hasarda un sourire auquel elle repondit.
Leur destination etait encore une fois le cable central vertical. En Crios, il etait a trente-cinq kilometres au nord de l’Ophion.
A la surprise generale, des leur arrivee, Cirocco invita tout le monde a l’accompagner. Tot ou tard, ils auraient bien fini par remarquer que l’expedition faisait toujours halte au milieu d’une region et il etait inutile de cacher a quiconque sa visite a Crios.
Les Titanides ne voulurent pas venir. L’idee meme les mettait a l’evidence mal a l’aise. Elles resterent donc au soleil tandis que Cirocco guidait les trois humains dans la titanesque foret de colonnes formee par les brins du cable qui emergeaient du sol. En son centre se trouvait l’entree d’un escalier. C’etait un edifice transparent qui ressemblait vaguement a une cathedrale mais sans les imposantes proportions des monuments du moyeu.
L’escalier descendait en spirale autour de l’invisible brin axial du cable central. La cage etait assez large pour accueillir vingt personnes de front et sa hauteur atteignait cinquante metres. Les lanternes etaient inutiles car le plafond etait constelle de creatures volantes qui jetaient une lueur d’un orange rougeoyant.
Chris avait cru que Cirocco plaisantait en leur annoncant que l’escalier descendait sur cinq kilometres. Mais c’etait litteralement exact. Meme avec une pesanteur d’un quart de g, il n’est pas question de descendre une telle quantite de marches sans faire de haltes. Ils en virent pourtant le bout. Chris etait en meilleur etat que prevu : mis a part ses chevilles quelque peu douloureuses, il se sentait en forme.
Ils deboucherent dans une caverne d’une taille moins imposante qu’il ne l’avait imagine. Apres tout, c’etait Crios, et meme s’il n’etait qu’une divinite vassale, Chris avait encore a l’esprit l’etonnante grandeur des quartiers de Gaia.
Crios etait un dieu souterrain, un troglodyte qui n’avait jamais vu et ne verrait jamais la lumiere du jour. Son domaine avait l’odeur aigre des produits chimiques meles aux dejections d’un milliard de creatures et resonnait du battement de c?urs souterrains : C’etait un dieu au travail, un ingenieur au service de Gaia, un dieu qui travaillait dans la graisse qui empechait le monde de gripper.
Ils se tenaient sur la surface horizontale qui ceinturait une structure cristalline en forme de sablier joignant le sol au plafond. La caverne avait un diametre de deux cents metres et s’ouvrait sur des passages a l’est et a l’ouest.
L’objet central etait manifestement l’attraction principale. Il evoquait a Chris les machineries de l’industrie lourde sans qu’il put dire pourquoi. Il imaginait fort bien que des metaux fussent fondus dans une structure telle que celle-ci, ou que de l’electricite y fut transformee. Il se demanda si Crios vivait a l’interieur. Le cerveau proprement dit pouvait-il etre si petit ? Ou peut-etre n’etait-ce la que l’appendice superieur d’une plus vaste structure ; la chose etait au centre d’un fosse circulaire large de vingt metres et d’une profondeur insoupconnable.
« Ne t’avise pas d’y plonger, l’avertit Gaby : c’est de l’acide chlorhydrique joliment concentre. Les choses sont programmees pour que nul n’entre ici – regarde comme ca a bien marche avec les Titanides –, mais l’acide est un ultime rempart au cas ou.
— Donc, c’est bien Crios, la-devant ?
— En personne. On ne va pas vous presenter. Robin et toi vous restez pres du mur en vous abstenant de tout geste brusque. Crios connait la Sorciere et il me parlera parce qu’il a besoin de moi. Taisez-vous, ecoutez et instruisez-vous. » Elle les regarda s’asseoir puis rejoignit Cirocco au bord des douves.
« Nous parlerons anglais, commenca Cirocco.
— Tres bien, Sorciere. J’ai demande a te voir il y a 9,346 revs. Le manque d’efficacite commence a entraver le fonctionnement correct des systemes. J’avais pense deposer une plainte aupres de la Divinite des Divinites mais j’y ai sursis. »
Cirocco fouilla dans les replis de sa couverture rouge et jeta quelque chose contre la forme au milieu du lac d’acide. Il y eut un bref eclair quand l’objet heurta Crios et des taches rouges parcoururent frenetiquement sa surface.
