l’avait prise au debut pour l’un des instruments de Gaia, a l’instar de l’obscene petite creature qui accueillait les nouveaux pelerins au moyeu. Elle en doutait maintenant. C’etait plus certainement l’une de ses monstruosites : elle consacrait de plus en plus de temps a elaborer des farces biologiques qu’elle lachait au-dessus de l’anneau. Comme les bombourdons. C’est la que residait le danger.

Lorsqu’elle questionna Cirocco sur le deroulement de l’entrevue, celle-ci semblait raisonnablement confiante :

« J’ai pris soin de faire mousser son ego. Je voulais en la quittant lui laisser l’impression qu’elle etait de loin superieure a Gaia afin qu’elle ne daigne meme pas repondre a son prochain appel. Si elle ne lui parle pas, elle ne risquera pas de lui dire que je suis passee.

— Tu ne lui as quand meme pas dit de ne rien dire, j’espere ?

— Ne me prends pas pour une idiote, veux-tu ? Je crois la comprendre mieux que n’importe qui. Non, j’ai garde a la conversation un ton aussi franc et routinier que possible, compte tenu que la derniere fois je m’en etais tiree avec des brulures au second degre sur la moitie du corps. Au fait, tu peux marquer une grande croix pres de son nom, si tu ne l’as deja fait.

— Tu plaisantes ? Je ne l’avais meme pas inscrite sur ma liste. »

Cirocco ferma les yeux un moment. Elle se frotta le front. « Le suivant, c’est Crios. Avec une nouvelle croix. Je ne crois pas que tout cela nous mene quelque part, Gaby.

— Je n’ai jamais dit ca. Mais il fallait au moins essayer. »

* * *

La brise les porta au-dela de l’archipel d’ilots essaimes au centre de Nox avant de mourir. Ils attendirent presque un jour entier son retour. Comme elle ne se relevait pas, Gaby mit tout le monde aux avirons, Cirocco comprise.

La valve commenca de se rouvrir alors qu’ils ramaient depuis vingt revs. Contrairement aux previsions, aucun torrent liquide ne se deversait par l’ouverture qui s’agrandissait rapidement au-dessus d’eux. La valve etait comme une eponge. Elle absorbait la fonte des glaces et lors de sa dilatation expulsait l’eau progressivement. Celle-ci se deversait en milliards de ruisseaux qui se resolvaient en gouttelettes. A partir de la le processus devenait complexe, l’air froid et humide rencontrant les masses d’air chaud a plus basse altitude lors de son inexorable descente. Comme ils se trouvaient a l’est de la valve – quoique de peu –, le plus gros des orages et des pluies diluviennes tendait d’abord a s’eloigner d’eux, suivant un mouvement analogue a celui de Robin lors de son Grand Plongeon : en direction de l’ouest, vers Hyperion. Il etait impossible de savoir a partir de quand les vents deviendraient dangereux.

Le sort des debris qui jonchaient la partie superieure de la valve pouvait etre determine par de simples equations de physique. En arrivant, ils feraient une sacree gerbe. Certains de ces « debris » etaient des arbres entiers plus gros que des sequoias. Gaby savait toutefois que ce n’etait pas un probleme car leur derive vers l’ouest serait encore plus prononcee que celle de l’eau.

On souqua ferme, meme lorsque survint la brise attendue, en contemplant l’arrivee de l’orage. La pluie descendit des heures durant, atteignit la mer et s’epancha comme un champignon renverse.

Ils commencerent a sentir des vagues et des rafales de vent qui fouettaient la toile raide de leur voile. Gaby pouvait voir la pluie approcher tandis que le sifflement ininterrompu devenait de plus en plus fort. Lorsque la tempete les frappa, ce fut comme un veritable mur liquide. « Une pluie a suffoquer les grenouilles », comme disait son pere, il y a bien longtemps.

Le vent n’etait pas aussi fort qu’elle l’avait craint mais elle savait qu’il pouvait empirer. Ils etaient encore a un kilometre de la terre. Ceux qui ne ramaient pas se mirent a tater le fond a l’aide des gaffes. Quand ils l’eurent trouve, les Titanides abandonnerent les avirons pour amener a la perche l’embarcation vers la cote. L’accostage se revelait delicat car les vagues atteignaient maintenant pres de deux metres mais il n’y avait a craindre ni ecueils ni recifs. Bientot Cornemuse sautait a l’eau avec un cordage, nageait jusqu’a la plage et commencait a hisser le radeau.

