de son exploration qu’elle ne fut pas peu surprise de ce qui l’attendait au bout du couloir. Elle en resta pendant un moment trop abasourdie pour bouger. Une odeur desagreable flottait dans l’air : Robin regarda vaguement a gauche et a droite puis vers le bas, ou une mince pellicule de liquide transparent lui lechait les orteils. Le bout de ses bottes fumait.

Elle recula d’un saut et se debarrassa en hate de ses chaussures. Elle aurait tres bien pu plonger droit dedans. Elle aurait pu y plonger la tete la premiere. S’en remplir les Poumons…

« Arrete ! » se dit-elle tout haut et elle sursauta en entendant le son de sa propre voix.

Il etait inutile de rester plantee a se lamenter sur ce qui aurait pu se produire. Elle devait s’inquieter de ce qui pouvait encore arriver.

« Thea ! » lanca-t-elle. Mais si elle etait en face de Tethys, ou de Phebe ? Elle doutait de pouvoir les distinguer, meme de pres, et, de la ou elle se trouvait, au fond d’un couloir sombre, long de plusieurs centaines de metres au bout duquel le cone du cerveau regional n’etait qu’une tache lumineuse, il ne fallait pas y penser. Mieux valait faire demi-tour pour y repenser a tete reposee et revoir eventuellement la question plus tard…

« Thea, j’ai besoin de te parler ! »

Elle tendit l’oreille tout en surveillant le niveau de l’acide qui recouvrait le sol a quelques metres de la. S’il faisait mine de monter un tant soit peu, elle etait sure d’en remontrer aux oiseaux-luire question fuite a tire- d’aile.

Mais la voix de Crios avait ete faible – a peine audible au fond des tunnels emplis d’acide – et si celle de Thethys lui avait paru plus forte, c’etait sans doute parce que la peur l’avait suspendue a ses moindres mots. Rien n’autorisait a penser que Thea put avoir plus de voix que les autres.

Robin cria de nouveau, preta l’oreille, n’entendit rien. Elle n’avait pas prevu ca. Elle avait envisage mille sortes d’ennuis, mais jamais qu’elle put se trouver dans l’incapacite de faire remarquer sa presence a Thea.

« Thea, je suis Robin du Covent, une amie de Cirocco Jones, la Sorciere de Gaia, imperatrice des Titanides et…» Elle essaya de se rappeler les titres que, dans un moment d’amertume, lui avait debites Gaby a l’Atelier de Musique ; mais en vain.

« Je suis une amie de la Sorciere », conclut-elle avec l’espoir que ca suffirait. « Si tu peux m’entendre, tu devrais savoir que je viens ici pour elle. J’ai besoin de te parler. »

Elle ecouta encore, sans plus de resultat.

« Si tu me parles, je n’arrive pas a t’entendre, cria-t-elle. Il est fondamental pour la Sorciere que je puisse te parler. Si tu pouvais faire baisser le niveau d’acide afin que je m’approche, ca nous faciliterait grandement le dialogue. »

Elle fut sur le point d’ajouter qu’elle ne presentait pour elle aucun risque mais quelque chose dans l’attitude de Cirocco face a Crios la fit se raviser ; elle ignorait s’il n’etait pas risque pour elle de copier les attitudes de Cirocco. Ce pouvait etre la pire des choses a faire. Mais il etait tout aussi possible que Thea ne comprit que le langage de la force et n’attende qu’un signe de faiblesse de sa part pour l’assassiner.

Une idee qui la fit presque rire, malgre sa terreur : qu’avait-elle pour elle, hormis sa faiblesse ? Elle etait bien capable de perdre les pedales en presence de Thea et de rester etendue, impuissante, tandis que l’enorme creature deciderait de son sort.

« T’occupe pas de tout ca », se dit-elle. Ca ne la menerait nulle part, sinon de nouveau a l’entree du corridor, dans les tenebres ameres de la defaite, si elle continuait a penser de la sorte. Elle devait faire ce qu’elle avait a faire sans s’occuper du tremblement de ses mains.

« Il faut absolument que je te parle, poursuivit-elle avec fermete. Pour cela, tu dois faire baisser le niveau d’acide. Je te previens que la Sorciere sera mecontente et, a travers elle, Gaia, si tu ne fais pas ce que je te dis. Puisque tu aimes et respectes Gaia, laisse-moi approcher. Puisque tu crains Gaia, laisse-moi approcher ! »

Ca sonnait tellement creux, tellement faux a ses oreilles : sans aucun doute, Thea l’entendrait aussi bien qu’elle, cette peur latente sous les mots, prete a la trahir.

Et pourtant, le niveau d’acide refluait. En approchant avec precaution, elle constata qu’aux endroits ou la couche avait eu plusieurs centimetres d’epaisseur ne subsistait plus qu’une mince pellicule fumante.

