— Pas avant que tu aies entendu le diagnostic de l’aspirant chirurgien, apprenti psychologue.
— Si ce doit etre aussi drole que tes dernieres repliques, tu pourrais me l’epargner.
— Ah ah ! Un signe de vie !
— Est-ce que tu vas te barrer ?
— Faudra que tu m’y forces. Ecoute, il y a quelques jours, tu m’aurais etripe si j’avais prononce un seul mot de ce que j’ai dit tout a l’heure. Ca me turlupine de te voir rester couchee la et tout encaisser passivement. Il te faut quelqu’un pour te redonner ton amour-propre et je suppose que ce doit etre moi.
— Est-ce la ton diagnostic ?
— En partie, je suppose. Deficience maligne d’amour-propre. Et peur d’avoir peur. C’est de la phobophobie, Robin. »
Elle etait sur le point de rire ou de pleurer et n’avait envie de faire ni l’un ni l’autre.
« Vas-tu en terminer avec ce que tu as a me dire et me laisser tranquille, s’il te plait ?
— Tu as dix-neuf ans.
— Je n’ai jamais dit le contraire.
— Ce que je veux te faire comprendre, c’est que tu as beau te croire endurcie, tu as eu beau croire que tu l’etais, tu n’as pas assez vecu pour avoir subi beaucoup d’epreuves. Tu as debarque a Tethys en croyant que rien ne pouvait te faire peur et tu t’es gouree. T’as pisse dans ton froc, t’as degueule et tu t’es mise a chialer comme une mome.
— J’ai toujours apprecie ta delicatesse envers moi.
— Il serait temps que quelqu’un te mette le nez dessus : tu as passe le plus clair de ton existence avec ces crises sans y avoir jamais vraiment fait face.
— Je n’y ai jamais cede, en tout cas.
— Bien sur que non. Mais tu n’es pas arrive non plus a t’y faire. C’est a peine si tu veux bien admettre leur existence. Au Covent, tu montais la garde devant des appareillages vitaux et, ce faisant, tu mettais en danger tout ton univers et toutes tes s?urs.
— Comment as-tu…» Elle porta la main a sa bouche et se mordit le doigt en attendant que se dissipe en partie le feu de la honte.
« Tu parles dans ton sommeil, expliqua-t-il. Robin, on interdit aux epileptiques de piloter les avions. Parce que ce ne serait pas correct pour ceux sur qui l’appareil pourrait degringoler. »
Elle soupira puis finit par opiner d’un hochement de tete saccade.
« Je ne discuterai pas avec toi. Mais quel rapport avec ce qui s’est produit dans le desert ?
— Tout, a mon avis. Tu as decouvert quelque chose de deplaisant sur ton propre compte. Tu as eu la trouille, tu t’es bloquee. Et tu as reagi de la meme facon que durant tes crises, c’est-a-dire sans reagir du tout. Je rectifie : tu t’es coupe le doigt. Que vas-tu te couper cette fois-ci ? Si t’etais un homme, j’aurais bien une suggestion macabre mais j’ignore ce qui tient lieu chez la femme de glande heroique. As-tu une idee quelconque ? J’apprends la chirurgie : un peu de pratique me ferait du bien. »
Elle avait horreur de l’entendre parler ainsi. Elle aurait simplement voulu qu’il se taise et s’en aille. Loin, tres loin. En elle bouillait une colere incroyable, la pression montait inexorablement : s’il ne se depechait pas de partir, elle allait surement exploser et le tuer. Et pourtant, elle n’etait meme pas capable de le regarder en face.
« Alors, que dois-je faire, selon toi ?
— Je te l’ai deja dit : voir les choses en face. Reconnaitre ce qui t’est arrive, admettre que tu n’en es pas fiere et que ca peut se reproduire. On a vraiment l’impression que tu essaies de faire comme si rien ne s’etait passe et comme tu n’y parviens pas, tu preferes rester en plan, incapable d’agir. Dis-toi que tu as eu la trouille – une seule fois, et, qui plus est, dans une situation vraiment difficile – et repars de la. Peut-etre qu’alors tu pourras commencer a chercher comment y parer la prochaine fois.
— Ou bien admettre le fait que ca pourrait fort bien recommencer.
