aucune raison de savoir que tu es passee par la.
— Ce n’est pas une obligation, retorqua Robin tout en renouvelant a voix basse ses prieres. J’ai moi-meme rendu visite a Crios. J’ai penetre dans ses chambres et j’y ai bien survecu puisque je suis la pour en parler. La permission de la Sorciere suffit simplement. Je le sais et tu dois bien le savoir egalement.
— Mes salles sont toujours demeurees inviolees. Il doit en etre ainsi. Nulle creature autre que la Sorciere n’a jamais penetre la ou tu te trouves.
— Et moi je te repete que j’ai vu Crios. Personne n’est plus que lui loyal envers Gaia.
— Je n’ai de lecons de loyaute envers Gaia a recevoir de personne, retorqua Thea, vertueusement.
— Alors tu ne peux pas faire moins que Crios et tu ne me toucheras pas. »
Sans doute etait-ce la un difficile dilemme moral pour Thea. Quoi qu’il en soit, il y eut encore un long silence. Robin etait trempee de sueur et les emanations d’acide lui piquaient le nez.
« Puisque tu es si loyale envers Gaia, suggera Robin, pourquoi avoir parle a Tethys ? » A nouveau, elle se demanda si elle avait vise juste. Mais elle etait habitee d’un besoin dement de mener la charade a son terme, advienne que pourrait. Il serait vain, a present, de ramper ou de plaider. Elle sentait que sa seule chance etait desormais de faire face avec fermete.
Thea n’etait pas idiote. Elle comprit qu’elle s’etait coupee en revelant ce qu’elle savait de l’experience vecue par Robin avec Tethys. Elle ne tenta pas de le nier mais au contraire repondit de maniere fort semblable a Crios lors de sa confrontation avec Cirocco :
« On ne peut s’empecher d’entendre. Je suis ainsi faite. Tethys a beau trahir, elle persiste quand meme a lui murmurer des heresies. Qu’elle s’empresse bien entendu de rapporter a Gaia. Ca peut toujours etre utile. »
Robin en conclut, soit que Tethys ignorait les revelations de Gaby, soit qu’elle n’en avait rien dit a Thea. Apres tout ce qu’on avait pu raconter sur les yeux et les oreilles de Gaia, elle n’etait plus tres sure de la portee des sens de Tethys. Elle soupconnait que l’acces a ses chambres, cinq kilometres au-dessus d’elle, etait trop eloigne pour lui permettre un espionnage direct. Mais Thea l’ignorait sans doute sinon elle aurait deja transmis l’information a Gaia, laquelle n’ayant aucune envie de voir Cirocco mise au courant des circonstances du deces de Gaby, Robin a cette heure aurait deja du etre morte.
« Tu n’as toujours pas repondu a ma question, dit Thea. Qu’est-ce qui m’empeche de te tuer maintenant puis de detruire le corps ?
— Je suis etonnee de t’entendre parler de maniere aussi deloyale.
— Je n’ai rien dit de deloyal.
— Pourtant, la Sorciere est l’agent de Gaia et tu te proposes de la tromper. Nous laisserons pour l’instant cette question pour ne considerer que l’aspect pratique des choses : la Sorciere, si elle vit, sait que…» Elle toussa, pretextant la gene provoquee par les vapeurs.
« Robin, se morigena-t-elle, toi et ta grande gueule…»
« Tu ne sais meme pas si elle est en vie ? » demanda Thea et Robin crut deceler dans la douceur de sa question des sous-entendus menacants.
— Je ne le savais pas, s’empressa-t-elle de repondre, mais a present, bien sur, il est evident qu’elle vit. Sinon, nous n’en parlerions pas. Pas vrai ?
— Je te concede ce point : elle est vivante. »
Des etincelles rouges se pourchassaient sur la surface conique de Thea. Robin s’en serait alarmee si elle n’avait pas observe une manifestation similaire lorsque Crios s’etait fait reprimander. Thea evoquait la des souvenirs cuisants.
