steriles, pourquoi pas l’Oiseau de Nuit ? A nouveau, elle essaya de regarder par-dessus son epaule et cette fois parvint a hausser quelque peu le menton. Elle parvint bientot a remuer les pieds. Mais meme apres avoir recouvre l’usage de ses membres, elle demeura longtemps immobile, les pieds presque a un metre plus bas que la tete, pour s’assurer qu’elle se controlait parfaitement avant d’oser toute tentative pour remonter la pente ou elle etait tombee.

Lorsqu’elle bougea enfin, ce fut avec d’infinies precautions. Elle glissa a reculons sur les coudes et les talons jusqu’a ce qu’elle sente le sol redevenir horizontal et se retourna alors pour etreindre la roche tiede. La pesanteur etait une chose merveilleuse lorsqu’elle vous pressait contre une surface stable mais nettement moins agreable quand elle essayait de vous deloger d’un perchoir precaire. Elle avait rarement eu l’occasion jusqu’alors de songer a la pesanteur, en tant qu’alliee ou qu’ennemie.

Lorsqu’elle eut maitrise ses tremblements, elle rampa jusqu’au bord de ce fosse contre lequel elle etait restee de si longues heures, impuissante.

Elle avait ecrase l’un des oiseaux-luire dans sa chute. L’autre etait mourant et clignotait mais il jetait encore assez de lumiere pour lui permettre d’apercevoir le fond du fosse, a un metre cinquante a peine de l’endroit ou s’etaient trouves ses pieds.

A son arrivee a Gaia, elle se serait ri d’une telle distance. Maintenant, elle ne riait pas. Apres tout, il ne fallait pas cent metres pour se tuer, pas meme dix. Un ou deux pouvaient suffire, si on tombait bien !

Elle commenca par s’ausculter le corps puis verifia son equipement. Elle ressentait une douleur aigue au cote mais une inspection minutieuse lui revela qu’aucune cote n’etait cassee. Elle avait du sang seche sous le nez ; elle s’etait cognee lorsque ses jambes s’etaient derobees sous elle, juste avant cette terrifiante glissade dans le vide, les pieds devant. Mis a part cela, plus quelques eraflures et un ongle retourne, tout allait bien. Un inventaire de l’equipement qui lui restait apres plusieurs allegements successifs ne revela aucune perte.

La cage des oiseaux-luire etait certes brisee mais elle n’avait plus aucun pensionnaire a y mettre et elle pourrait toujours en confectionner une autre avec des lianes et des roseaux des sa prochaine etape.

Elle ne comptait plus le nombre d’occasions ou elle etait passee au bord du desastre et les bords etaient plus ou moins larges : meme en eliminant toutes les fois ou elle avait senti ses mains glisser sur la corde, meme en eliminant les faux pas rattrapes, les eboulements qui ne l’avaient manquee que de quelques metres, les sables mouvants ou l’on ne s’enfoncait qu’a mi-taille, les crues subites venues de nulle part et devalant la rigole qu’elle s’appretait a franchir… meme en ne comptant que des occasions ou elle avait effectivement ressenti l’etreinte de la mort comme une presence glaciale et malefique, comme si sa main gluante l’avait effleuree, laissant sur son ame la marque de la peur, c’etait deja trop. Elle avait de la veine d’etre encore en vie et elle le savait. Il avait ete une epoque ou le danger l’excitait.

Plus maintenant.

Chaque jour apportait une terreur nouvelle. Elle avait eu si souvent la trouille qu’elle n’en avait meme plus honte ; elle etait trop abattue, trop ecrasee par l’effondrement d’une personnalite qu’elle avait cru etre sienne. Si elle y parvenait jamais, elle savait que celle qui sortirait de la caverne ne serait pas Robin-des-neuf-doigts mais quelque etrangere soumise.

Cela n’avait pas ete facile d’etre Robin mais c’etait une personne qu’on respectait. Nul ne l’avait jamais bousculee. Une fois encore, elle se demanda pourquoi elle persistait. Elle sentait qu’il serait plus honorable de faire sa vie ici, hors de vue. Emerger en pleine lumiere serait exposer sa honte.

Mais quelque temps apres, poussee par une force incomprehensible, une force a laquelle elle aurait resiste si elle en avait su l’origine, elle se leva et reprit sa longue marche vers l’est.

* * *

Cela lui avait paru si simple lorsqu’elle l’avait explique a Chris et a Valiha. Elle se fraierait un chemin a travers la caverne, toujours vers l’est, et finirait par gagner Thea. Certes, il fallait supposer que la direction qu’ils baptisaient « est » etait bien effectivement l’est mais si tel n’etait pas le cas, elle n’y pouvait pas grand-chose.