Elle s’assit en vitesse pour ouvrir son sac. Elle fourra ses bottes de chiffons provenant d’une chemise dechiree bien des hectorevs plus tot. Ses orteils etaient a l’etroit lorsqu’elle les renfila. Ensuite, elle enveloppa l’exterieur avec le reste de la chemise et un coin de sa couverture. Puis elle avanca sur le sol humide.

Elle examina la couverture au bout de quelques pas. L’acide ne semblait pas assez concentre pour attaquer rapidement le tissu. Elle devrait tenter le coup.

Thea etait prudente, elle aussi. L’acide se retirait avec une lenteur penible tandis que Robin dansait d’impatience. Le couloir descendait. Bientot les murs degoutterent. Puis le plafond. Elle ramena la couverture sur sa tete et poursuivit sa marche.

Elle finit par deboucher sur une corniche identique a celles qu’elle avait pu voir dans l’antre de Crios ou de Tethys.

« Parle », jaillit la voix et jamais elle n’avait ete aussi pres de detaler qu’a ce moment car cette voix etait la meme, exactement la meme que celle de Tethys. Elle dut se rememorer que Crios egalement avait eu cette voix : plate, impersonnelle, depourvue d’emotion ; une voix construite sur l’ecran d’un oscilloscope.

« Ne bouge pas, si tu tiens a la vie, continuait la voix. Je puis agir bien plus vite que tu ne crois ; alors ne te fie pas a tes experiences passees. Je suis en droit de t’abattre, puisque ceci est le saint sepulcre que Gaia en personne m’a donne et seule la Sorciere a pu y penetrer. C’est uniquement a notre amitie de longue date ainsi qu’a mon amour pour Gaia que tu dois d’etre restee en vie si longtemps. Parle, et dis-moi pourquoi tu devrais continuer a vivre. »

Elle n’est pas du genre a macher ses mots, songea Robin. Quant aux mots proprement dits… s’ils avaient jailli d’une bouche humaine, elle aurait pris leur auteur pour un fou. Et peut-etre Thea etait-elle folle mais c’etait de peu d’importance. La folie etait un terme dont les connotations n’etaient pas assez larges pour embrasser une intelligence etrangere.

« Si tu as l’intention de faire demi-tour pour fuir, poursuivit Thea, apparemment devenue mefiante, tu devrais savoir que je suis au courant de ce qui s’est passe avec celle qui vit a l’ouest de moi. Tu devrais savoir qu’elle n’y etait pas preparee tandis que moi, je suis au courant de ton approche depuis de nombreux kilorevs. Je n’ai nul besoin d’inonder mes chambres : sous la surface de mes douves se trouve un organe capable de propulser un jet d’acide assez puissant pour te couper en deux. Alors parle, ou meurs. »

Pour Robin, ces menaces etaient bon signe, de meme que cette volonte de dialogue trahissait une surprenante humilite pour une divinite de second rang.

« J’ai deja parle, repondit-elle avec toute la fermete dont elle etait capable. Si tu avais ecoute, tu saurais l’importance de ma mission. Puisque apparemment ce n’est pas le cas, je vais donc me repeter. Je suis investie d’une mission de la plus haute importance pour Cirocco Jones, la Sorciere de Gaia. Je detiens des informations qu’elle doit entendre. Si je ne puis la joindre pour les lui donner, elle en sera extremement fachee. »

A peine avait-elle prononce ces mots qu’elle eut envie de se mordre la langue : Thea etait une alliee de Gaia et l’information que Robin portait a Cirocco etait que Gaia avait tue Gaby. C’etait sans importance sauf si Tethys, qui devait y etre impliquee, s’en etait vantee aupres de Thea. Et comme cette derniere semblait en savoir long sur ce qui s’etait passe dans la chambre de Tethys, il etait clair qu’elles avaient communique.

« Quelle est cette information ?

— C’est entre la Sorciere et moi. Si Gaia veut en savoir plus, elle te le demandera. »

Il y eut un silence qui ne dut pas se prolonger plus de quelques secondes. Mais assez pour que Robin vieillisse de vingt ans. Pourtant, lorsque aucun jet d’acide ne se fut manifeste, elle en aurait hurle de joie. Elle l’avait eue ! Si elle pouvait lui dire une chose pareille et continuer a vivre, c’est bien parce que le respect que lui inspirait Cirocco n’etait pas un vain mot.

Maintenant, si elle parvenait encore a tenir quelques minutes…

Elle se mit a avancer lentement pour ne pas surprendre Thea. Elle avait fait trois pas en direction des marches qu’elle apercevait sur le cote sud de la salle lorsque Thea reparla.

« Je t’ai dit de ne pas bouger. Nous avons encore des choses a discuter.

— Je ne vois pas quoi. Ferais-tu obstacle a la porteuse d’un message pour la Sorciere ?

— La question pourrait fort bien ne pas se poser : si je te detruisais – comme j’en ai le droit ; et meme l’obligation, de par les lois de Gaia – il ne resterait pas meme un corps pour en temoigner. La Sorciere n’aurait

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