elle ses anterieurs raidis, immobilises dans leur gouttiere.

Le premier indice qu’il eut de son inconfort fut lorsqu’elle mentionna, en passant, que les Titanides hospitalisees etaient suspendues dans un hamac, en laissant pendre les membres blesses. Il s’etonna :

« Pourquoi ne pas me l’avoir dit plus tot ?

— Je ne voyais pas a quoi cela aurait pu servir, puisque…

— Crottin ! » s’exclama-t-il, en s’attendant a la voir sourire. C’etait devenu son juron favori, une maniere de se moquer gentiment en faisant semblant de raler devant la corvee quotidienne de nettoyage. Mais cette fois, elle ne sourit pas.

« Je crois que je pourrais t’installer quelque chose comme ca, expliqua-t-il. Tu te tiendrais sur les posterieurs, d’accord ? Alors, avec une espece de berceau passant entre les anterieurs et derriere eux… je pense que c’est faisable. » Il attendit, mais elle ne dit rien. Elle ne voulait meme pas le regarder.

« Qu’y a-t-il, Valiha ?

— Je ne veux pas etre une source de problemes », repondit-elle de maniere presque inaudible avant de se mettre a pleurer.

C’etait la premiere fois qu’il la voyait pleurer. Quel idiot faisait-il d’avoir cru sous pretexte qu’elle ne pleurait pas que tout allait pour le mieux ! Il s’approcha ; elle l’accueillit avec flamme. C’etait bizarre au debut, de reconforter quelqu’un de ce gabarit surtout que la posture qu’imposait son etat ne facilitait pas les choses. Il se detendit pourtant bientot et parvint a la consoler en ne songeant qu’a l’instant present. C’est vrai qu’elle ne lui avait jamais demande grand-chose, s’apercut-il, et meme ce peu, il ne le lui avait pas donne.

« Ne t’inquiete pas pour ca, susurra-t-il dans la longue coquille ourlee de son oreille.

— J’ai ete si stupide, gemit-elle. C’etait stupide de se casser, les jambes.

Tu ne peux pas t’accuser d’un accident.

Mais je me rappelle : pas grand-chose, mais je me rappelle au moins cela. J’etais tellement terrorisee. Je ne sais plus ce qui s’est passe la-bas… la-bas dans l’escalier. Je me rappelle une douleur terrible ; je n’avais qu’une seule idee : fuir. J’ai couru et j’ai couru et lorsque je suis arrivee devant le ravin, j’ai saute, tout en sachant pertinemment que je n’atteindrais jamais l’autre bord.

— On fait tous des betises lorsqu’on a peur, la raisonna-t-il.

— Oui, mais maintenant tu es coince ici par ma faute.

— Nous sommes coinces tous les deux, admit-il. Je ne pretendrai pas que je me plais ici ; ce serait idiot. Aucun de nous n’a envie de moisir ici. Mais aussi longtemps que tu seras mal en point je resterai avec toi. Et je ne te reproche rien de ce qui est arrive pour la bonne et simple raison que rien n’est de ta faute. »

Elle ne dit rien mais continua de sangloter doucement un long moment. Lorsqu’elle eut fini de pleurer, elle renifla bruyamment et le regarda dans les yeux.

« J’ai envie de rester ici, dit-elle.

— Quoi ? » Il se recula legerement mais elle le tenait bien.

« Je veux dire que je t’aime beaucoup.

— Je ne crois pas que ce soit vraiment moi que tu aimes. »

Elle hocha la tete. « Je vois ce que tu veux dire, mais ce n’est pas vrai. Je t’aime tout le temps, que tu sois calme ou enrage. Tu as tant de facettes. J’ai l’impression d’etre peut-etre la seule a les avoir connues toutes. Et je les aime toutes.

— Quelques toubibs ont pretendu les connaitre toutes », remarqua-t-il sans joie. Comme Valiha ne repondait pas, il en vint a la question qu’il redoutait de poser depuis un long moment : « Est-ce que je te fais l’amour quand je suis fou ?

— Nous faisons l’amour avec tumulte et passion. Tu es mon etalon viril et je suis ton androgyne erotomane. Nous passons des ebats frontaux a la communion anterieure puis on se titille a tatons. Ton penis…

— Stop, stop ! Je ne t’ai pas demande de details salaces.

— Je n’ai rien dit de rhyparographique, retorqua-t-elle vertueusement.

— Je n’ai pas… qu’est-ce que t’as fait ? T’as bouffe un dictionnaire ?

