cesse de faire l’amour avec elle depuis le debut. Il sentait maintenant qu’il aurait probablement succombe au desespoir pour se laisser deperir et mourir de faim au milieu de l’abondance. Meme le lait de Gaia avait meilleur gout et il se demanda si la difference venait de lui et non de Sa Majeste.
Valiha n’etait pas une femme : ca n’aurait rime a rien de se hasarder a la trouver mieux ou moins bien ; elle etait differente. Elle avait un vagin frontal qui se conformait a son anatomie avec une lubrique precision trop belle pour etre le fruit du hasard cosmique. C’est presque s’il n’entendait pas glousser Gaia. Quelle blague vis-a-vis de l’humanite de s’etre arrange pour que la premiere intelligence non humaine qu’elle rencontre fut en mesure de jouer aux memes jeux et avec le meme equipement ! Valiha etait un vaste terrain de jeux charnels, du bout de son large nez a l’extremite de ses sabots arriere en passant par toute la surface de sa douce peau doree et tachetee. Elle etait entierement humaine – sur une plus grande echelle – par la caresse de ses mains, la masse de ses seins, le gout de sa peau, de ses levres et de son clitoris. Et en meme temps, elle etait parfaitement inhumaine avec ses genoux saillants, les muscles lisses et fermes de son dos, de ses hanches et de ses cuisses, et avec l’imposante saillie de son penis lorsqu’il emergeait, humide et glissant, de son fourreau. Lorsqu’il l’embrassait dans le creux derriere ses oreilles d’ane si expressives, elle avait une odeur humaine.
Il eut au debut du mal a admettre la presence de la plus grande partie de son corps. Il essaya bien de faire comme si elle n’existait que de la tete au pubis, en ignorant la surabondance sexuelle qu’elle contenait. Mais Valiha lui fit decouvrir en douceur les surprenantes possibilites de ses deux autres tiers. Ses hesitations etaient partiellement attribuables a ce Prejuge latent qu’il avait combattu lorsqu’il le rencontrait chez les autres, sans s’apercevoir qu’il le partageait egalement : une partie de son corps etait chevaline, cela voulait donc dire qu’elle etait partiellement cheval et on ne devait pas avoir de rapports avec les animaux. Il dut se debarrasser de tout cela. Il decouvrit que c’etait etonnamment facile : par bien des cotes, elle etait moins chevaline que lui n’etait simiesque. Une autre barriere avait egalement ete des le debut soulevee par Valiha elle-meme : elle etait androgyne – quoique gynandre eut ete le plus approprie de ces deux termes non prevus pour le cas des Titanides. Chris n’avait jamais ete homosexuel. Valiha lui fit comprendre que cela ne signifiait rien lorsqu’ils faisaient l’amour ensemble. Elle etait tout a la fois et que ses organes anterieurs fussent aussi enormes ne changeait rien a l’affaire. Chris avait toujours su que le coit n’etait qu’une faible part de l’acte d’amour.
Les bequilles titanides etaient de longues et robustes cannes munies d’appuis rembourres pour les aisselles, peu differentes de leurs homologues en usage chez les hommes depuis des millenaires. Chris n’eut donc aucun mal a en confectionner une paire.
Au debut, Valiha ne marcha qu’une cinquantaine de metres avant de revenir vers la tente apres s’etre reposee. Mais bientot elle se sentit capable d’aller plus loin. Chris plia la tente et prit tout le barda sur son dos. La charge etait volumineuse, en particulier a cause des mats du trepied. Il n’y serait jamais parvenu sans cette faible pesanteur. Et meme avec cet avantage, c’etait dur.
Valiha progressait en roulant les epaules, levant tour a tour ses bequilles puis faisant suivre ses posterieurs. Ce mouvement engendrait une contrainte inhabituelle au niveau des epaules, de la partie humaine de son dos et de la courbure a angle droit de son epine dorsale. Chris n’avait aucune idee de l’agencement du squelette dans cette zone ; la seule chose dont il etait sur etait que sa structure vertebrale devait etre fort differente de la sienne pour lui permettre de tourner completement la tete ou d’executer quelques-unes des contorsions improbables dont il avait pu etre le temoin. Mais elle lui ressemblait assez pour attraper des tours de rein. Chaque fin d’etape la voyait grimacant de douleur. Les muscles au creux de son dos etaient raides comme des cables tendus. Malgre les efforts de Chris, les massages ne suffisaient pas. Pour lui procurer quelque soulagement, il dut finalement la marteler de ses poings comme s’il attendrissait de la viande.
Ils s’endurcirent meme s’ils savaient l’un et l’autre que la tache n’allait pas devenir plus facile. Ils allongerent progressivement chaque etape jusqu’a un maximum que Chris estima a un kilometre et demi. Chaque jour, ils passaient le long des nombreuses marques laissees par Robin lors de son avance. Il etait impossible de savoir de quand elles dataient et il etait inutile de discuter de ce qu’ils pensaient tous les deux : de toute facon, elle aurait du revenir avec des secours depuis fort longtemps.
