tourments.

A dix-huit jours de la, ayant convoque tous ses barons, il prit a femme Iseut la Blonde. Mais, lorsque vint la nuit, Brangien, afin de cacher le deshonneur de la reine et pour la sauver de la mort, prit la place d'Iseut dans le lit nuptial. En chatiment de la male garde qu'elle avait faite sur la mer et pour l'amour de son amie, elle lui sacrifia, la fidele, la purete de son corps ; l'obscurite de la nuit cacha au roi sa ruse et sa honte.

Les conteurs pretendent ici que Brangien n'avait pas jete dans la mer le flacon de vin herbe, non tout a fait vide par les amants ; mais qu'au matin, apres que sa dame fut entree a son tour dans le lit du roi Marc, Brangien versa dans une coupe ce qui restait du philtre et la presenta aux epoux ; que Marc y but largement et qu'Iseut jeta sa part a la derobee. Mais sachez, seigneurs, que ces conteurs ont corrompu l'histoire et l'ont faussee. S'ils ont imagine ce mensonge, c'est faute de comprendre le merveilleux amour que Marc porta toujours a la reine. Certes, comme vous l'entendrez bientot, jamais, malgre l'angoisse, le tourment et les terribles represailles, Marc ne put chasser de son c?ur Iseut ni Tristan ; mais sachez, seigneurs, qu'il n'avait pas bu le vin herbe. Ni poison, ni sortilege ; seule, la tendre noblesse de son c?ur lui inspira d'aimer.

Iseut est reine et semble vivre en joie. Iseut est reine et vit en tristesse. Iseut a la tendresse du roi Marc, les barons l'honorent, et ceux de la gent menue la cherissent. Iseut passe le jour dans ses chambres richement peintes et jonchees de fleurs. Iseut a les nobles joyaux, les draps de pourpre et les tapis venus de Thessalie, les chants des harpeurs, et les courtines ou sont ouvres leopards, alerions, papegauts et toutes les betes de la mer et des bois. Iseut a ses vives, ses belles amours, et Tristan aupres d'elle, a loisir, et le jour et la nuit ; car, ainsi que veut la coutume chez les hauts seigneurs, il couche dans la chambre royale, parmi les prives et les fideles. Iseut tremble pourtant. Pour quoi trembler ? Ne tient-elle pas ses amours secretes ? Qui soupconnerait Tristan ? Qui donc soupconnerait un fils ? Qui la voit ? Qui l'epie ? Quel temoin ? Oui, un temoin l'epie, Brangien ; Brangien la guette ; Brangien seule sait sa vie, Brangien la tient en sa merci ! Dieu ! si, lasse de preparer chaque jour comme une servante le lit ou elle a couche la premiere, elle les denoncait au roi ! si Tristan mourait par sa felonie !… Ainsi, la peur affole la reine. Non, ce n'est pas de Brangien la fidele, c'est de son propre c?ur que vient son tourment. Ecoutez, seigneurs, la grande traitrise qu'elle medita ; mais Dieu, comme vous l'entendrez, la prit en pitie ; vous aussi, soyez-lui compatissants !

Ce jour-la, Tristan et le roi chassaient au loin, et Tristan ne connut pas ce crime. Iseut fit venir deux serfs, leur promit la franchise et soixante besants d'or, s'ils juraient de faire sa volonte. Ils firent le serment.

« Je vous donnerai donc, dit-elle, une jeune fille ; vous l'emmenerez dans la foret, loin ou pres, mais en tel lieu que nul ne decouvre jamais l'aventure : la, vous la tuerez et me rapporterez sa langue. Retenez, pour me les repeter, les paroles qu'elle aura dites. Allez ; a votre retour, vous serez des hommes affranchis et riches. »

Puis elle appela Brangien :

«Amie, tu vois comme mon corps languit et souffre ; n'iras-tu pas chercher dans la foret les plantes qui conviennent a ce mal ? Deux serfs sont la, qui te conduiront ; ils savent ou croissent les herbes efficaces. Suis les donc ; s?ur, sache-le bien, si je t'envoie a la foret, c'est qu'il y va de mon repos et de ma vie ! »

Les serfs l'emmenerent. Venue au bois, elle voulut s'arreter, car les plantes salutaires croissaient autour d'elle en suffisance. Mais ils l'entrainerent plus loin :

« Viens, jeune fille, ce n'est pas ici le lieu convenable. »

L'un des serfs marchait devant elle, son compagnon la suivait. Plus de sentier fraye, mais des ronces, des epines et des chardons emmeles. Alors l'homme qui marchait le premier tira son epee et se retourna ; elle se rejeta vers l'autre serf pour lui demander aide ; il tenait aussi l'epee nue a son poing et dit :

« Jeune fille, il nous faut te tuer. »

     Brangien tomba sur l'herbe et ses bras tentaient d'ecarter la pointe des epees. Elle demandait merci d'une voix si pitoyable et si tendre, qu'ils dirent :

« Jeune fille, si la reine Iseut, ta dame et la notre, veut que tu meures, sans doute lui as-tu fait quelque grand tort. »

Elle repondit :

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