« Je retire ce que j’ai dit.
— As-tu d’autres plaintes a formuler ?
— Aucune. Je n’ai emis aucune plainte.
— Tache de continuer.
— Il en sera comme tu l’ordonnes. »
Chris etait impressionne malgre lui. L’echange avait ete rapide, sans emotion de la part de Crios. Cirocco n’avait pas eleve la voix. L’impression etait pourtant celle d’un enfant sermonne par un parent severe.
« Tu as parle d’une “Divinite des Divinites” reprit Cirocco. Qui est-ce ?
— J’ai parle comme un humble serviteur de Gaia, dieu seul et unique. L’expression etait employee dans un sens… metaphorique », termina Crios sur un ton que Chris jugea peu convaincu.
« Tu as pourtant employe le mot divinite au pluriel. C’est pour moi une source de surprise : j’avais cru qu’une telle construction ne pouvait te venir a l’esprit.
— Il arrive qu’on entende des heresies.
— Parlerais-tu d’heresies d’importation ou bien d’origine locale ? As-tu parle avec Ocean ?
— Comme tu le sais, Ocean me parle. Il n’est pas en mon pouvoir de cesser d’ecouter. Je suis toutefois parvenu avec succes a l’ignorer totalement. Quant aux notions humaines d’importation, je suis au courant de l’innombrable variete de leurs mythes mais ils ne m’impressionnent pas. »
Une fois encore, Cirocco plongea la main dans sa couverture. Mais elle marqua une pause et de nouvelles taches rouges apparurent a la surface de Crios, dessinant une danse anxieuse. La Sorciere fit mine de ne pas remarquer. Elle considera songeusement le sol a ses pieds puis laissa reapparaitre sa main, vide.
La conversation s’orienta vers des matieres incomprehensibles pour Chris, ayant trait aux affaires courantes de Crios. Durant tout ce temps, Crios garda une attitude qui, si elle n’etait pas precisement servile, laissait toutefois entendre qu’il savait parfaitement qui etait le patron. Sa voix n’etait pas forte : une maniere de bourdonnement qui n’en etait pas moins intimidante. Cirocco dispensait ses instructions avec desinvolture, comme si dans l’echange son role etait, par necessite de nature, celui d’une reine donnant ses ordres a un homme du peuple, respecte certes, mais homme du peuple tout de meme. Elle pretait l’oreille a ses remarques puis l’interrompait au beau milieu d’une phrase pour donner sa decision. Crios ne tentait jamais de discuter ou bien de s’expliquer plus avant.
Ils parlerent plus d’une heure de questions politiques puis la conversation tourna vers des sujets plus prosaiques et Gaby fut conviee a s’y joindre. La non plus, Chris n’y comprit pas grand-chose mais a un moment donne, on discuta d’une defaillance dans un accelerateur de particules qui etait partie integrante de Crios, enterre loin sous la surface. Ce que Crios pouvait bien faire avec un accelerateur de particules demeurait pour Chris un mystere.
Un contrat prealable fut agree : Gaby s’engageait a examiner l’affaire dans un delai d’un myriarev, sous condition que Gaia fasse une offre de paiement acceptable. Elle envisageait d’entrer en contact avec une race de Phebe qui s’y entendait en travaux souterrains.
Chris remarqua que Robin s’ennuyait ferme au bout des dix premieres minutes. Il resista un peu plus longtemps mais bientot il baillait lui aussi. Ce n’est pas qu’il avait l’impression d’avoir perdu son temps dans ce voyage – il etait interessant de voir a quoi ressemblaient les cerveaux regionaux et instructif de voir Cirocco faire autre chose que boire –, mais l’escalier avait ete vraiment long. Et il apprehendait l’escalade du retour.
L’audience s’acheva sans ceremonie. Cirocco fit simplement demi-tour, adressa un signe a Robin et a Chris et tous les quatre reprirent l’escalier. Il fallut cinq bonnes minutes avant que la courbure insensible du couloir les mit hors de vue de la grotte.
Cirocco jeta un ?il derriere elle puis laissa retomber ses epaules. Elle s’assit, mit la tete dans les mains puis la rejeta en arriere avec un profond soupir. Gaby s’assit derriere elle et entreprit de lui masser les epaules.