Vents au moyeu. Dans cette zone, le fleuve qui s’ecoulait approximativement vers le sud-est, etait large, profond et lent. Pour y parvenir, il lui fallait d’abord s’orienter un moment plein sud puis repartir vers le nord afin de s’aligner avec le cours d’eau. Il devait ensuite prolonger la chute de Robin en reduisant son angle de descente. Elle risquait sinon de toucher bien avant l’eau.
Ils passerent au-dessus d’un groupe de crateres. Robin ne demanda pas ce que c’etait. Ce ne
L’ange avait maintenant completement deploye ses ailes. Le sol en dessous d’eux etait vallonne et boise mais on apercevait devant l’etendue rectiligne du fleuve. Il semblait impossible qu’ils parvinssent a l’atteindre et il n’etait pas question de freiner et de faire demi-tour. L’ange ne pouvait guere soulever plus que son propre poids.
« Je pense vous avoir ralentie jusqu’a soixante-dix, quatre-vingts kilometres a l’heure lorsque vous toucherez, lui cria-t-il dans l’oreille. Je vais tenter de freiner par petits coups des que je serai certain que vous pourrez atteindre le fleuve. Vous arriverez en biais.
— Je ne sais pas nager.
— Moi non plus. A vous de vous debrouiller. »
L’experience etait etonnante : la traction exercee par les bras de l’ange s’accrut brusquement, elle prit une profonde inspiration, le c?ur battant. Puis ils planerent a nouveau, apparemment encore loin au-dessus des eaux brunes. Une nouvelle traction ; elle tendit les mains par reflexe, mais ils etaient toujours dans les airs. Le troisieme choc fut le plus rude. Pendant de longues secondes Robin fut incapable de reprendre son souffle.
Et voici que la berge s’approchait, defilait sur sa droite. Droit devant, le fleuve s’incurvait en direction de l’ouest.
Elle crut avoir touche sur le dos, mais elle etait trop etourdie pour en etre certaine. Tout ce dont elle se souvenait ensuite, c’est qu’elle se debattait au fond des eaux boueuses pour regagner la lumiere.
La natation se revela une activite epuisante. C’est etonnant ce qu’on parvient a faire lorsqu’on se retrouve le bec dans l’eau…
L’ange l’attendait debout sur la rive. Pas tres a l’aise ; ses pieds n’etaient pas conformes pour cela : en forme de serre, avec des orteils squelettiques, ils etaient destines a s’agripper aux branches d’arbres. Robin rampa sur un ou deux metres le long du sol sec avant de rouler sur le flanc.
« Tenez, donnez-moi ca, dit l’ange en lui otant le sac des mains. Je merite bien quelque chose pour mon travail, vous ne pouvez pas dire le contraire. » Il l’ouvrit, poussa une exclamation, s’empressa de le refermer et le laissa echapper. Il recula.