« Comment vous appelez-vous ? demanda Serpent.
— Chris.
— Mon nom est Serpent.
— Je suis ravi de faire ta connaissance. »
Le sourire s’epanouit et Chris en fut rechauffe.
« Je suis ravi de faire votre connaissance, moi aussi. » Puis, se tournant vers sa mere : « Valiha, ou est mon serpent ? »
Elle passa la main derriere elle et lui tendit le cor serpentiforme, cisele avec amour et recouvert de cuir souple. Il le prit et ses yeux scintillaient lorsqu’il le brandit et le fit tourner entre ses mains. Il porta l’embouchure a ses levres et souffla, faisant glisser dans l’air un son puissant de basse.
« J’ai faim », annonca-t-il. Valiha lui offrit un sein. Telle etait sa curiosite qu’il etait incapable d’y porter son attention : Son regard allait et venait, sa tete se tournait et c’est tout juste s’il parvenait a garder le mamelon en bouche. Il considera Chris, puis son instrument qu’il tenait toujours serre dans la main et Chris vit une expression d’etonnement emerveille se peindre sur son visage. Chris sut a ce moment que Serpent et lui pensaient a la meme chose, quoique avec des significations differentes :
« Ainsi, c’est donc
L’enfant repondait entierement aux esperances de Valiha :
Le mot « folatre » semblait avoir ete cree expres pour lui ; il etait efflanque, maladroit, avide et fringant. Quand venait le moment de marcher, il titubait tout au plus dix minutes puis perdait tout interet dans toute allure autre que le triple galop. Il etait a quatre-vingt-dix pour cent compose de jambes et ces jambes etaient tout en genou. Son aspect anguleux n’evoquait en rien le port altier de ses aines, pourtant il l’avait en germe. Et lorsqu’il souriait, on n’avait plus besoin d’oiseau-luire.
Il avait grand besoin d’affection et ils ne la lui plaignaient pas : il n’etait jamais loin d’un contact physique. Un baiser de Chris etait accepte avec la meme ardeur que s’il venait de sa mere et rendu tout aussi ardemment. Il adorait se faire caresser et caliner. Valiha essaya bien de le cajoler en restant couchee mais il ne voulut rien entendre : Elle se tenait donc sur ses bequilles pendant qu’il l’etreignait. Et souvent il s’endormait debout en cours de route. Valiha pouvait alors s’ecarter et le laisser sur place, le menton sur la poitrine. Il dormit ainsi d’un sommeil irregulier durant trois kilorevs, pour la premiere et derniere fois de son existence.
Pendant un bon nombre de jours, Chris le considera comme un desastre potentiel cherchant un endroit pour se realiser. Il avait eu deja bien assez de mal a mener Valiha a travers les passages difficiles. Il ne lui manquait plus qu’un gamin casse-cou pour le vieillir prematurement et Serpent remplissait le role a merveille. Mais rien ne se produisit, comme l’avait prevu Valiha. En fin de compte, Chris cessa de se tourmenter. Serpent connaissait ses limites et, tout en cherchant sans cesse a les repousser, il ne les franchissait jamais. Les enfants titanides avaient un regulateur incorpore ; et s’ils ne pouvaient etre entierement a l’abri des accidents, ils en subissaient a la meme frequence que les adultes. Chris s’en etonna – jouant avec l’idee que la difference entre humains et Titanides pouvait bien resider dans leur absence de temerite – mais il n’etait pas d’humeur a s’en plaindre.
Serpent avait si bien reussi a illuminer leur existence que, pendant un bon moment, Chris n’eut plus le temps de songer a ce qui l’avait tant preoccupe durant toute la premiere partie de leur voyage. Mais l’inquietude revint brusquement lorsqu’ils decouvrirent le lourd manteau d’hiver de Robin ainsi qu’une pile d’equipement a proximite de l’un de ses signes de piste.
« Je lui avais pourtant bien dit de garder ca a tout prix ! » s’inquieta-t-il tout en brandissant l’objet a l’adresse de Valiha. « Bon Dieu, elle n’a donc aucune notion du froid ?
