Dieu m'accordera peut-etre d'y ouvrir tel conseil qui vous aidera tous deux ; deja il me permet du moins de te servir par une menue courtoisie. Amis, dit-il aux valets, je veux que vous le meniez sans ces entraves, – et Dinas trancha les cordes honteuses ; s'il essayait de fuir, ne tenez-vous pas vos epees ?»

Il baise Tristan sur les levres, remonte en selle, et son cheval l'emporte.

Or, ecoutez comme le Seigneur Dieu est plein de pitie. Lui qui ne veut pas la mort du pecheur, il recut en gre les larmes et la clameur des pauvres gens qui le suppliaient pour les amants tortures. Pres de la route ou Tristan passait, au faite d'un roc et tournee vers la bise, une chapelle se dressait sur la mer.

Le mur du chevet etait pose au ras d'une falaise, haute, pierreuse, aux escarpements aigus ; dans l'abside, sur le precipice, etait une verriere, ?uvre habile d'un saint. Tristan dit a ceux qui le menaient :

« Seigneurs, voyez cette chapelle ; permettez que j'y entre. Ma mort est prochaine, je prierai Dieu qu'il ait merci de moi, qui l'ai tant offense. Seigneurs, la chapelle n'a d'autre issue que celle-ci ; chacun de vous tient son epee ; vous savez bien que je ne puis passer que par cette porte, et quand j'aurai prie Dieu, il faudra bien que je me remette entre vos mains ! »

L'un des gardes dit :

« Nous pouvons bien le lui permettre. »

Ils le laisserent entrer. Il court par la chapelle, franchit le ch?ur, parvient a la verriere de l'abside, saisit la fenetre, l'ouvre et s'elance… Plutot cette chute que la mort sur le bucher, devant telle assemblee !

Mais sachez, seigneurs, que Dieu lui fit belle merci : le vent se prend en ses vetements, le souleve, le depose sur une large pierre au pied du rocher. Les gens de Cornouailles appellent encore cette pierre le « Saut de Tristan ».

Et devant l'eglise les autres l'attendaient toujours. Mais pour neant, car c'est Dieu maintenant qui l'a pris en sa garde. Il fuit : le sable meuble croule sous ses pas. Il tombe, se retourne, voit au loin le bucher : la flamme bruit, la fumee monte. Il fuit.

L'epee ceinte, a bride abattue, Gorvenal s'etait echappe de la cite : le roi l'aurait fait bruler en place de son seigneur. Il rejoignit Tristan sur la lande, et Tristan s'ecria :

« Maitre, Dieu m'a accorde sa merci. Ah ! chetif, a quoi bon ? Si je n'ai Iseut, rien ne me vaut. Que ne me suis-je plutot brise dans ma chute ! J'ai echappe, Iseut, et l'on va te tuer. On la brule pour moi ; pour elle je mourrai aussi. »

Gorvenal lui dit :

« Beau sire, prenez reconfort, n'ecoutez pas la colere. Voyez ce buisson epais, enclos d'un large fosse ; cachons-nous la : les gens passent nombreux sur cette route ; ils nous renseigneront, et, si l'on brule Iseut, fils, je jure par Dieu, le fils de Marie, de ne jamais coucher sous un toit jusqu'au jour ou nous l'aurons vengee.

– Beau maitre, je n'ai pas mon epee.

– La voici, je te l'ai apportee.

– Bien, maitre ; je ne crains plus rien, fors Dieu.

– Fils, j'ai encore sous ma gonelle telle chose qui te rejouira : ce haubert solide et leger, qui pourra te servir.

– Donne, beau maitre. Par ce Dieu en qui je crois, je vais maintenant delivrer mon amie.

– Non, ne te hate point, dit Gorvenal. Dieu sans doute te reserve quelque plus sure vengeance. Songe qu'il est hors de ton pouvoir d'approcher du bucher ; les bourgeois l'entourent et craignent le roi ; tel voudrait bien ta delivrance, qui, le premier, te frappera. Fils, on dit bien : Folie n'est pas prouesse… Attends… »

Or, quand Tristan s'etait precipite de la falaise, un pauvre homme de la gent menue l'avait vu se relever et fuir. Il avait couru vers Tintagel et s'etait glisse jusqu'en la chambre d'Iseut :

« Reine, ne pleurez plus. Votre ami s'est

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