Gaby commencait a croire qu’en fin de compte tout allait se passer normalement lorsqu’une lame balaya le pont et jeta Robin a la mer. Chris etait le plus proche ; il sauta immediatement et ne tarda pas a la saisir. Gaby vint a la rescousse pour l’aider a rembarquer mais Chris jugea qu’au point ou il en etait il serait plus facile de regagner directement la plage. Il se laissa porter jusqu’aux hauts-fonds, aida la jeune fille a se relever et c’est a ce moment qu’une deferlante les renversa. Pendant quelques instants ils disparurent a la vue de Gaby puis Chris emergea avec Robin dans les bras ; il alla la deposer hors de portee des vagues. Il la mit debout mais elle s’agenouilla presque aussitot, hoquetante, le repoussant de la main.

Les Titanides amenerent la Constance au rivage et passerent cinq minutes a danser dans une mer de plus en plus grosse pour mettre l’embarcation en surete. La voile fut arrachee lorsqu’elles tenterent de l’amener. Mais sinon tout le reste fut sauve.

* * *

« Eh bien, on s’en est plutot bien sortis », dit Cirocco une fois qu’ils eurent deniche pour camper un endroit assez eleve et avec suffisamment d’arbres pour couper le vent.

« Rien de perdu, a part la voile ?

— Une partie de mon paquetage s’est ouverte, dit Valiha. L’eau en a gache une partie et la tente de Chris repose au fond en compagnie des poissons. » Elle semblait si depitee que Chris ne put s’empecher de rire.

« Il pourra toujours partager la mienne », intervint Robin. Gaby ne s’y attendait pas. Elle jeta un ?il a Robin qui ne leva pas le nez de la tasse de cafe qu’elle avait dans les mains. Elle etait assise pres du petit feu qu’avaient allume les Titanides, une couverture posee sur les epaules, l’air d’un rat noye.

« Je suppose que cette fois-ci vous aurez envie de rester sous la tente », suggera Cirocco en consultant du regard chacune des Titanides.

« Si vous etes prets a nous supporter, repondit Psalterion. Bien que je vous soupconne d’etre d’une compagnie bien ennuyeuse. »

Gaby bailla. « J’ai bien peur que tu aies raison. Qu’est-ce que vous en dites, les petits ? on se traine au lit et on ennuie nos amies ? »

* * *

Gaby etait devenue chef de l’expedition puisque Cirocco refusait de s’en occuper en rien. Depuis qu’elle avait demissionne de son poste de capitaine, Cirocco ne s’etait jamais montree empressee d’accepter ce genre de responsabilite meme si elle faisait merveille lorsqu’une telle charge lui tombait dessus. Elle n’avait desormais meme pas l’idee de discuter ; Gaby etait responsable, un point c’est tout. Gaby l’acceptait : ca ne la genait meme pas de voir parfois les Titanides se tourner involontairement vers Cirocco lorsqu’elle leur disait ce qu’il fallait faire. Elles ne pouvaient s’en empecher : c’etait elle la Sorciere, mais elles continueraient d’obeir a Gaby aussi longtemps que Cirocco n’y verrait aucune objection.

Et l’etat de Cirocco s’ameliorait. Les matins restaient encore les plus difficiles. Comme elle passait plus de temps que quiconque a dormir, elle avait plus de matins a affronter. Elle s’eveillait avec un air de deterre. Les mains tremblantes, les yeux eperdus, en quete d’une aide qui ne venait pas. Son sommeil ne valait guere mieux. Souvent Gaby l’avait entendue pleurer.

Mais on ne pouvait rien pour elle. En revanche, ce qui inquietait Gaby pour l’instant, c’etait l’itineraire : ils avaient touche terre sur la cote nord de Baie-Longue. Lorsqu’elle naviguait sur Nox, Gaby faisait toujours voile vers la baie du Serpent dont le doigt etroit menait a l’embouchure de l’Ophion. Les deux baies etaient separees par un epaulement rocheux. Par la terre, ils n’etaient qu’a cinq kilometres du fleuve. En suivant la plage, la distance etait d’au moins vingt-cinq. Elle ne connaissait pas bien la region et ne pouvait plus se rappeler si la plage continuait tout autour. D’un autre cote, elle croyait se souvenir d’une passe entre les eboulis rocheux, au nord ; mais elle n’en etait pas certaine non plus. Et puis il y avait la tempete : le vent serait tres genant s’ils devaient suivre la cote. Et par l’interieur, il y aurait de la boue, des pistes glissantes et l’obscurite de la foret.

Elle attendit quelques heures pour voir si la tempete allait se calmer, consulta Cirocco – qui n’en savait pas

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