salles parees de marbre, elle qui jouissait des bons vins, de l'honneur, de la joie, quand elle verra la cour de tes lepreux, quand il lui faudra entrer sous nos taudis bas et coucher avec nous, alors Iseut la Belle, la Blonde, reconnaitra son peche et regrettera ce beau feu d'epines ! »
Le roi l'entend, se leve, et longuement reste immobile. Enfin, il court vers la reine et la saisit par la main. Elle crie :
«Par pitie, sire, brulez-moi plutot, brulez-moi ! »
Le roi la livre. Yvain la prend et les cent malades se pressent autour d'elle. A les entendre crier et glapir, tous les c?urs se fondent de pitie ; mais Yvain est joyeux ; Iseut s'en va, Yvain l'emmene. Hors de la cite descend le hideux cortege.
Ils ont pris la route ou Tristan est embusque. Gorvenal jette un cri :
« Fils, que feras-tu ? Voici ton amie ! »
Tristan pousse son cheval hors du fourre :
« Yvain, tu lui as assez longtemps fait compagnie ; laisse-la maintenant, si tu veux vivre ! »
Mais Yvain degrafe son manteau.
« Hardi, compagnons ! A vos batons ! A vos bequilles ! C'est l'instant de montrer sa prouesse !»
Alors, il fit beau voir les lepreux rejeter leurs chapes, se camper sur leurs pieds malades, souffler, crier, brandir leurs bequilles : l'un menace et l'autre grogne. Mais il repugnait a Tristan de les frapper ; les conteurs pretendent que Tristan tua Yvain : c'est dire vilenie ; non, il etait trop preux pour occire telle engeance. Mais Gorvenal, ayant arrache une forte pousse de chene, l'assena sur le crane d'Yvain ; le sang noir jaillit et coula jusqu'a ses pieds difformes.
Tristan reprit la reine : desormais, elle ne sent plus nul mal. Il trancha les cordes de ses bras, et, quittant la plaine, ils s'enfoncerent dans la foret du Morois. La, dans les grands bois, Tristan se sent en surete comme derriere la muraille d'un fort chateau.
Quand le soleil pencha, ils s'arreterent au pied d'un mont ; la peur avait lasse la reine ; elle reposa sa tete sur le corps de Tristan et s'endormit.
Au matin, Gorvenal deroba a un forestier son arc et deux fleches bien empennees et barbelees et les donna a Tristan, le bon archer, qui surprit un chevreuil et le tua. Gorvenal fit un amas de branches seches, battit le fusil, fit jaillir l'etincelle et alluma un grand feu pour cuire la venaison ; Tristan coupa des branchages, construisit une hutte et la recouvrit de feuillee ; Iseut la joncha d'herbes epaisses.
Alors, au fond de la foret sauvage, commenca pour les fugitifs l'apre vie, aimee pourtant.
Chapitre 9 LA FORET DU MOROIS
Au fond de la foret sauvage, a grand ahan, comme des betes traquees, ils errent, et rarement osent revenir le soir au gite de la veille. Ils ne mangent que la chair des fauves et regrettent le gout de sel. Leurs visages amaigris se font blemes, leurs vetements tombent en haillons, dechires par les ronces. Ils s’aiment, ils ne souffrent pas.
Un jour, comme ils parcouraient ces grands bois qui n'avaient jamais ete abattus, ils arriverent par aventure a l'ermitage du Frere Ogrin.
Au soleil, sous un bois leger d'erables, aupres de sa chapelle, le vieil homme, appuye sur sa bequille, allait a pas menus.
«Sire Tristan, s'ecria-t-il, sachez quel grand serment ont jure les hommes de Cornouailles. Le roi a fait crier un ban par toutes les paroisses. Qui se saisira de vous recevra cent marcs d'or pour son salaire, et tous les barons ont jure de vous livrer mort ou vif. Repentez-vous, Tristan ! Dieu pardonne au pecheur qui vient a repentance.
–Me repentir, sire Ogrin ? De quel