vive toujours.

Chris faisait tout pour se persuader que le probleme n’en etait pas un, meme contre toute evidence. Deja, en surface, il avait eprouve une sensation de dislocation avec cette luminosite qui ne variait qu’en fonction de la distance parcourue et, dans une moindre mesure, de la meteo. Mais ils avaient encore des horloges pour leur indiquer l’ecoulement du temps et Gaby leur avait impose un horaire ponctuel. A present, il se rendait compte qu’il n’avait aucune notion precise du temps passe depuis leur depart d’Hyperion. Ses recapitulations l’amenaient a des chiffres oscillant entre trente-cinq et quarante-cinq jours.

Au fond de la caverne, cette intemporalite s’intensifiait. Chris et Robin dormaient lorsqu’ils avaient sommeil et ils baptisaient chacune de ces periodes un jour, tout en sachant que sa duree pouvait varier de dix a cinquante-cinq heures. Mais a mesure que les « jours » commencaient a s’accumuler, Chris decouvrit qu’il avait de plus en plus de difficultes a retrouver l’enchainement des choses. Pour ajouter a la confusion, ils n’eurent que tardivement l’idee de tenir un calendrier de leurs periodes de sommeil. Comme quinze a vingt « nuits » etaient passees avant qu’ils ne commencent a faire des encoches dans un bout de bois, tous leurs calculs devaient se faire plus ou moins un nombre inconnu de jours. Et meme ce calendrier n’etait utile qu’en estimant la duree moyenne de leurs jours a vingt-quatre heures, une supposition que Chris jugeait loin d’etre prudente.

Et c’etait important : car meme s’ils n’avaient pas d’horloge, un processus etait a l’?uvre qui mesurait le temps avec la meme precision que la desintegration nucleaire : Valiha portait un bebe Titanide.

Elle estimait avoir ete blessee a la 1200e rev de sa grossesse, avec une marge d’erreur car elle n’avait pas souvenance de sa descente dans l’escalier de Tethys. Elle ne se rappelait pas grand-chose entre la mort de Gaby et son propre retour a la conscience apres l’echec de la tentative pour franchir la crevasse qui lui avait coute deux jambes brisees. Chris traduisit ces 1200 revs en une cinquantaine de jours, soit un mois et deux tiers et il se sentit un petit peu mieux. Il lui demanda ensuite si elle savait combien de temps mettraient ses jambes a guerir.

« Je serai probablement capable de marcher avec des bequilles dans un kilorev », et elle ajouta, serviable :

« Ca fait quarante-deux jours.

— Tu n’irais pas bien loin sur des bequilles, ici.

— C’est probable, s’il y a de l’escalade a faire.

— Il y a de l’escalade a faire », indiqua Robin qui avait explore les alentours sur un rayon de deux a trois kilometres.

« Dans ce cas, il faudrait compter jusqu’a cinq kilorevs pour une guerison complete. Quatre peut-etre. Je doute d’etre tres vaillante en moins de trois.

— Jusqu’a sept mois. Peut-etre cinq ou six. » Chris fit le calcul puis se detendit quelque peu. « Ce sera juste mais je pense qu’on peut te sortir de la avant que tu n’arrives a terme. »

Valiha parut perplexe puis son visage s’eclaira.

« Je vois ton erreur, dit-elle placidement. Tu croyais qu’il me faudrait neuf de vos mois pour faire le boulot. Nous sommes plus rapides que ca. »

Chris se frotta les yeux avec la paume des mains.

« Combien de temps ?

— Je me suis souvent demande pourquoi les femelles humaines avaient besoin d’autant de temps pour produire quelque chose d’aussi petit et d’aussi inacheve – sauf votre respect. Nos petits a nous sont capables des la naissance de…

— Combien de temps ? repeta Chris.

— Cinq kilorevs, dit Valiha. Sept mois. Je lui donnerai certainement naissance avant de pouvoir esperer remarcher. »

* * *

L’intemporalite commencait a l’effrayer : un beau jour, il se surprit a tenter de retablir la chronologie des evenements ayant suivi la decouverte de Valiha ; en vain. Il retrouvait une partie des choses parce qu’elles s’etaient enchainees lors d’une periode d’eveil. Il etait certain d’avoir reduit les fractures de Valiha peu apres sa discussion avec Robin parce qu’il avait souvenance de l’avoir laissee pour s’appreter a l’operation. Il se rappelait la capture de leur premier oiseau-luire parce qu’elle avait suivi leur premiere periode de sommeil.

Les petites creatures luminescentes n’avaient pas peur d’eux mais elles evitaient les zones d’activite. Tant qu’ils evoluaient autour du camp, les oiseaux-luire restaient a distance mais des qu’ils s’appretaient a dormir, ils arrivaient a tire-d’aile et se perchaient a quelques metres seulement.