— Quel gout ca a, le froid ? voulut savoir Serpent.
— Je ne puis repondre a cette question, mon enfant, dit Valiha. Il faudra que tu attendes d’y gouter par toi-meme. Elle a d’autres vetements, Chris. Si elle les a tous enfiles…
— Qui est Robin, Chris ?
— Une grande amie et une compagne, expliqua-t-il. Qui, j’en ai peur, aura de gros ennuis si on ne la rattrape pas.
— Puis-je le mettre ?
— Tu peux l’essayer mais tu vas avoir trop chaud. En revanche, tu peux toujours le porter et porter le reste. Veux-tu ?
— Bien sur, Chris. Si tu m’attrapes.
— Pas de ca, mon gars ! Et cesse de te foutre de moi. Ce n’est pas de ma faute si je suis lent. Mais est-ce que tu sais faire ? » Il se dressa sur la pointe d’un orteil – ce qui etait facile sous une faible gravite – et, le doigt pose sur le sommet de la tete comme une ballerine, il pirouetta et fit une reverence. Valiha applaudit et Serpent parut dubitatif :
« Quoi ? Sur un seul pied ? Je suis incapable de…
— Ah ! J’t’ai eu ! Bon. Viens ici et…»
Il s’interrompit pour se tourner : derriere lui, avait jailli une lumiere plus brillante que tout ce qu’il avait pu voir depuis… il ne savait plus quand. Il y avait aussi un grondement sourd qui, s’apercut-il, etait deja present au seuil de son audition depuis un bon moment. On entendit un bruit lointain d’explosion.
« Qu’est-ce que c’est ? Est-ce…
— Chut. Plus tard, les questions. Je… Valiha, fais-le coucher derriere ce rocher. Faites-vous aussi petits que possible jusqu’a ce que…»
Une voix soudain avait jailli d’un amplificateur. Deformee par l’echo, elle etait quasi meconnaissable mais Chris avait entendu prononcer son nom et celui de Valiha. D’autres boules de feu surgirent et descendirent avec lenteur en flottant au bout de petits parachutes tandis que le grondement devenait le bruit familier des helicopteres.
La voix etait celle de Cirocco.
Elle etait enfin venue les chercher.
41. L’Entree des gladiateurs
Le danseur les accueillit encore une fois a leur sortie de l’ascenseur. Il avait l’air aussi elegant et enigmatique que la fois precedente : le visage dans l’ombre et les souliers impeccablement cires, en guetres de cuir blanc, canne, haut-de-forme et queue-de-pie. Silencieuse, Robin, debout a cote de Chris, le contemplait sans oser l’interrompre. Le danseur executa une serie de retours arriere avec une insolente facilite puis il fit une pirouette tandis que sa tete semblait rester sur place, immobile, avant de venir se replacer, l’espace d’un eclair, apres un tour complet.
« Ben, je ne comprends pas non plus les cathedrales », soupira Chris apres son depart.
Robin ne dit rien. De sa derniere visite, elle se rappelait le genre de chant et de danse que pouvait presenter Gaia lorsqu’elle s’amusait a manipuler les gens. Il y avait dans tout cela une signification qu’elle n’avait pas la pretention de comprendre entierement. La danse l’avait laissee de marbre ; elle s’appretait maintenant a ecouter la chanson.
« Je fais toujours le meme reve, dit-elle. Nous sommes assis avec Gaia et la premiere chose qu’elle nous dise, c’est “a present, voyons la
Il lui adressa un regard en coin. « Toi au moins, t’as pas perdu ton sens de l’humour. As-tu amene ton nouveau bruiteur digital ?
— Il est deja dans mes bagages.
— Tant pis. Comment vont les pieds ? Tu veux que je t’aide.
— Ca ira, merci. » Elle avait deja note qu’elle n’avait plus besoin de bequilles ici dans le moyeu. Ses pieds