Cirocco revint huit revs plus tard. Elle semblait epuisee et affamee mais pourtant plus confiante qu’a son depart. Robin nota qu’elle souriait plus facilement. Quoi qu’elle ait pu faire la-dedans, cela s’etait passe mieux que prevu.

Robin voulait dire quelque chose mais les seules idees qui lui venaient a l’esprit etaient des questions du genre : comment ca s’est passe ou qu’es-tu allee faire. Gaby l’avait prevenue de s’en abstenir. Pour l’heure, elle s’en abstiendrait donc.

« Tu as peut-etre eu raison, Gaby, dit Cirocco tandis qu’elles retournaient au camp. Pour sur, je n’avais aucune envie de…

— Plus tard, Rocky. On a quelque chose a te montrer. »

On la conduisit sur le site des traces mysterieuses. La marque etait moins distincte qu’auparavant mais encore lisible. Elle s’agenouilla a la lueur de la lanterne. Des rides se dessinerent une a une sur son front. Elle semblait offusquee par l’idee meme d’une telle creature.

« La, vous m’avez eue, finit-elle par admettre. Je n’ai jamais rien vu de tel et j’en ai pourtant fait des tours dans cette foutue roue. » Elle chanta quelque chose en titanide. Robin regarda Hautbois qui froncait les sourcils.

« Cela pourrait se traduire approximativement par “Gaia aime a plaisanter, comme le premier dieu venu”. C’est d’ailleurs une chose bien connue.

— Un poulet geant ? » Cirocco etait incredule.

Robin n’y tenait plus : « Excusez-moi, mais je ne me sens pas bien » et, cela dit, elle se precipita dans l’obscurite. Lorsqu’elle eut atteint le rivage, elle descendit dans une petite crique analogue au mouillage de leur radeau. Et une fois a l’abri des regards, elle put laisser echapper son rire. Elle essayait de faire le moins de bruit possible mais elle rit a en avoir mal aux cotes, jusqu’a ce que les larmes lui degoulinent sur les joues. Elle ne croyait pas pouvoir rire plus fort lorsqu’elle entendit Gaby crier :

« Eh, Rocky, par ici ! On a trouve une plume ! »

Robin repartit de plus belle.

Quand elle fut enfin parvenue a se maitriser, elle tendit la main vers une faille entre deux massifs coralliens et degagea deux objets faits de baguettes, de bouts de bois et de coquillages. Des cordes lui permettaient de se les fixer aux jambes et des encoches avaient ete prevues pour les pieds.

Elle s’esclaffa : « Gaby et Cirocco ! Les deux grandes expertes de la faune gaienne ! » Elle embrassa l’un des accessoires avant de le lancer loin dans les flots.

« Tu ferais mieux de te grouiller. Gaby va venir a ta recherche. » Elle leva les yeux et decouvrit Hautbois. Elle agita la deuxieme bequille dans sa direction puis l’envoya rejoindre la premiere.

« Merci pour la diversion.

— A ton service, dit Hautbois. Je crois que Valiha a des soupcons mais elle ne dira rien. » Il sourit de toutes ses dents. « J’ai l’impression que ce voyage commence a me plaire. Mais plus de blagues avec le sel, d’accord ? »

23. Tempete et Temps calme

Une bonne brise d’ouest eloignait la Constance des cotes de Minerve. Voila qui pour Gaby etait bon signe. En levant les yeux, elle pouvait voir que la valve inferieure s’etait refermee. Cela signifiait – elle en avait fait la cruelle experience – qu’au-dessus, le rayon entrait dans sa saison normale d’hiver : les arbres et tout le reste se recouvraient d’un epais manteau de glace. Au moment du degel, toute cette eau, ainsi qu’un tonnage respectable de branches cassees s’amoncelaient a la valve. Lorsqu’elle s’ouvrait, le coin devenait malsain. D’ici cinquante revs, Nox allait voir son niveau monter de deux metres ou plus.

Personne ne demanda ou etait allee Cirocco. Gaby avait l’impression que la reponse les aurait tous surpris, tous, y compris les Titanides.

Cirocco etait allee consulter Rhea, le cerveau satellite qui dominait la region a cent kilometres alentour. Rhea n’etait soumise qu’a la seule autorite de Gaia. Elle etait egalement completement folle.

La seule facon de rendre visite aux cerveaux regionaux etait de passer par les cables verticaux centraux. C’etait en effet la qu’ils vivaient, au pied d’un escalier en spirale de cinq kilometres. Meme les Titanides ignoraient ce fait. Leur connaissance des douze demi-dieux etait limitee. En creant les Titanides – jusqu’a leur culture et leurs traditions –, Gaia n’avait pas vu l’utilite de leur encombrer la tete avec ses regions : ce n’etait que des appendices et rien de plus, des servomecanismes quasi intelligents charges de faire marcher les choses dans les limites de leur domaine personnel. Pour les Titanides, y voir simplement des divinites vassales eut ete entamer leur capacite a apprecier Gaia. Dociles, les Titanides ne se souciaient pas plus de ces gros amas de tissu nerveux que le plus ignorant des touristes. Hyperion pour elles etait une region, pas une personne.