Robin avait pu des le premier « matin » approcher l’un d’eux et meme aller jusqu’a le toucher. Ils avaient apprecie la lumiere dispensee par la douzaine d’oiseaux-luire mais, quelques minutes plus tard, ils avaient commence a s’eloigner. Robin avait attrape le dernier et l’avait attache a un piquet autour duquel il avait volete toute la journee et, des le lendemain, une autre douzaine d’oiseaux-luire etait revenue. Cette fois-ci, elle les captura tous, d’autant qu’ils ne faisaient guere d’efforts pour s’echapper.

C’etaient des creatures globulaires emplies d’air. Des yeux en trou de vrille, pas de tete a proprement parler, des ailes fines comme des bulles de savon et un pied unique muni de deux doigts. Avec la meilleure volonte, Chris ne trouva rien qui put ressembler a une bouche et tous ses efforts pour les nourrir furent vains. Ils mouraient s’ils restaient captifs plus de deux jours, si bien que Robin et lui ne les utilisaient que durant une seule periode de veille, capturant un nouveau groupe chaque matin. Une fois morts, ils n’avaient pas plus de presence qu’un ballon creve. Touches au mauvais endroit, ils pouvaient assener une puissante decharge electrique. Chris avait une theorie selon laquelle ils contenaient du neon – la lumiere orangee y faisait nettement penser –, mais c’etait tellement improbable qu’il la garda pour lui.

Avec Robin, ils avaient deplace Valiha au tout debut de leur sejour : ils s’etaient tous lasses de leur perchoir incline de vingt degres a dix metres de hauteur. Chris s’etait creuse un bon moment pour trouver le meilleur moyen de la deplacer avant que Robin ne lui suggere tout simplement de la porter. A sa surprise, cela marcha. Apres avoir confectionne une civiere, ils gagnerent le plateau par etapes de quelques metres a la fois. Dans cette gravite d’un quart de g, ils pouvaient tout juste soulever a deux la Titanide meme s’ils ne pouvaient pas la Porter longtemps.

Ce fut sur le plateau qu’ils etablirent leur camp et s’installerent pour la longue attente. A l’epoque, ils etaient encore loin d’envisager avec optimisme leurs chances de survie car meme avec le plus severe rationnement, les vivres ne leur dureraient pas plus de cinq ou six cents revs. Mais ils n’en construisirent pas moins un abri comme s’ils s’attendaient a rester les six ou sept mois necessaires a Valiha pour qu’elle se retablisse. Ils dresserent la tente et passerent le plus clair de leur temps a l’interieur bien qu’il n’y eut pas de precipitations et que la temperature se maintint uniformement a vingt-huit degres. On s’y sentait simplement mieux que dans la caverne emplie d’echos.

Valiha se mit a leur sculpter des objets. A tel point que Robin passait son temps a la recherche des rares arbres rabougris qui seuls fournissaient un bois susceptible d’etre taille. La Titanide semblait la moins affectee par l’ennui ; pour elle, ce n’etait qu’une sieste prolongee. Chris se disait que pour un humain, ce serait l’equivalent d’un sommeil de six mois.

Ils etaient dans la partie ouest d’une caverne irreguliere qui faisait en moyenne un kilometre de largeur et s’etendait vers l’est sur une distance indefinissable. Le sol en etait un desesperant chaos d’eboulis, de crevasses, d’aretes, de puits et de pentes. Aux minuscules points de lumiere qu’etaient devenus les oiseaux-luire suspendus au plafond, on pouvait en deduire que celui-ci etait distant d’au moins un kilometre. Plus peut-etre. Au nord comme au sud, on comptait une incroyable quantite d’ouvertures. Des entrees de tunnel debouchaient sur des corridors fort semblables a celui par lequel ils s’etaient enfuis. La plupart semblaient avoir ete fores a meme la roche ; quelques-uns etaient etayes par des troncs. Certains montaient, d’autres descendaient. D’autres encore etaient horizontaux mais tous se divisaient au bout d’une centaine de metres en deux ou trois autres tunnels et si peu qu’on suive assez loin ces derniers, ils bifurquaient egalement. Qui plus est, les parois rocheuses avaient des fissures analogues a celles des grottes naturelles. Ces failles ouvraient sur un tel chaos qu’il semblait vain de les explorer. Un chemin prometteur donnait sur un passage si etroit que meme Robin avait peine a s’y faufiler, puis debouchait sur une salle dont elle ne pouvait que deviner les dimensions.

Au debut, Chris accompagna Robin dans ses explorations mais en revenant, il trouvait chaque fois Valiha

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