Le roi prit Iseut par la main et demanda a Tristan s'il la conduirait loyalement a son seigneur. Devant ses cent chevaliers et devant les barons d'Irlande, Tristan le jura.

Iseut la Blonde fremissait de honte et d'angoisse. Ainsi Tristan, l'ayant conquise, la dedaignait ; le beau conte du Cheveu d'or n'etait que mensonge, et c'est a un autre qu'il la livrait… Mais le roi posa la main droite d'Iseut dans la main droite de Tristan, et Tristan la retint en signe qu'il se saisissait d'elle, au nom du roi de Cornouailles.

Ainsi, pour l'amour du roi Marc, par la ruse et par la force, Tristan accomplit la quete de la Reine aux cheveux d'or.

Chapitre 4 LE PHILTRE

Quand   le temps approcha de remettre Iseut aux chevaliers de Cornouailles, sa mere cueillit des herbes, des fleurs et des racines, les mela dans du vin, et brassa un breuvage puissant. L'ayant acheve par science et magie, elle le versa dans un coutret et dit secretement a Brangien :

« Fille, tu dois suivre Iseut au pays du roi Marc, et tu l’aimes d'amour fidele. Prends donc ce coutret de vin et retiens mes paroles. Cache-le de telle sorte que nul ?il ne le voie et que nulle levre ne s'en approche. Mais, quand viendront la nuit nuptiale et l'instant ou l'on quitte les epoux, tu verseras ce vin herbe dans une coupe et tu la presenteras, pour qu'ils la vident ensemble, au roi Marc et a la reine Iseut. Prends garde, ma fille, que seuls ils puissent gouter ce breuvage. Car telle est sa vertu : ceux qui en boiront ensemble s'aimeront de tous leurs sens et de toute leur pensee, a toujours, dans la vie et dans la mort. »

Brangien promit a la reine qu'elle ferait selon sa volonte.

La nef, tranchant les vagues profondes, emportait Iseut. Mais, plus elle s'eloignait de la terre d'Irlande, plus tristement la jeune fille se lamentait. Assise sous la tente ou elle s'etait renfermee avec Brangien, sa servante, elle pleurait au souvenir de son pays. Ou ces etrangers l'entrainaient-ils ? Vers qui ? Vers quelle destinee ? Quand Tristan s'approchait d'elle et voulait l'apaiser par de douces paroles, elle s'irritait, le repoussait, et la haine gonflait son c?ur. Il etait venu, lui le ravisseur, lui le meurtrier du Morholt ; il l'avait arrachee par ses ruses a sa mere et a son pays ; il n'avait pas daigne la garder pour lui-meme, et voici qu'il l'emportait, comme sa proie, sur les flots, vers la terre ennemie ! « Chetive ! disait-elle, maudite soit la mer qui me porte ! Mieux aimerais-je mourir sur la terre ou je suis nee que vivre la-bas !… »

Un jour, les vents tomberent, et les voiles pendaient degonflees le long du mat. Tristan fit atterrir dans une ile, et, lasses de la mer, les cent chevaliers de Cornouailles et les mariniers descendirent au rivage. Seule Iseut etait demeuree sur la nef, et une petite servante. Tristan vint vers la reine et tachait de calmer son c?ur. Comme le soleil brulait et qu'ils avaient soif, ils demanderent a boire. L'enfant chercha quelque breuvage, tant qu'elle decouvrit le coutret confie a Brangien par la mere d'Iseut. « J'ai trouve du vin ! » leur cria-t-elle. Non, ce n'etait pas du vin : c'etait la passion, c'etait l'apre joie et l'angoisse sans fin, et la mort. L'enfant remplit un hanap et le presenta a sa maitresse. Elle but a longs traits, puis le tendit a Tristan, qui le vida.

A cet instant, Brangien entra et les vit qui se regardaient en silence, comme egares et comme ravis. Elle vit devant eux le vase presque vide et le hanap. Elle prit le vase, courut a la poupe, le lanca dans les vagues et gemit :

« Malheureuse ! maudit soit le jour ou je suis nee et maudit le jour ou je suis montee sur cette nef ! Iseut, amie, et vous, Tristan, c'est votre mort que vous avez bue ! »

De nouveau, la nef cinglait vers Tintagel. Il semblait a Tristan qu'une ronce vivace, aux epines aigues, aux fleurs odorantes, poussait ses racines dans le sang de son c?ur et par de forts liens enlacait au beau corps d'Iseut son corps et toute sa pensee, et tout son desir. Il songeait : « Andret, Denoalen, Guenelon et Gondoine, felons qui m'accusiez de convoiter la terre du roi Marc, ah ! je suis plus vil encore, et ce n'est pas sa terre que je convoite ! Bel oncle, qui m'avez aime orphelin avant meme de reconnaitre le sang de votre s?ur Blanchefleur, vous qui me pleuriez tendrement, tandis que vos bras me portaient jusqu'a la barque sans rames ni voile, bel oncle, que n'avez-vous, des le premier jour, chasse l'enfant errant venu pour vous trahir ? Ah ! qu'ai-je pense ? Iseut est votre femme, et moi votre vassal. Iseut est

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