echappe !
– Dieu, dit-elle, en soit remercie ! Maintenant, qu'ils me lient ou me delient, qu'ils m'epargnent ou qu'ils me tuent, je n'en ai plus souci ! »
Or, les felons avaient si cruellement serre les cordes de ses poignets que le sang jaillissait. Mais, souriante, elle dit :
– Si je pleurais pour cette souffrance, alors qu'en sa bonte Dieu vient d'arracher mon ami a ces felons, certes, je ne vaudrais guere ! »
Quand la nouvelle parvint au roi que Tristan s'etait echappe par la verriere, il blemit de courroux et commanda a ses hommes de lui amener Iseut.
On l'entraine ; hors de la salle, sur le seuil, elle apparait ; elle tend ses mains delicates, d'ou le sang coule. Une clameur monte par la rue : « O Dieu, pitie pour elle ! Reine franche, reine honoree, quel deuil ont jete sur cette terre ceux qui vous ont livree ! Malediction sur eux ! »
La reine est trainee jusqu'au bucher d'epines, qui flambe. Alors, Dinas, seigneur de Lidan, se laissa choir aux pieds du roi :
« Sire, ecoute-moi : je t'ai servi longuement, sans vilenie, en loyaute, sans en retirer nul profit : car il n'est pas un pauvre homme, ni un orphelin, ni une vieille femme, qui me donnerait un denier de ta senechaussee, que j'ai tenue toute ma vie. En recompense, accorde-moi que tu recevras la reine a merci. Tu veux la bruler sans jugement : c'est forfaire, puisqu'elle ne reconnait pas le crime dont tu l'accuses. Songes-y, d'ailleurs. Si tu brules son corps, il n'y aura plus de surete sur ta terre : Tristan s'est echappe ; il connait bien les plaines, les bois, les gues, les passages, et il est hardi. Certes, tu es son oncle, et il ne s'attaquera pas a toi ; mais tous les barons, tes vassaux, qu'il pourra surprendre, il les tuera. »
Et les quatre felons palissent a l'entendre : deja ils voient Tristan embusque, qui les guette.
« Roi, dit le senechal, s'il est vrai que je t'ai bien servi toute ma vie, livre-moi Iseut ; je repondrai d'elle comme son garde et son garant. »
Mais le roi prit Dinas par la main et jura par le nom des saints qu'il ferait immediate justice.
Alors Dinas se releva :
« Roi, je m'en retourne a Lidan et je renonce a votre service. »
Iseut sourit tristement. Il monte sur son destrier et s'eloigne, marri et morne, le front baisse.
Iseut se tient debout devant la flamme. La foule, a l'entour, crie, maudit le roi, maudit les traitres. Les larmes coulent le long de sa face. Elle est vetue d'un etroit bliaut gris, ou court un filet d'or menu ; un fil d'or est tresse dans ses cheveux, qui tombent jusqu'a ses pieds. Qui pourrait la voir si belle sans la prendre en pitie aurait un c?ur de felon. Dieu ! comme ses bras sont etroitement lies !
Or, cent lepreux, deformes, la chair rongee et toute blanchatre, accourus sur leurs bequilles au claquement des crecelles, se pressaient devant le bucher, et, sous leurs paupieres enflees, leurs yeux sanglants jouissaient du spectacle.
Yvain, le plus hideux des malades, cria au roi d'une voix aigue ;
« Sire, tu veux jeter ta femme en ce brasier, c'est bonne justice, mais trop breve. Ce grand feu l'aura vite brulee, ce grand vent aura vite disperse sa cendre. Et, quand cette flamme tombera tout a l'heure, sa peine sera finie. Veux-tu que je t'enseigne pire chatiment, en sorte qu'elle vive, mais a grand deshonneur, et toujours souhaitant la mort ? Roi, le veux-tu ? »
Le roi repondit :
« Oui, la vie pour elle, mais a grand deshonneur et pire que la mort… Qui m'enseignera un tel supplice, je l'en aimerai mieux.
–Sire, je te dirai donc brievement ma pensee. Vois, j'ai la cent compagnons. Donne-nous Iseut, et qu'elle nous soit commune ! Le mal attise nos desirs. Donne-la a tes lepreux, jamais dame n'aura fait pire fin. Vois, nos haillons sont colles a nos plaies, qui suintent. Elle qui, pres de toi, se plaisait aux riches etoffes fourrees de vair, aux joyaux, aux