Ils s’acharnaient et chaque jour la question grandissait dans leur esprit :
Ou etait passee Robin ?
38. Bravoure
Il ne s’agissait meme plus d’admettre que Chris avait eu raison : Robin le savait ; elle l’avait su depuis le debut. Ca ne rimait a rien de faire cavalier seul dans un endroit comme celui-ci.
A nouveau, elle essaya de mouvoir le bras. Avec quelque resultat, cette fois-ci : un doigt fremit legerement et elle sentit quelque chose de reche en dessous. Elle deglutit avec precaution. Pour noyer dans la salive encore une de ses perpetuelles crises de frousse. Ca pouvait arriver. Et meme pire encore. Dans ce cas, elle etait bonne pour rester a jamais dans les tenebres et meme si la majeure partie du temps devait passer dans un tranquille nirvana, les toutes premieres semaines Promettaient d’etre epouvantables.
Ca faisait drole de s’imaginer que moins d’un an plus tot elle avait dix ans et n’avait peur de rien. Ce n’etait pas si vieux et pourtant, c’etait de l’histoire ancienne pour qui, le lendemain, pouvait trebucher et trouver la mort mille metres plus bas.
D’ailleurs, pourquoi la mort devrait-elle attendre jusqu’a demain ? Tandis qu’elle gisait desarmee, l’Oiseau de Nuit pouvait fondre sur elle et… lui faire subir le sort habituel aux sorcieres desarmees.
Le souffle court, une fois encore elle se contraignit a tourner la tete des quelques centimetres qui lui permettaient de verifier si, comme elle le craignait, l’Oiseau de Nuit n’etait pas tapi sur la corniche a quelques metres au-dessus d’elle. Une fois encore, elle ne parvint pas a le voir mais une goutte de sueur roula de son front et vint lui piquer l’?il.
« Tu etais censee siffler », se souvint-elle. Puis : « C’est ridicule. Tu as dix-neuf ans. Peut-etre meme vingt. Tu n’as pas eu peur de l’Oiseau de Nuit depuis tes six ans. » Malgre tout, si elle avait pu se faire toute petite, elle aurait gazouille comme un canari.
Elle etait a demi convaincue que les sons lointains qu’elle entendait pratiquement depuis avoir quitte Chris et Valiha etaient les echos de ses propres pas, le murmure assourdi des oiseaux-luire changeant de perchoir ou le bruit d’une cascade distante. Mais etre a demi convaincu laisse largement la place a l’imagination et l’image de l’Oiseau de Nuit avait surgi de ses souvenirs d’enfance pour venir piailler et criailler juste derriere son dos.
Elle ne croyait pas vraiment que c’etait l’Oiseau de Nuit ; meme dans son etat present, elle savait bien qu’aucune creature de cette sorte n’avait jamais existe, que ce soit ici ou sur Terre. C’etait une histoire que se racontaient entre elles les petites filles et rien de plus. Mais le probleme avec l’Oiseau de Nuit, c’etait que personne ne l’avait jamais vu. Il glissait en pique sur ses ailes d’ombre et vous attaquait toujours par-derriere ; il pouvait changer de taille et de forme afin de se glisser dans le moindre recoin sombre, a l’aise aussi bien dans la penombre d’une alcove que sous une couchette ou meme dans un coin poussiereux. Quoi que ce fut, ce qui etait a sa poursuite semblait jailli de ce monde de reves. Elle ne voyait rien. De temps a autre, elle croyait entendre le raclage de serres et le claquement d’un bec sepulcral.
Robin savait que la caverne n’etait pas uniquement peuplee d’oiseaux-luire, de concombres, de crevettes et de laitues sans compter les multiples especes vegetales. Il y avait aussi de minuscules lezards de verre dont le nombre de pattes variait de deux a plusieurs centaines. Ils appreciaient la chaleur et s’etaient faits de plus en plus nombreux a mesure qu’elle progressait vers l’est au point que sa premiere corvee matinale etait de vider le sac de couchage des specimens qui s’etaient glisses dedans. Il y avait des especes d’etoiles de mer ainsi que des escargots dont les coquilles etaient aussi variees que des cristaux de neige. Une fois, elle avait vu un oiseau-luire se faire happer en plein vol par quelque invisible creature ailee et, en une autre occasion, elle avait trouve ce qui pouvait aussi bien etre une partie du corps proteiforme de Gaia denude de sa couverture rocheuse qu’une creature aux cotes de laquelle une baleine bleue aurait fait l’effet d’un vairon. En tout cas, ce qu’elle savait, c’est que la chose etait tiede et charnue, et fort heureusement assoupie.
Si toutes ces creatures pouvaient vivre dans une grotte qui n’etait a premiere vue que kilometres de roches