Ils firent une halte dans la jungle et tout le monde resta sur le pied de guerre. La foret abritait des creatures qui pouvaient attaquer hommes et Titanides et ne s’en priveraient pas. Prise par surprise, Robin abattit une bete de la taille d’un taureau, venue fureter autour de sa tente, puis apprit qu’elle etait inoffensive. Ils en mangerent une partie pour le petit dejeuner. Cinq minutes apres qu’ils eurent jete la carcasse dans le fleuve, elle grouillait d’anguilles qui se battaient pour la dechiqueter. « Des charognards », dit Cirocco qui maintenait que les eaux ici n’etaient pas dangereuses. Chris n’en evita pas moins de se baigner.

C’etait la premiere fois que Robin utilisait son arme. Cirocco voulut l’examiner, jouant la surprise de voir une femme si menue capable de manier un 11,43 automatique. Robin expliqua qu’elle employait des fusees a la place des charges a percussion. La plus grande partie de la poussee s’exercait a l’exterieur du canon. C’etait particulierement pratique dans la faible gravite de Gaia ou le recul d’un colt de ce calibre pouvait fort bien renverser un individu meme de poids respectable. Elle disposait de deux types de munitions en chargeurs classiques de sept coups : des balles de plomb et des balles explosives.

Il y avait cent vingt kilometres des derniers remparts de la chaine des Nemesis jusqu’a l’extremite de la jungle. Le fleuve ne leur etait plus d’une grande aide mais en souquant ferme, il ne leur fallut qu’une journee de plus pour deboucher sur la plaine et camper quelques kilometres apres la lisiere de la foret.

Chris dormait lorsqu’ils recurent la visite d’une delegation de Titanides de Crios qui, trop contentes d’apprendre que la Sorciere etait parmi les voyageurs, commencerent a reclamer un Carnaval. Chris apprit plus tard qu’elles avaient de bonnes raisons pour cela : alors que les accords les plus vastes d’Hyperion avaient un Carnaval tous les myriarevs, ceux des autres regions devaient attendre que la course errante de la Sorciere les amene chez eux. Crios etait plus qu’en retard.

Lorsque Chris s’eveilla, les Criontes acceptaient de partager le petit dejeuner a la table des Hyperionites. Chris les rejoignit et la difference entre Titanides de Crios et d’Hyperion lui sauta immediatement aux yeux. Alors que Valiha etait batie comme un percheron, les Criontes ressemblaient plus a des poneys Shetland. Il etait de la meme taille que la plus grande d’entre elles. Elles presentaient toutefois les memes robes bariolees que leurs cousines d’Hyperion. L’une avait un pelage qui etait un veritable ecossais.

Aucune ne parlait anglais – qui n’etait guere utile en Crios –, mais Valiha fit les presentations et lui traduisit leurs salutations polies. Il eut une preference immediate pour une femelle a robe blanche et sentit, a voir ses sourires timides, que l’interet etait reciproque. Elle repondait au nom de Siilihi (Duo locrihypolydien) Hymne. Avec deux jambes de moins, il l’aurait trouvee extremement attirante.

Gaby penetra dans la tente de Cirocco pour l’informer de la requete. On l’entendit mugir et Siilihi se detourna de Chris, le regard gene. Les autres Titanides criontes s’agitaient nerveusement. Chris etait brusquement furieux contre la Sorciere. Comme il devait etre degradant pour d’aussi magnifiques creatures d’etre obligees d’implorer cette miserable pocharde !

Il aurait voulu etre capable d’accomplir les fonctions de la Sorciere. Si quelqu’un avait jamais merite d’avoir un adorable bebe, c’etait bien Siilihi. Il se demanda lorsqu’il reverrait Gaia, si elle pouvait envisager de faire de lui un Sorcier afin qu’il puisse venir en aide a ces gens. Il etait certain de pouvoir mieux s’acquitter de cette responsabilite que ne l’avait fait Cirocco.

L’idee lui semblait en fait tellement judicieuse qu’il avait bien envie de la mettre en ?uvre sur-le-champ. La premiere etape etait la fertilisation frontale, aussi tendit-il les bras vers Siilihi ; il vit ses yeux s’agrandir.

* * *

Il reprit conscience etendu sur le dos de Valiha. Sa machoire lui faisait mal. Lorsqu’il voulut s’asseoir, il s’apercut que c’etait impossible. Il etait ligote, les mains attachees devant lui.

« Je me sens mieux », annonca-t-il a l’adresse du ciel. Valiha se tourna et baissa les yeux sur lui.

« Il dit qu’il va mieux », lanca-t-elle a la cantonade, il entendit un changement dans la cadence des sabots. Bientot Robin et Gaby etaient a ses cotes et le contemplaient.

« J’aimerais bien trouver un moyen facile de le verifier, dit Gaby. La derniere fois qu’on t’a libere, tu t’es jete sur Robin. Tu sais que t’es vraiment chiant ?

