assure qu'il ne vous a point trahie ; que pas un seul jour il n'a cesse de vous cherir pardessus toutes les femmes ; qu'il mourra, s'il ne vous revoit… une fois seulement : il vous semond d'y consentir, par la promesse que vous lui fites le dernier jour ou il vous parla. »
La reine se tut quelque temps, songeant a l'autre Iseut. Enfin, elle repondit :
« Oui, au dernier jour ou il me parla, j'ai dit, il m'en souvient : «Si jamais je revois l'anneau de jaspe vert, ni tour, ni fort chateau, ni defense royale ne m'empecheront de faire la volonte de mon ami, que ce soit sagesse ou folie… »
– Reine, a deux jours d'ici, la cour doit quitter Tintagel pour gagner la Blanche-Lande ; Tristan vous mande qu'il sera cache sur la route, dans un fourre d'epines. Il vous mande que vous le preniez en pitie.
– Je l'ai dit : ni tour, ni fort chateau, ni defense royale ne m'empecheront de faire la volonte de mon ami. »
Le surlendemain, tandis que toute la cour de Marc s'appretait au depart de Tintagel, Tristan et Gorvenal, Kaherdin et son ecuyer revetirent le haubert, prirent leurs epees et leurs ecus et, par des chemins secrets, se mirent a la voie vers le lieu designe. A travers la foret, deux routes conduisaient vers la Blanche-Lande : l'une belle et bien ferree, par ou devait passer le cortege, l'autre pierreuse et abandonnee. Tristan et Kaherdin aposterent sur celle-ci leurs deux ecuyers ; ils les attendraient en ce lieu, gardant leurs chevaux et leurs ecus. Eux-memes se glisserent sous bois et se cacherent dans un fourre. Devant ce fourre, sur la route, Tristan deposa une branche de coudrier ou s'enlacait un brin de chevrefeuille.
Bientot, le cortege apparait sur la route. C'est d'abord la troupe du roi Marc. Viennent en belle ordonnance les fourriers et les marechaux, les queux et les echansons, viennent les chapelains, viennent les valets de chiens menant levriers et brachets, puis les fauconniers portant les oiseaux sur le poing gauche, puis les veneurs, puis les chevaliers et les barons ; ils vont leur petit train, bien arranges deux par deux, et il fait beau les voir, richement montes sur chevaux harnaches de velours seme d'orfevrerie. Puis le roi Marc passa, et Kaherdin s'emerveillait de voir ses prives autour de lui, deux deca et deux dela, habilles tous de drap d'or ou d'ecarlate.
Alors s'avance le cortege de la reine. Les lavandieres et les chambrieres viennent en tete, ensuite les femmes et les filles des barons et des comtes. Elles passent une a une ; un jeune chevalier escorte chacune d'elles. Enfin approche un palefroi monte par la plus belle que Kaherdin ait jamais vue de ses yeux : elle est bien faite de corps et de visage, les hanches un peu basses, les sourcils bien traces, les yeux riants, les dents menues ; une robe de rouge samit la couvre ; un mince chapelet d'or et de pierreries pare son front poli.
« C'est la reine, dit Kaherdin a voix basse.
– La reine ? dit Tristan ; non, c'est Camille, sa servante. »
Alors s'en vient, sur un palefroi vair, une autre damoiselle, plus blanche que neige en fevrier, plus vermeille que rose ; ses yeux clairs fremissent comme l'etoile dans la fontaine.
« Or, je la vois, c'est la reine ! dit Kaherdin.
– Eh ! non, dit Tristan, c'est Brangien la Fidele. »
Mais la route s'eclaira tout a coup, comme si le soleil ruisselait soudain a travers les feuillages des grands arbres, et Iseut la Blonde apparut. Le duc Andret, que Dieu honnisse ! chevauchait a sa droite.
A cet instant, partirent du fourre d'epines des chants de fauvettes et d'alouettes, et Tristan mettait en ces melodies toute sa tendresse. La reine a compris le message de son ami. Elle remarque sur le sol la branche de coudrier ou le chevrefeuille s'enlace fortement, et songe en son c?ur : « Ainsi va de nous, ami ; ni vous sans moi, ni moi sans vous. » Elle arrete son palefroi, descend, vient vers une haquenee qui portait une niche enrichie de pierreries ; la, sur un tapis de pourpre, etait couche le chien Petit-Cru : elle le prend entre ses bras, le flatte de la main, le caresse de son manteau d'hermine, lui fait mainte fete. Puis, l'ayant replace dans sa chasse, elle se tourne vers le fourre d'epines et dit a voix haute :
« Oiseaux de ce bois, qui m'avez rejouie de vos chansons, je vous prends a louage. Tandis que mon seigneur Marc chevauchera jusqu'a la Blanche-Lande, je veux sejourner dans