dans un tel etat de desespoir qu’il cessa bientot. Par la suite, Robin partit seule chaque fois qu’elle put obtenir l’approbation de Chris.

Ce dernier etait impressionne des changements intervenus chez la jeune fille. Ce n’etait peut-etre pas une revolution, mais pour qui la connaissait, c’etait spectaculaire : elle l’ecoutait et, generalement, faisait ce qu’il lui disait meme lorsque c’etait contraire a ses desirs. Au debut, il en fut etonne : il ne l’aurait pas crue disposee a obeir a un homme. Une plus ample reflexion l’amena a la conclusion que le fait d’etre un male n’etait pas le point important. Robin s’etait raisonnablement bien comportee comme membre d’un groupe mene d’abord par Gaby puis par Cirocco, mais Chris avait l’impression que si l’une ou l’autre lui avait demande de faire une chose qu’elle repugnait a accomplir, elle les aurait plaquees sur-le-champ. Elle n’aurait rien fait pour nuire au groupe – a moins qu’on ne put qualifier de nuisible un tel abandon –, mais elle gardait toujours a l’esprit la possibilite de faire cavalier seul ; elle n’avait pas l’esprit d’equipe.

Elle ne s’etait pas non plus transformee comme par magie en domestique sous la tutelle de Chris. Pourtant, il y avait une difference. Elle etait plus encline a preter l’oreille a ses arguments, a reconnaitre quand il avait raison. Il n’y avait pas eu de bagarre. En un sens, on n’avait guere besoin d’un chef dans un groupe reduit a trois elements mais comme Robin prenait rarement l’initiative et Valiha jamais, le role echut en fait a Chris. Robin etait trop egocentrique pour etre un chef. Par moments, cela la rendait insupportable pour son entourage. A present, elle avait quelque chose en plus : Chris y voyait une touche d’humilite et de responsabilite. C’etait l’humilite qui lui permettait d’admettre qu’elle put se tromper et d’ecouter ses arguments avant de prendre une decision. Et c’etait la responsabilite vis-a-vis de quelque chose de plus important qu’elle qui la poussait a rester avec Chris et Valiha jour apres jour, malgre l’ennui, plutot que de partir chercher du secours de son cote, ce qui etait son plus cher desir.

Sur bien des points on faisait des compromis. Le gros ecueil venait de ses explorations de la caverne. La meme discussion revenait a l’infini, pratiquement dans les memes termes et ils n’y croyaient pas plus l’un que l’autre : L’ennui se faisait intense, ils avaient epuise tous les sujets qu’ils avaient en commun et les desaccords finissaient par leur procurer une diversion bienvenue.

Je n’aime pas te voir partir seule comme ca », disait Chris pour au moins la vingtieme fois. « J’ai un peu lu sur la speleo et ce n’est pas du tout comme d’aller nager tout seul au large.

— Mais tu ne peux pas venir avec moi. Valiha a besoin de toi.

— Je suis desolee », dit Valiha.

Robin toucha la main de la Titanide et lui assura qu’elle ne lui reprochait rien, s’excusant meme d’avoir aborde cet epineux sujet. Quand Valiha fut apaisee, elle poursuivit :

« Quelqu’un doit y aller. On mourra tous de faim si je n’y vais pas. »

Elle avait raison et Chris le savait. Il n’y avait pas que des oiseaux-luire dans la caverne et ces animaux ne semblaient, eux non plus, ni craintifs ni agressifs. On pouvait les approcher et les tuer facilement mais il etait moins facile de les denicher. Robin en avait jusqu’a present decouvert trois especes, chacune de la taille d’un gros chat ; depourvus de poil et de dents, ils etaient lents comme des tortues. Nul ne savait a quoi ils pouvaient bien passer leur existence mais Robin les trouvait toujours gisant immobiles a proximite de cones gris d’une substance elastique et chaude qui pouvait aussi bien etre une plante qu’un animal sessile mais qui etait sans doute vivante et s’enracinait fermement au sol. Elle avait baptise ces masses caoutchouteuses des trayons parce qu’elles evoquaient des pis de vache et les trois sortes d’animaux : concombres, laitues et crevettes. Non a cause de leur gout – tous trois ressemblaient plus ou moins a du b?uf –, mais d’apres les trois organismes terriens qu’ils copiaient. Elle avait marche a cote des concombres pendant des semaines avant de buter accidentellement dans un specimen qui l’avait alors regardee, revelant ses grands yeux ahuris.

