Elle n’avait pas toutefois perdu connaissance. Robin se demandait si c’etait un bien ou un mal.
« Attendez une minute, lanca Cirocco en battant l’air des mains. Vous savez ce que c’est avec la biere. Faut que j’me repoudre le nez. Je reviens, d’ac ? » Et elle tituba vers le devant de la salle.
Il y eut un cri. Robin en etait encore a se demander qui avait hurle que Gaby avait deja saute par-dessus la table et jouait des epaules a travers la foule des Titanides.
« Il est la, il est la, c’est lui ! »
Elle reconnaissait a present la voix de Cirocco et se demanda ce qui avait bien pu la terroriser a ce point. Robin avait ses doutes quant au caractere de la Sorciere mais elle ne la considerait pas comme une trouillarde.
Un attroupement s’etait forme au bout du bar, pres de la porte. Vu sa taille, il n’y avait aucune chance qu’elle put voir quelque chose derriere ces hautes croupes chevalines, aussi sauta-t-elle directement sur le comptoir ce qui lui permit de gagner presque le centre de l’incident.
Elle vit Cirocco, reconfortee par une Titanide qu’elle ne connaissait pas. Gaby se tenait a quelque distance. Elle avait un couteau dans une main et de l’autre, elle faisait signe a l’homme qui rampait sur le sol devant elle. Sous l’eclairage vacillant des lampes, ses dents luisaient comme celles d’un fauve.
« Leve-toi, leve-toi, siffla-t-elle. Tu ne vaux guere mieux que ces autres merdes par terre, espece d’abomination. Il serait temps de nettoyer un peu, et c’est moi qui vais m’en charger.
— J’ai rien fait du tout, gemit l’homme. Je le jure, demande a Rocky. J’voulais rien faire, j’ai vraiment ete correct. Tu me connais, Gaby.
— Je ne te connais que trop, Gene. J’ai eu deux occasions de te tuer, et j’ai bien ete idiote de les avoir laisse passer. Leve-toi et defends-toi, au moins tu peux faire ca. Leve-toi ou je te saigne comme le porc que tu es.
— Non, non, tu vas me
Robin fut surprise d’entendre parler Cirocco, d’une voix presque sobre.
« Il a raison, Gaby, disait-elle calmement. Il n’a rien fait du tout. Bon sang, il a meme essaye de detaler sitot qu’il m’a vue. Ca m’a fait une telle surprise, de le revoir. »
Gaby se redressa legerement. Ses yeux avaient perdu une partie de leur flamme.
« Es-tu en train de me dire que tu ne veux pas que je le tue ? demanda-t-elle, impassible.
— Pour l’amour du ciel, Gaby. » Elle semblait calme maintenant, mais nonchalante. « Tu peux pas le decouper comme ca, comme une tranche de roti.
— Ouais, je sais. J’ai deja entendu ca. » Elle mit un genou en terre pres de lui et, du plat de sa lame, lui tourna la tete.
« Qu’est-ce que tu fais ici, Gene ? Qu’est-ce que tu goupilles ? »
Il grimaca, bredouilla puis finit par dire : « Je buvais juste un coup, c’est tout. C’est qu’on a la gorge seche, avec cette vague de chaleur.
— Tes copains sont pas ici. Tu dois bien avoir une raison de venir a Titanville. Et d’abord, tu n’aurais pas pris le risque de me rencontrer,
— C’est vrai, c’est vrai, Gaby, tu me fous les jetons, d’accord. Ouais m’sieur : le vieux Gene risque pas de venir dans vos jambes. » Il sembla peser la chose quelque temps, puis, sans doute peu satisfait de ses implications, s’empressa de changer de tactique. « J’avais oublie, voila. Bon sang, Gaby, j’savais pas qu’tu s’rais ici, voila tout. »
Robin pouvait voir qu’il etait si habitue au mensonge qu’il devait lui-meme ignorer ou etait la verite. Il etait egalement patent que Gaby le terrifiait vraiment. Il avait bien deux fois sa taille et pourtant il ne songea pas un instant a se battre.
Gaby se redressa et fit un geste avec son couteau.
« Debout. Gene ? Ne m’oblige pas a le repeter.
— Tu vas pas me faire mal ?
— Si jamais je te revois, je te ferai tres tres mal. Est-ce qu’on se comprend ? Ca veut dire que je ne te tuerai pas. Mais si jamais je te retrouve, n’importe ou,
— D’accord, d’accord, je te promets.
— Quand on se retrouve, Gene – et elle mima le geste avec son couteau – je t’arrache l’autre. »
Et la lame ne pointait pas vers son seul ?il valide, mais plus bas, beaucoup plus bas.
16. Le Club des Circumnavigateurs
Malgre le soutien des bras robustes de Cornemuse, Cirocco tomba deux fois pendant qu’on chargeait les Titanides. Elle continuait de declarer qu’elle etait capable de tenir debout toute seule.
Le materiel achete par Chris attendait, comme promis, dans un appentis derriere
Cette disposition laissait a Chris de la place pour monter. Ce qu’il fit, avant d’ouvrir les sacoches qui contenaient deja les choses qu’emportait Valiha. Elle lui passa ses affaires, article par article, en lui demandant d’equilibrer le chargement. Lorsqu’il eut termine, chaque sac etait encore plus qu’a moitie vide. Elle lui dit que c’etait prevu ainsi car une fois qu’ils auraient quitte le fleuve pour prendre la route, l’espace disponible serait entierement occupe par les provisions deja embarquees a bord des bateaux.
Tout en faisant ses bagages, Chris observa les tentatives faites par Gaby et Cornemuse pour calmer Cirocco et lui faire monter sa Titanide. C’etait plutot pathetique et surtout legerement inquietant. Il remarqua que Robin, agenouillee sur Hautbois a quelques metres de la, observait egalement le spectacle. Il faisait presque entierement nuit, car la seule lumiere provenait des lampes a huile tenues par les Titanides, pourtant il pouvait la voir froncer les sourcils.
« On commence a regretter le voyage ? » lanca-t-il.
Elle le regarda avec surprise. Ils ne s’etaient pas parle jusque-la – ou du moins pas a son souvenir – et il se demandait ce qu’elle pouvait bien penser de lui. Il la trouvait decidement bizarre. Il avait appris que ce qu’il prenait pour des peintures etait en fin de compte des tatouages. Des serpents aux ecailles multicolores dont la queue s’enroulait autour de son gros orteil droit et de son pouce gauche et dont le corps grimpait autour de la jambe et du bras pour se faufiler sous ses vetements. Il se demandait a quoi pouvait ressembler leur tete et si elle arborait d’autres motifs.
Elle retourna a ses preparatifs. « Quand je signe, je reste. » Ses cheveux lui retombaient sur le visage ; un mouvement de la tete revela son autre bizarrerie : la plus grande partie du cote gauche de son crane etait rasee et decouvrait un motif pentagonal complexe centre sur son oreille gauche. Elle donnait l’impression que sa perruque avait glisse.
Elle jeta de nouveau un ?il sur Cirocco puis regarda Chris avec ce qui pouvait passer pour un sourire amical. Avec les tatouages, c’etait difficile a dire.
« Je vois ce que tu veux dire, malgre tout, lui conceda-t-elle. Ils peuvent bien l’appeler une Sorciere si ca leur fait plaisir mais je sais reconnaitre une saoularde quand j’en vois une. »
Chris et Valiha furent les derniers des huit a emerger de l’obscurite sous l’arbre de Titanville. Il fit la grimace quelques instants puis sourit. Ca faisait du bien de bouger. Peu importait dans quelle direction.