– Non, fille de roi, dit Tristan. Mais un jour deux hirondelles ont vole jusqu'a Tintagel pour y porter l'un de tes cheveux d'or. J'ai cru qu'elles venaient m'annoncer paix et amour. C'est pourquoi je suis venu te querir par dela la mer. C'est pourquoi j'ai affronte le monstre et son venin. Vois ce cheveu cousu parmi les fils d'or de mon bliaut ; la couleur des fils d'or a passe : l'or du cheveu ne s'est pas terni. »

Iseut regarda la grande epee et prit en mains le bliaut de Tristan. Elle y vit le cheveu d'or et se tut longuement ; puis elle baisa son hote sur les levres en signe de paix et le revetit de riches habits.

Au jour de l'assemblee des barons, Tristan envoya secretement vers sa nef Perinis, le valet d'Iseut, pour mander a ses compagnons de se rendre a la cour, pares comme il convenait aux messagers d'un riche roi : car il esperait atteindre ce jour meme au terme de l'aventure. Gorvenal et les cent chevaliers se desolaient depuis quatre jours d'avoir perdu Tristan ; ils se rejouirent de la nouvelle.

Un a un, dans la salle ou deja s'amassaient sans nombre les barons d'Irlande, ils entrerent, s'assirent a la file sur un meme rang, et les pierreries ruisselaient au long de leurs riches vetements d'ecarlate, de cendal et de pourpre. Les Irlandais disaient entre eux : « Quels sont ces seigneurs magnifiques ? Qui les connait ? Voyez ces manteaux somptueux, pares de zibeline et d'orfroi ! Voyez au pommeau des epees, au fermail des pelisses, chatoyer les rubis, les beryls, les emeraudes et tant de pierres que nous ne savons meme pas nommer ! Qui donc vit jamais splendeur pareille ? D'ou viennent ces seigneurs ? A qui sont-ils ? » Mais les cent chevaliers se taisaient et ne se mouvaient de leurs sieges pour nul qui entrat.

Quand le roi d'Irlande fut assis sous le dais, le senechal Aguynguerran le Roux offrit de prouver par temoins et de soutenir par bataille qu'il avait tue le monstre et qu'Iseut devait lui etre livree. Alors Iseut s'inclina devant son pere et dit :

«Roi, un homme est la, qui pretend convaincre votre senechal de mensonge et de felonie. A cet homme pret a prouver qu'il a delivre votre terre du fleau et que votre fille ne doit pas etre abandonnee a un couard, promettez-vous de pardonner ses torts anciens, si grands soient-ils, et de lui accorder votre merci et votre paix ? »

Le roi y pensa et ne se hatait pas de repondre. Mais ses barons crierent en foule :

« Octroyez-le, sire, octroyez-le ! »

Le roi dit :

« Et je l'octroie ! »

Mais Iseut s'agenouilla a ses pieds : «Pere, donnez-moi d'abord le baiser de merci et de paix, en signe que vous le donnerez pareillement a cet homme ! »

Quand elle eut recu le baiser, elle alla chercher Tristan et le conduisit par la main dans l'assemblee. A sa vue, les cent chevaliers se leverent a la fois, le saluerent les bras en croix sur la poitrine, se rangerent a ses cotes, et les Irlandais virent qu'il etait leur seigneur. Mais plusieurs le reconnurent alors, et un grand cri retentit : « C'est Tristan de Loonnois, c'est le meurtrier du Morholt ! » Les epees nues brillerent et des voix furieuses repetaient : « Qu'il meure ! »

Mais Iseut s'ecria :

« Roi, baise cet homme sur la bouche, ainsi que tu l'as promis ! »

Le roi le baisa sur la bouche, et la clameur s'apaisa.

Alors Tristan montra la langue du dragon, et offrit la bataille au senechal, qui n'osa l'accepter et reconnut son forfait. Puis Tristan parla ainsi :

«Seigneurs, j'ai tue le Morholt, mais j'ai franchi la mer pour vous offrir belle amendise. Afin de racheter le mefait, j'ai mis mon corps en peril de mort et je vous ai delivres du monstre, et voici que j'ai conquis Iseut la Blonde, la belle. L'ayant conquise, je l'emporterai donc sur ma nef. Mais, afin que par les terres d'Irlande et de Cornouailles se repande non plus la haine, mais l'amour, sachez que le roi Marc, mon cher seigneur, l'epousera. Voyez ici cent chevaliers de haut parage prets a jurer sur les reliques des saints que le roi Marc vous mande paix et amour, que son desir est d'honorer Iseut comme sa chere femme epousee, et que tous les hommes de Cornouailles la serviront comme leur dame et leur reine. »

On apporta les corps saints a grand'joie, et les cent chevaliers jurerent qu'il avait dit verite.

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