Elle part et fuit jusqu'a sa chambre, ou Brangien la prend, tremblante, entre ses bras. La reine lui dit l'aventure ; Brangien s'ecrie :

« Iseut, ma dame, Dieu a fait pour vous un grand miracle ! Il est pere compatissant et ne veut pas le mal de ceux qu'il sait innocents. »

Sous le grand pin, Tristan, appuye contre le perron de marbre, se lamentait :

« Que Dieu me prenne en pitie et repare la grande injustice que je souffre de mon cher seigneur ! »

Quand il eut franchi la palissade du verger, le roi dit en souriant :

« Beau neveu, benie soit cette heure ! Vois la lointaine chevauchee que tu preparais ce matin, elle est deja finie ! »

La-bas, dans une clairiere de la foret, le nain Frocin interrogeait le cours des etoiles. Il y lut que le roi le menacait de mort ; il noircit de peur et de honte, enfla de rage, et s'enfuit prestement vers la terre de Galles.

Chapitre 7 LE NAIN FROCIN

Le roi Marc a fait sa paix avec Tristan. Il lui a donne conge de revenir au chateau, et, comme naguere, Tristan couche dans la chambre du roi, parmi les prives et les fideles. A son gre, il y peut entrer, il en peut sortir : le roi n'en a plus souci. Mais qui donc peut longtemps tenir ses amours secretes ? Helas ! amour ne se peut celer !

Marc avait pardonne aux felons, et comme le senechal Dinas de Lidan avait un jour trouve dans une foret lointaine, errant et miserable, le nain bossu, il le ramena au roi, qui eut pitie et lui pardonna son mefait.

Mais sa bonte ne fit qu'exciter la haine des barons ; ayant de nouveau surpris Tristan et la reine, ils se lierent par ce serment : si le roi ne chassait pas son neveu hors du pays, ils se retireraient dans leurs forts chateaux pour le guerroyer. Ils appelerent le roi a parlement :

«Seigneur, aime-nous, hais-nous, a ton choix : mais nous voulons que tu chasses Tristan. Il aime la reine, et le voit qui veut ; mais nous, nous ne le souffrirons plus. »

Le roi les entend, soupire, baisse le front vers la terre, se tait.

« Non, roi, nous ne le souffrirons plus, car nous savons maintenant que cette nouvelle, naguere etrange, n'est plus pour te surprendre et que tu consens a leur crime. Que feras-tu ? Delibere et prends conseil. Pour nous, si tu n'eloignes pas ton neveu sans retour, nous nous retirerons sur nos baronnies et nous entrainerons aussi nos voisins hors de ta cour, car nous ne pouvons supporter qu'ils y demeurent. Tel est le choix que nous t'offrons ; choisis donc !

– Seigneurs, une fois j'ai cru aux laides paroles que vous disiez de Tristan, et je m'en suis repenti. Mais vous etes mes feaux, et je ne veux pas perdre le service de mes hommes. Conseillez-moi donc, je vous en requiers, vous qui me devez le conseil. Vous savez bien que je fuis tout orgueil et toute demesure.

– Donc, seigneur, mandez ici le nain Frocin. Vous vous defiez de lui, pour l'aventure du verger. Pourtant, n'avait-il pas lu dans les etoiles que la reine viendrait ce soir-la sous le pin ? Il sait maintes choses ; prenez son conseil. »

Il accourut, le bossu maudit, et Denoalen l'accola. Ecoutez quelle trahison il enseigna au roi :

«Sire, commande a ton neveu que demain, des l'aube, au galop, il chevauche vers Carduel pour porter au roi Artur un bref sur parchemin, bien scelle de cire. Roi, Tristan couche pres de ton lit. Sors de ta chambre a l'heure du premier sommeil, et, je te le jure par Dieu et par la loi de Rome, s'il aime Iseut de fol amour, il voudra venir lui parler avant son depart : mais, s'il y vient sans que je le sache et sans que tu le voies, alors tue-moi. Pour le reste, laisse-moi mener l'aventure a ma guise et garde-toi seulement de parler a Tristan de ce message avant l'heure du coucher.

– Oui, repondit Marc, qu'il en soit fait ainsi ! »

Вы читаете Le Roman de Tristan et Yseut
Добавить отзыв
ВСЕ ОТЗЫВЫ О КНИГЕ В ИЗБРАННОЕ

0

Вы можете отметить интересные вам фрагменты текста, которые будут доступны по уникальной ссылке в адресной строке браузера.

Отметить Добавить цитату