La realite etait bien differente et ce depuis bien longtemps avant que naissent les Titanides. Peut-etre les cerveaux avaient-il ete effectivement soumis a Gaia durant sa jeunesse. C’est ce qu’elle affirmait. Mais aujourd’hui, chacun des douze affirmait de plus en plus son independance. Pour accomplir ses volontes, Gaia devait cajoler ou menacer.

Pour une region comme Hyperion, une simple requete suffisait. Hyperion restait le plus sur allie de Gaia sur la couronne. Le fait toutefois qu’elle en fut reduite a lui demander montrait a quel point les choses en etaient arrivees. Gaia n’avait plus guere de controle direct sur l’anneau.

Gaby avait rencontre plusieurs regions ; elle etait descendue voir Hyperion une douzaine de fois. Elle l’avait trouve ennuyeux, un vrai automate. Elle suspectait comme de juste les mechants d’etre bien plus interessants que les bons. Lorsqu’il parlait, Hyperion s’arrangeait pour prononcer le nom de Gaia deux fois par phrase. Gaby et Cirocco l’avaient vu juste avant le Carnaval. Le cable central d’Hyperion faisait toujours a Gaby un drole d’effet. Elle l’avait visite, en compagnie de Cirocco et du reste de l’equipage du Seigneur des Anneaux lors de ses premieres semaines a Gaia. Sans le savoir, ils s’etaient approches a quelques centaines de metres de son entree. L’avoir decouverte leur aurait epargne une terrible odyssee.

Pour Rhea, c’etait une autre histoire. Gaby n’avait jamais pu rendre visite a l’un des ennemis de Gaia. Cirocco les avait tous rencontres a l’exception d’Ocean. Elle avait pu le faire parce qu’elle etait la Sorciere, munie d’un sauf-conduit de Gaia. Il etait impossible de garantir a Gaby une telle protection. Tuer Cirocco, c’etait risquer que s’abatte sur le territoire meurtrier l’ire de Gaia. Tuer Gaby ennuierait probablement Gaia, mais guere plus.

C’eut ete une erreur, toutefois, de qualifier Rhea d’ennemie de Gaia. Meme si elle s’etait alliee a Ocean lors de sa rebellion, elle restait bien trop imprevisible pour gagner la confiance de l’un ou l’autre camp. Cirocco etait descendue la voir une seule fois auparavant et avait bien failli y laisser la vie. Rhea etait l’un des pires endroits pour commencer, Gaby le savait, mais on n’aurait rien gagne a l’eviter pour y revenir ensuite. Car leur propos etait de visiter onze des douze cerveaux regionaux. Et leur plus fervent espoir etait que Gaia ne le sut pas deja.

C’etait certes risque mais Gaby pensait qu’on pouvait le faire sans eveiller ses soupcons. Elle ne s’attendait pas a une sinecure ; c’eut ete idiot. Meme si les yeux et les oreilles de Gaia n’etaient pas ce que certains imaginaient, elle avait quand meme suffisamment de contacts sur l’anneau pour finir par savoir la plupart des choses qui s’y passaient.

Elles esperaient simplement y aller au culot. Une partie de la tache serait aisee. Ainsi, la Sorciere n’aurait aucune raison de traverser Crios sans lui rendre une visite. Si Gaia voulait savoir pourquoi elle visitait un ennemi tel que Japet, Cirocco pourrait dire qu’il s’agissait simplement de surveiller la situation sur l’anneau : ce qui etait une partie de ses attributions. Et si on lui demandait pour quelles raisons elle n’en avait pas rendu compte, elle pourrait retorquer a juste titre que Gaia n’avait jamais exige d’elle un compte rendu detaille.

Mais sa visite a Rhea serait difficile a justifier. Dans l’eventualite d’un face a face, la pauvre Rhea, divagante et perdue pouvait se reveler la region la plus dangereuse de Gaia. Traverser ses territoires ne presentait aucun risque : elle passait tellement de temps en introversion qu’elle remarquait a peine ce qu’il se passait au-dessus d’elle. Pour cette raison, Rhea, le territoire, partait lentement a l’abandon. Mais il etait impossible de prevoir son comportement dans le cas d’une eventuelle visite. Gaby avait tente de persuader Cirocco d’eviter completement Rhea et pour elle le danger n’etait pas l’unique raison. Il serait difficile d’expliquer pourquoi la Sorciere avait risque le voyage. La creature mysterieuse qui leur avait rendu visite avait procure a Gaby quelques sales moments. Elle

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