— Je me dois de connaitre tous les termes anglais, pour mon experience.

— Que… ? tant pis, tu me raconteras ca plus tard. Je sais que je t’ai fait l’amour une fois. Je voulais juste savoir si je continuais.

— Pas plus tard qu’il y a vingt ou trente revs.

— Et ca ne te gene pas que je fasse ca seulement lorsque je suis fou ? »

Elle considera la question. « J’ai toujours eu du mal a comprendre ce que tu voulais dire par fou. Parfois, tu perds une partie de tes inhibitions – encore un terme avec lequel j’ai des difficultes. Cela te cree des problemes avec les femmes humaines qui ne desirent pas copuler avec toi, et avec tous ceux qui se mettent en travers de tes desirs. Moi, je n’ai pas de probleme parce que des que tu commences a devenir turbulent, je te prends par les cheveux et je te tiens a bout de bras. Quand tu es calme, je te raisonne. Tu y reagis parfaitement bien. »

Chris eut un rire qui meme pour lui sonnait creux.

« Tu me sideres. J’ai ete examine par les meilleurs medecins de la Terre. La seule chose qu’ils ont pu faire, c’est de me donner des pilules a peu pres inefficaces. Ils seraient fascines d’entendre ton traitement : le prendre par les cheveux, le tenir a bout de bras et raisonner avec lui. Ah, douce raison !

— Ca marche, retorqua-t-elle sur la defensive. Je suppose que ca pourrait fonctionner dans une societe ou tout le monde serait plus grand que toi.

— Mon comportement dans ces moments-la ne te fait pas reculer ? Les Titanides ne se violent jamais, n’est-ce pas ? Je m’attendais a ce que tu me trouves… disons, repugnant, lorsque je me comporte ainsi. C’est tellement anti-titanien.

— Je trouve la plupart des comportements humains anti-titaniens. Peut-etre, lorsque tu es « fou », ton comportement est-il un soupcon plus agressif que la normale mais toutes tes passions s’en trouvent exaltees, l’amour comme l’agressivite.

— Je ne suis pas amoureux de toi, Valiha.

— Si, tu l’es. Meme cette partie de toi, celle qui est raisonnable, m’aime d’un amour de Titanide : immuable mais trop grand pour n’etre reserve qu’a une seule personne. C’est toi qui me l’as dit lorsque tu etais fou. Tu m’as dit que ton moi raisonnable n’admettrait pas cet amour.

— Il t’a menti.

— Tu ne me mentirais pas.

— Mais je suis la pour etre gueri de tout ca ! s’exclama-t-il avec une frustration croissante.

— Je sais, gemit-elle, de nouveau au bord des larmes. J’ai si peur que Gaia te guerisse et que tu ne connaisses jamais ton amour pour moi ! »

Chris n’avait jamais entendu une discussion aussi dingue. Mais peut-etre etait-ce lui qui l’etait, dingue ; definitivement. C’etait dans le domaine du possible. Mais il ne voulait pas la voir pleurer ; c’est vrai qu’il l’aimait bien et soudain, ca ne rima plus a rien de lui resister. Il l’embrassa. Elle repondit instantanement a son baiser, avec une force et une passion alarmantes, puis elle s’interrompit pour coller ses levres contre son oreille :

« N’aie pas peur, lui dit-elle. Je ferai doucement. »

Il sourit.

* * *

Ce ne fut pas facile mais en fin de compte il parvint a confectionner le berceau lui permettant de se reposer confortablement pendant que ses jambes guerissaient. Denicher trois perches suffisamment longues et solides parmi les buissons rabougris qui, dans cette caverne passaient pour des arbres, ne fut pas une mince affaire mais une fois qu’il les eut trouvees, il n’eut pas de mal a monter un grand trepied. Il avait juste assez de corde pour faire l’echarpe qu’il rembourra avec l’etoffe de vetements inutiles dans la chaleur de la grotte. Quand ce fut termine, Valiha se hissa avec precaution a la force des mains et Chris positionna ses jambes dans les boucles. Elle se laissa glisser dans le berceau en poussant un soupir de contentement. Par la suite, elle devait passer le plus clair de son temps avec les sabots anterieurs suspendus a quelques centimetres du sol.

Mais pas tout le temps. Dans le berceau, il n’etait pas possible de faire l’amour frontalement et cette activite etait rapidement devenue une part importante de leur existence. Chris ne tarda pas a se demander comment il avait pu survivre si longtemps sans cela puis il comprit qu’evidemment la question ne se posait pas : il n’avait pas

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