— Je me rappelle, dit Chris d’une voix inexpressive.

— Est-ce que tu vas fermer ta grande gueule stupide ? » C’etait Robin qui grognait a l’adresse de Gaby. Celle-ci parut surprise, puis elle hocha la tete : « Si tu te crois capable de te debrouiller, eh bien, d’accord.

— Dans ce cas, degage. J’en prends la responsabilite. » Gaby s’eloigna et Robin demanda a Valiha de s’arreter le temps qu’elle libere Chris de ses entraves. Il s’assit en se massant les poignets et en faisant jouer sa machoire. La crise n’avait ete que breve et peu intense. Il avait toutefois eu le temps d’insulter la delegation crionte, d’envoyer un direct a Cirocco devant les Titanides et de faire a Robin des avances amoureuses apres les avoir convaincus qu’il allait nettement mieux. Pour sa peine, il avait ecope d’un ?il poche de la part de Cirocco et d’un coup de pied dans les couilles en plus d’une levre tumefiee de la part de Robin. Apparemment, sa veine miraculeuse ne marchait pas face aux sorcieres en tout genre. Il changea de position sur le dos de Valiha, ca faisait mal.

« Ecoute, dit-il. Tout ce que je peux te dire, c’est que je suis desole, aussi inadequat que cela puisse paraitre. Et merci de ne pas m’avoir tue.

— Pas besoin, et j’aurais prefere… en avoir moins fait. Enfin, tu vas mieux ; tu m’as prise de court. Maintenant, je sais a quoi ressemble un viol. »

Il grimaca. Et il avait pense pouvoir etre l’ami de cette femme. Il sentait retomber sur lui les tenebres de la depression.

« Ai-je dit quelque chose de mal ? »

Il la regarda en se demandant s’il pouvait etre possible qu’elle plaisante, mais seule la preoccupation se lisait sur son visage.

« Je… peut-etre que je vois, reprit-elle. Tu dois me croire quand je dis que je ne pensais pas qu’un homme put avoir honte d’etre accuse d’un viol. Je vois bien que c’est le cas, mais tu ne devrais pas. Je ne t’en tiens pas rigueur. Ce que je voulais dire, c’est que je comprends maintenant l’origine de la terreur qu’en ont traditionnellement mes s?urs. C’etait effrayant de froler la chose d’aussi pres. Meme en sachant que tu ne me ferais pas grand mal… Si je m’enferre, tu n’as qu’a me faire taire.

— Non, absolument pas. Je t’ai trompee la derniere fois. Comment savais-tu que je n’allais pas recommencer maintenant ?

— C’est Gaby que tu as trompee. Moi je t’aurais laisse ligote. Et j’ignore comment j’en suis sure. Mais je le sais.

— Et comment savais-tu que je n’allais pas te faire mal, ne pas…» C’etait dur a dire, mais il se forca.

« Ne pas aller plus loin que ce qui se passe d’ordinaire lors d’un viol, si tu veux. Comment savais-tu que je n’allais pas te battre, ou te mutiler ou meme te tuer ?

— Je me trompais ?

— Non. Non, j’ai fait des choses terribles mais je n’ai jamais eu l’instinct meurtrier. Je suis bagarreur, mais seulement pour me debarrasser de celui qui m’ennuie. Une fois que je l’ai assomme, il n’a plus aucun interet. Et j’ai attaque des femmes, au point meme d’en violer effectivement une, une fois. Mais ce ne sont la – c’est du moins ce que l’on m’a dit – que des pulsions sexuelles instinctives normales qui s’expriment lorsque la conscience sociale est court-circuitee. Meme dans les pires des cas, je ne suis jamais entre dans des rages homicides, je n’ai jamais eprouve du plaisir a faire mal a quelqu’un. Si je blesse les gens, c’est en me frayant un passage.

— Je pensais bien que c’etait quelque chose comme ca. »

Il avait encore autre chose a dire et c’etait le plus difficile.

« J’ai pense a une chose, reprit-il : si jamais nous etions atteints en meme temps… tu comprends, mettons, dans des circonstances improbables, avec personne alentour pour te proteger ou pour me retenir… peut-etre qu’alors… et sans le vouloir, je serais incapable de m’empecher de…» Il se sentit incapable de terminer.

J’y ai songe, dit-elle d’une voix egale. Des le moment ou j’ai compris quel etait ton probleme, la possibilite s’est fait jour. J’ai decide de prendre le risque ; sinon je ne serais pas ici. Comme tu dis, le risque est faible. » Elle se pencha et lui pressa furtivement la main.

« Ce que je veux que tu comprennes, c’est que je ne te considere pas comme responsable. Pas toi. Je suis capable de faire cette distinction. »

Chris la devisagea un long moment et graduellement sentit une partie du poids qu’il portait disparaitre. Il

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