— Eh bien, ici des truites aussi. Je pense qu’une douzaine nous suffiront.
— Sans blague ? Il y a vraiment des truites ?
— Et pas seulement une imitation gaienne. Il y a deja longtemps, Gaia s’est dit qu’il fallait attirer les touristes. Aujourd’hui, ca lui est a peu pres totalement indifferent. Mais a l’epoque, elle a fait peupler bon nombre de cours d’eau et les truites se sont parfaitement acclimatees. Elles atteignent une taille respectable. Comme celle-ci. »
Sa canne etait recourbee en demi-cercle. En quelques minutes elle avait mis dans l’epuisette la plus grosse truite que Chris ait eu l’occasion non seulement de prendre mais de voir.
Robin rompit sa ligne a la premiere touche puis ramena une prise de taille a peu pres identique. En une demi-heure ils avaient leur quota mais Chris se battait avec quelque chose qui par la taille tenait plus de la baleine que de la truite. Pourtant lorsqu’elle jaillissait dans l’air sa silhouette et ses couleurs ne laissaient aucun doute, tout comme son instinct batailleur. Il lui fallut vingt minutes pour amener un poisson comme Gaby meme n’en avait jamais vu. Il contempla sa prise avec un ravissement non dissimule puis la brandit en lancant vers le ciel :
« Qu’est-ce que t’en dis, Gaia ? Est-il assez gros ? »
24. La Grotte
Pour une fois, Chris avait pu voir la chose. Un simple eclat de lumiere minuscule loin vers le nord, haut dans les airs mais qui devait etre la source du vrombissement soutenu qu’il avait deja pu entendre deux fois auparavant. Il le vit disparaitre derriere une montagne mais son bruit resta perceptible pres d’une minute encore.
« Valiha, dit-il, je vire sur la gauche.
— Je viens juste derriere toi. »
Chris s’approcha de Gaby et de Psalterion. Il retint le plat-bord de l’autre canoe pendant qu’il rangeait son aviron, puis sauta dans l’autre embarcation. Gaby lui jeta un regard mecontent.
« Tu ne crois pas qu’il serait temps de nous dire ce que c’est ? Tu nous avais promis de nous apprendre les choses dont nous aurions besoin.
— C’est ce que j’ai fait, non ? » Elle se renfrogna encore plus mais finit par ceder. « Je n’ai vraiment rien tente de vous cacher. Mais c’est simplement que je repugne meme a en parler. Je…» Elle leva les yeux a temps pour voir Robin les rejoindre.
« Bon. On les appelle des bombourdons. Ils sont recents. Tres recents. Il n’y a pas plus de six ou sept ans que j’ai vu le premier. Gaia a du travailler dessus un bon bout de temps parce qu’ils sont tellement improbables qu’ils ne devraient meme pas exister. Ce sont les trucs les plus
« Ce sont en fait des avions vivants propulses par un statoreacteur. Ou peut-etre un pulsoreacteur. Celui que j’ai examine etait dans un sale etat et presque entierement carbonise. J’avais fait venir de la Terre un vieux missile a guidage infrarouge des l’apparition du premier pour en abattre un. Il faisait pres de trente metres de long et c’etait une creature incontestablement organique meme si son corps contenait enormement de metal. J’ignore comment cela se fait ; sa chimie doit etre fantastique, surtout pour sa gestation.
En tout cas, je me demandais comment il volait. Il avait des ailes mais je savais qu’elles n’etaient pas battantes. Il fonctionnait plutot comme un avion muni d’ailes deformables a la place d’ailerons. Il avait deux jambes qui se repliaient en vol. Je doute qu’il puisse marcher beaucoup avec. Et il possedait deux vessies a carburant qui contenaient sans doute du kerosene. Peut-etre de l’alcool ; ou un melange.
« Immediatement, je me suis demande comment cette creature pouvait manger assez pour synthetiser un tel carburant en quantite suffisante pour lui permettre d’evoluer dans les airs. Car elle devait a l’evidence etre tres pataude au sol. Qui plus est, si cette foutue abomination etait effectivement propulsee par un stato ou un pulsoreacteur, elle ne pouvait se poser ailleurs qu’au sommet d’une falaise ou d’un arbre tres eleve. Ces engins ne peuvent en effet fonctionner qu’une fois en mouvement. Il leur fallait donc soit une poussee auxiliaire, soit une longue chute pour atteindre la vitesse d’ignition. Je n’en savais rien ; il fallait que je voie ca de plus pres.