Mais il ne tarda pas a lui apparaitre qu’elle aurait d’autres suppositions gratuites a faire : Il lui fallait estimer que la caverne, large d’un ou deux kilometres en son extremite occidentale et d’une longueur indeterminee vers l’est, continuait a s’etendre dans cette direction. Et rien ne permettait de l’affirmer. Les points lumineux des oiseaux-luire lui permettaient de distinguer l’orientation generale du passage sur trois kilometres dans chaque sens. Meme si la direction moyenne semblait rectiligne, il y avait trop de courbes et de detours pour qu’elle en fut certaine.

Il existait une autre possibilite. Il etait impossible de savoir si la caverne montait ou descendait. Ils etaient partis d’un niveau situe cinq kilometres en dessous de la surface parce que Cirocco le leur avait dit. Elle savait d’autre part que l’enveloppe exterieure de Gaia avait trente kilometres d’epaisseur. Il y avait largement de quoi passer a cote de la chambre de Thea.

Deux instruments simples lui auraient evite de se perdre : En Gaia, monter c’etait devenir plus leger tandis que descendre alourdissait progressivement votre poids. Un ressort sensible convenablement tare aurait pu mesurer de telles differences. Ses propres sens ne le lui permettaient pas. L’horloge gaienne a gyroscope aurait pu lui servir de compas puisqu’elle cessait de tourner lorsque son axe etait oriente dans le sens nord-sud. En alignant l’horloge jusqu’a l’arret complet, puis en la tournant de quatre-vingt-dix degres, elle eut pu distinguer l’est de l’ouest selon qu’elle repartait a l’envers ou a l’endroit. Mais ni Gaby ni Cirocco n’avaient eu besoin d’un dynamometre a ressort lors de leurs voyages et donc elles n’en avaient pas emporte. Quand a l’horloge, elle etait restee avec Cornemuse.

Elle perdit beaucoup de temps a tenter d’effectuer ces estimations avec un equipement de fortune et se retrouva dans une totale perplexite. En particulier, il aurait du etre possible de determiner l’est et l’ouest en fonction de la chute des objets. Elle essaya bien en lachant diverses choses au long de fils a plomb improvises mais sans resultat concluant.

Tant et si bien qu’elle continua a l’aveuglette, perdue dans l’obscurite. Cela durait au moins depuis trois kilorevs, peut-etre plus. Elle suivait la paroi nord. L’idee lui avait paru bonne jusqu’au moment ou elle parvint au bout d’un cul-de-sac, pas plus de vingt etapes apres son depart. Elle avait fait demi-tour en longeant le mur sud qui s’etait mis a tourner sans interruption jusqu’a cent quatre-vingts degres, lui revelant alors qu’elle avait penetre sans s’en rendre compte dans un passage lateral. Il ne lui restait plus qu’a revenir en arriere pour rejoindre les marques qu’elle avait laissees pour guider Chris et Valiha, rayer la derniere et graver une nouvelle fleche leur indiquant le nouveau passage.

Qui, lui aussi, se termina brusquement trois nuits plus tard.

Depuis ce moment, elle avait vecu un cauchemar empli de marches interminables et de retours en arriere deprimants, progressant lentement a mesure qu’elle eliminait successivement les fausses pistes en explorant chaque passage jusqu’au bout. Un travail ereintant et dangereux. Sa plus grande peur etait qu’en fin de compte il n’y ait pas d’issue et qu’apres toutes ces larmes, ces deceptions, et la prise de conscience progressive qu’elle n’avait aucune idee precise de la direction ou elle allait, un beau jour elle finirait par apercevoir dans le lointain le camp de Chris et de Valiha et saurait alors que tous ses efforts avaient ete vains.

La possibilite se fit jour peu a peu que Chris et Valiha finiraient par la rattraper. Ca ne la genait pas. En fait, elle se demandait souvent pourquoi elle ne s’assierait pas pour les attendre. Ce serait chouette d’avoir un peu de compagnie. Ils lui manquaient, tous les deux… tous les trois peut-etre, meme. Elle se demanda a quoi ressemblerait le bebe titanide.

Plus elle y songeait et plus c’etait logique : A eux trois, ils se debrouilleraient mieux qu’elle toute seule. C’etait plus sur, il n’y avait pas a tortiller. Chris partagerait en eclaireur une partie du danger, ce qui reduirait automatiquement de moitie sa part de risque.

Et chaque fois qu’elle pensait a cela, elle foncait de l’avant avec plus de determination que jamais. Si elle ne pouvait plus etre temeraire, elle pouvait tout du moins se montrer tetue. Si elle devait affronter le fait qu’elle etait trouillarde, elle affronterait egalement sa trouille ; pour la surmonter.

* * *

Elle penetra dans un couloir voute fort semblable a celui par lequel elle et Chris avaient fui. En soi, cela n’avait rien d’etrange : elle en avait explore une centaine comme celui-ci. Mais elle en etait venue a esperer si peu

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