« Comme je disais donc, la Sorciere n’ignore pas que j’ai descendu l’escalier avec mes amis. Ils sont encore en vie et ils ont toutes les chances de le rester. Tot ou tard, la Sorciere les retrouvera et alors…» Il y eut de nouvelles etincelles et Robin se demanda ce qu’elle avait pu dire : sans doute evoluait-elle en terrain delicat puis elle comprit qu’il etait bizarre que Cirocco ne fut pas
« La Sorciere va descendre voir, poursuivit Robin ; et des qu’elle les aura retrouves, ils lui diront par ou je suis allee. Tu m’objecteras que j’aurais pu me perdre dans les labyrinthes de l’ouest mais crois-tu que la Sorciere sera satisfaite tant qu’elle n’aura pas retrouve mon corps ? Et qui plus est, un corps mort de mort naturelle et non pas brule par l’acide. »
Thea etait a nouveau silencieuse et Robin savait qu’elle avait dit tout ce qu’elle pouvait. Cette derniere question une fois posee, elle n’etait plus tres sure qu’elle fut si bonne que cela. Est-ce que Cirocco viendrait bien a sa recherche ? Pourquoi ne l’avait-elle pas deja fait ? Mais sans aucun doute n’abandonnerait-elle pas Gaby. Elle n’etait quand meme pas tombee si bas ?
Thea ne le pensait pas non plus.
« Va donc, lui dit-elle. Pars en vitesse avant que je ne change d’avis. Va porter ton message a la Sorciere et fasse que ton impudent sacrilege ne te rapporte pas un seul jour de chance sur ta route. Pars, pars vite. »
Robin crut devoir mentionner qu’elle ne serait jamais passee par ici s’il y avait eu une autre sortie mais il ne fallait pas trop pousser. Le niveau d’acide remontait deja et elle commencait a craindre que Thea put encore machiner quelque accident plausible. Elle se precipita vers les marches qu’elle gravit quatre a quatre.
Elle ne ralentit pas, meme une fois hors de vue. Elle n’avait pas l’intention de ralentir du tout mais l’epuisement finit par avoir raison d’elle et elle trebucha, tomba sur les genoux et, haletante, s’etendit de tout son long sur trois marches.
Elle s’en etait tiree mais cette fois n’en eprouvait aucun soulagement. Au contraire, elle ressentait un besoin qu’elle ne connaissait que trop bien : une irrepressible envie de pleurer.
Mais ce coup-ci, les larmes ne vinrent pas.
Elle se passa le sac a l’epaule et reprit l’ascension.
L’acces a l’escalier de Thea etait obstrue par la neige. Au debut, ignorant de quoi il s’agissait, Robin s’etait approchee avec precaution. Les livres lui avaient appris que la neige etait douce et poudreuse mais ce n’etait pas le cas : celle-ci s’entassait en congeres compactes.
Elle s’arreta pour enfiler son pull. L’obscurite etait presque totale maintenant que les oiseaux-luire etaient partis. Dans sa cage neuve, le seul qui demeurait etait pratiquement mort. L’ascension precipitee ne lui avait pas laisse l’occasion d’en capturer un autre.
La premiere des choses etait de sortir a l’air libre. Si le temps n’etait pas couvert, elle devait etre en mesure de voir la Mer Crepusculaire et donc de reperer la direction de l’ouest. Au-dela, elle n’avait aucune certitude. Elle essaya de se rememorer la carte qu’elle avait etudiee jadis. Le cable central de Thea gagnait-il le sol au nord ou bien au sud de l’Ophion ? Elle n’en savait plus rien et c’etait important. Gaby leur avait dit que le meilleur itineraire pour traverser Thea etait par le fleuve gele. Une fois qu’elle se serait orientee, elle irait vers le sud et si le chemin semblait grimper, elle ferait demi-tour puisqu’elle savait en tout cas que le cable etait situe a proximite du fleuve.
Elle n’etait pas encore sortie de la foret de brins qu’elle dut enfiler tous ses vetements. Elle n’aurait jamais imagine un froid pareil. Avec malaise, elle se demanda si elle n’avait pas commis une erreur en se debarrassant de l’encombrante parka que Chris avait tenu a lui faire emporter. La chose, en son temps, avait paru sensee : elle prenait presque la moitie du volume de son sac a dos, l’encombrait et la desequilibrait et elle avait eu la certitude que deux pulls, une veste legere et le reste de ses vetements lui suffiraient a parer a toute eventualite. Mais il lui avait dit de garder la parka. Il avait bien insiste la-dessus.
Enfin, il lui restait au moins les bottes. Elles s’etaient montrees utiles dans les passages les plus delicats de l’ascension bien qu’elle eut ote leur garnissage de fourrure qui la faisait transpirer des pieds. Comme pour le reste, elles montraient certes des signes de fatigue mais, confectionnee avec soin, elles etaient encore en bon etat. Elle frotta de la neige sur les extremites tachees par l’acide en esperant que la corrosion cesserait une fois le produit dilue dans l’eau.
Elle allait repartir lorsqu’elle se souvint d’un article inutilise depuis le debut du voyage et qui allait enfin se