« J’en vins a la conclusion que ces animaux ne fabriquaient pas eux-memes leur carburant. La nourriture qu’ils ingurgitaient entrait dans un metabolisme plus ou moins normal et le carburant devait provenir de quelque source exterieure. Une, ou plusieurs. Plus probablement s’agissait-il d’une autre creature nouvelle. Elle vit sans doute sur les hauts plateaux mais je n’ai pas encore trouve ou.
— Sont-ils dangereux ? demanda Robin.
— Extremement. Leur seule qualite est d’etre fort peu nombreux. J’ai cru tout d’abord qu’ils avaient les plus grandes difficultes a trouver une proie mais cela s’est revele inexact : ils volent a pres de cinq cents kilometres a l’heure. Meme avec le bruit du reacteur, ils sont pratiquement sur vous avant que vous le sachiez. Mais ils peuvent aussi couper leur moteur et planer en rase-mottes puis, une fois qu’ils ont tue leur proie, rallumer avant d’etre descendus en dessous de la vitesse critique. Si t’en vois un, tache de trouver un fosse. Ils ne refont un second passage que lorsque le terrain est aussi plat qu’une biere eventee. Derriere un rocher tu es en securite et tu accrois tes chances rien qu’en t’allongeant par terre. Leur nez est muni d’un eperon dentele avec lequel ils t’empalent avant d’aller se cacher pour manger le cadavre.
— Comme c’est charmant.
— N’est-ce pas ?
— Que mangent-ils ? demanda Chris.
— Tout ce qu’ils peuvent soulever.
— Oui, mais ca represente quoi ? Tomber sur quelque chose de la taille d’un etre humain doit les ralentir en dessous de la vitesse critique.
— Il se trouve que ce n’est pas le cas. Mais il y a toutefois du vrai la-dedans et leurs preferences vont aux proies dont le poids oscille entre quarante et soixante kilos.
— Eh, merci, grogna Robin. C’est moi, ca.
— Moi egalement, ma petite. Mais pense au soulagement du gros mec a cote de toi. » Elle sourit a Chris qui ne se sentait pas si soulage que ca. « A vrai dire, ils s’attaqueront a un adulte de bonne taille si l’occasion se presente et jusqu’a present ils en sont toujours sortis gagnants. Ils ont fait sept victimes parmi les humains. Ils s’en prendront egalement a une Titanide mais la, c’est prendre leurs desirs pour des realites. Quoique je connaisse une douzaine de cas de Titanides qui se soient fait emporter, j’ai entendu dire que par deux fois le bombourdon s’est ecrase et a brule en tentant de le faire.
« Mais je ne m’en soucierais pas trop. Certes, chaque fois que j’en entends passer un, je grince des dents tellement je deteste ces choses. Et cela, des avant que l’un d’eux n’ait enleve un de mes amis. Le jour ou je decouvre leur station-service, il y aura un sacre feu de joie. Ce sont des betes obscenes, terrifiantes. Ils n’attaquent pas les saucisses mais semblent prendre un malin plaisir a leur tourner autour jusqu’a ce que les malheureuses creatures en deviennent pratiquement folles de terreur ; et elles ont de bonnes raisons : la tuyere d’un bombourdon a mis un jour accidentellement le feu a une saucisse et les autres en sifflent encore.
« Mais statistiquement, il y a des tas de choses qui sont plus dangereuses. Ils sont aussi imprevisibles que des requins : s’ils t’attrapent, tu es foutu mais il y a peu de chances que cela se produise. »
Chris aimait Crios. Le fait de sortir de la nuit rheane y etait peut-etre pour quelque chose mais par bien des cotes la region etait plus agreable qu’Hyperion. A l’ouest, Crios avait la chaine des Nemesis pour fermer l’arriere- plan si bien que les sinistres etendues glacees d’Ocean etaient derobees a la vue.
Apres avoir de nouveau oriente vers l’est son cours, une fois arrive au sud de Crios, l’Ophion traversait l’ancetre de toutes les jungles. Gaby expliqua a Chris que si elle n’etait pas a vrai dire aussi touffue que certaines parties de la foret occidentale d’Hyperion, elle n’etait-pas mal quand meme. Les essences de type terrestre cotoyaient les lances, plumes, cristaux, colliers de perles, pellicules, spheres et draperies extraterrestres. Les arbres se penchaient au-dessus des eaux dans leur intense competition pour la lumiere et l’espace. Bien que le fleuve fut large, il arrivait par endroits qu’ils se rencontrent en son milieu.