« On se debrouille tres bien, repondit Chris. Je ne vois pas pourquoi tu eprouves le besoin de sortir encore plus souvent. » Mais ce disant, il savait bien qu’il avait tort. Certes, ils avaient de la viande, mais tout juste assez pour l’enorme appetit de Valiha.

« On n’en aura jamais trop », contra Robin tout en indiquant du regard qu’ils n’allaient pas discuter de ce qu’ils pensaient tous les deux en presence de Valiha. Ils avaient deja debattu de sa grossesse et lui avaient indique une partie de leurs craintes pour decouvrir qu’elle les partageait tout autant et s’inquietait de ne pas avoir suffisamment de nourriture ou de ne pas avoir le regime convenable pour un developpement harmonieux de son enfant. « Ces machins sont durs a trouver, poursuivait Robin. J’aimerais mieux qu’ils detalent a mon approche. Tels qu’ils sont, je peux passer a moins d’un metre d’eux sans meme les voir. »

Et la discussion se poursuivait a l’infini sans jamais aboutir a rien.

Robin partait un jour sur deux, ce qui etait deux fois moins que ce qu’elle voulait et mille fois trop pour le gout de Chris. Lorsqu’elle n’etait pas la, Chris passait son temps a l’imaginer gisant brisee au fond d’un puits, inconsciente, hors d’etat d’appeler a l’aide ou trop loin pour qu’on l’entende. Lorsqu’elle etait au camp, elle passait son temps a tourner en rond, a faire les cent pas, a lui crier apres, a s’excuser puis a crier encore. Elle l’accusait de se conduire comme sa mere, de la traiter comme une enfant, sur quoi il retorquait qu’elle se conduisait effectivement comme une enfant, et qui plus est, une enfant capricieuse et mal elevee et chacun d’eux savait que l’autre avait raison et ni l’un ni l’autre ne pouvaient rien y faire. Robin brulait d’aller chercher du secours mais ne pouvait partir tant qu’ils auraient besoin d’elle pour chasser et Chris desirait tout autant partir mais ne pouvait le dire devant Valiha, si bien qu’ils bouillonnaient et s’asticotaient et que le probleme semblait insoluble jusqu’au jour ou Robin, de colere, plongea son couteau dans l’un des trayons gris, ce qui lui valut d’etre arrosee d’un liquide gluant et blanc.

* * *

« C’est le lait de Gaia », dit avec joie Valiha et sans attendre, elle vida l’outre que Robin avait remplie.

« Je n’aurais pas cru qu’on en trouve a cette profondeur.

Dans mon pays, il coule entre deux et dix metres sous le sol.

— Que veux-tu dire par “lait de Gaia” ? demanda Chris.

Je ne sais comment mieux l’expliquer ; c’est tout simplement cela : le lait de Gaia. Et cela signifie que mes ennuis sont termines. Mon fils pourra profiter grace a lui. Le lait de Gaia contient tout ce qui est necessaire a la subsistance.

— Et nous ? demanda Robin. Est-ce que des pers… est-ce que des humains peuvent egalement en boire ?

— Les humains s’en trouvent fort bien. C’est l’aliment universel.

— Quel gout ca a, Robin ? demanda Chris.

— Je ne sais pas, moi. Tu croyais pas que j’allais en boire, non ?

— Les humains de ma connaissance qui l’ont essaye disent que c’est legerement amer, dit Valiha. Je suis assez d’accord mais je crois que sa qualite varie d’une rev a l’autre. Quand Gaia est contente, il devient plus sucre. Lorsqu’elle est en colere, son lait epaissit et devient ec?urant mais il est toujours nourrissant.

— D’apres toi, comment se sent-elle a l’heure actuelle ? » s’enquit Robin.

Valiha leva l’outre pour boire les dernieres gouttes. Elle dodelina du chef pensivement.

« Soucieuse, je dirais. »

Robin rit : « Qu’est-ce qui pourrait rendre Gaia soucieuse ?

— Cirocco.

— Que veux-tu dire ?

— Ce que j’ai dit. Si la Sorciere vit toujours et si nous survivons pour lui raconter les derniers instants de Gaby et lui repeter ses dernieres paroles, Gaia tremblera. »

Robin paraissait dubitative et Chris partageait in petto son point de vue. Il ne voyait pas en quoi Cirocco pouvait presenter une menace pour Gaia.

Mais la signification de sa decouverte n’avait pas echappe a Robin :

« A present, rien ne m’empeche d’aller chercher du secours », dit-elle pour commencer une discussion qui allait durer trois jours et dont Chris etait sur des le debut de sortir perdant.

* * *

« La corde. Tu es sure d’avoir assez de corde ?

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