— Il y aura toujours ce risque. »
Elle etait finalement parvenue a le regarder. A sa propre surprise, elle decouvrit qu’elle n’etait plus fachee de le voir. Son visage n’avait plus rien de moqueur. Elle savait que si elle le lui demandait, il n’en parlerait plus et n’en dirait jamais rien a personne. D’une certaine facon, cela n’avait plus autant d’importance.
« Tu as l’air d’etre tres partisan de voir les choses en face. Quant a moi, je prefere lutter contre. C’est plus… satisfaisant. » Elle haussa les epaules.
« Plus facile aussi.
— Dans un sens.
— Ce serait plus facile de se couper un autre doigt que de faire ce que tu dis.
— Ca, je veux bien le croire.
— J’y reflechirai. Maintenant, tu veux bien me laisser seule ?
— Je ne crois pas. Je vais etre bientot pret a reduire les fractures de Valiha. Pendant que je relis tout encore une fois et que je rassemble le materiel, tu pourrais nous preparer quelque chose a manger. Il reste encore pas mal de bouffe dans le sac de Valiha et il y a de l’eau de l’autre cote de cette crete. Prends la lanterne avec toi ; je me suis improvise une torche pour pouvoir lire. »
Elle le regarda avec des yeux ronds : « Ce sera tout ?
— Non. Pendant que tu y es, tache de nous trouver de quoi faire des attelles. La plupart des plantes que j’ai vues sont plutot tordues et rabougries mais on ne sait jamais. Mettons cinq ou six perches d’un metre environ. »
Elle se frotta le visage. Elle avait envie de dormir encore quelques annees et pas du tout de se reveiller.
« Des perches, de l’eau, a diner. Autre chose ?
— Oui. Si tu connais des chansons, va les chanter a Valiha. Elle souffre terriblement et on n’a pas grand- chose pour la distraire. Je garde les drogues pour m’en servir pendant l’operation et quand je recoudrai ses blessures. »
Il s’appretait a partir puis se retourna : « Et tu pourrais prier, toi qui as l’habitude de prier. C’est la premiere fois que je fais ca et je suis certain de ne pas m’y prendre convenablement. Je suis terrorise. »
« Comme il dit ca facilement », songea-t-elle.
« Je t’aiderai. »
37. West End
Nasu s’etait echappe au tout debut de leur sejour dans la caverne. Chris aurait ete incapable de dire exactement quand : le temps etait devenu une quantite irrationnelle.
Robin remua ciel et terre a la recherche de son reptile. Elle se reprochait sa perte. Chris ne se sentait pas capable de la reconforter car il savait qu’elle avait raison : Gaia n’etait pas un endroit pour un anaconda. Nasu avait probablement souffert plus que quiconque, a rester love dans le sac en bandouliere de Robin pour n’en sortir qu’episodiquement. Ce n’est qu’avec beaucoup de reticence que Robin l’avait finalement laisse explorer leur campement. La roche etait chaude et Robin avait juge que son demon ne s’eloignerait guere de la lumiere de leur petit feu de camp. Chris avait eu des doutes. Il sentait qu’inconsciemment Robin attribuait au serpent des vertus d’intelligence et de fidelite presque magiques sous le simple pretexte qu’il etait son demon, quoi que put signifier un tel role. Pour lui, c’etait trop en attendre d’un serpent et Nasu devait lui donner raison. Un matin au reveil, Nasu avait disparu.
Ils passerent de longues journees a explorer les environs. Robin fouillait chaque recoin en appelant son nom. Elle laissa trainer de la viande fraiche pour l’attirer. Rien n’y fit. Elle finit par arreter lorsqu’elle eut compris qu’elle ne reverrait plus jamais l’animal. Elle se mit alors a questionner Chris et Valiha, leur demandant si le serpent pourrait survivre. On lui repondait toujours que Nasu n’aurait aucun probleme mais Chris n’etait pas certain que ce fut la verite.
Graduellement, recherches et questions cesserent, Robin admit la perte et l’incident se fondit dans l’horizon evenementiel de leur existence hors du temps.
Le probleme etait que Cornemuse avait transporte les deux horloges. Il les avait encore, a supposer qu’il