mon chateau de Saint-Lubin. Oiseaux, faites-moi cortege jusque-la ; ce soir, je vous recompenserai richement, comme de bons menestrels. »
Tristan retint ses paroles et se rejouit. Mais deja Andret le Felon s'inquietait. Il remit la reine en selle, et le cortege s'eloigna.
Or, ecoutez une male aventure. Dans le temps ou passait le cortege royal, la-bas, sur l'autre route ou Gorvenal et l'ecuyer de Kaherdin gardaient les chevaux de leurs seigneurs, survint un chevalier en armes, nomme Bleheri. Il reconnut de loin Gorvenal et l'ecu de Tristan : « Qu'ai-je vu ? pensa-t-il ; c'est Gorvenal et cet autre est Tristan lui-meme. » Il eperonna son cheval vers eux et cria : « Tristan ! » Mais deja les deux ecuyers avaient tourne bride et fuyaient. Bleheri, lance a leur poursuite, repetait :
« Tristan, arrete, je t'en conjure par ta prouesse ! »
Mais les ecuyers ne se retournerent pas. Alors Bleheri cria :
« Tristan, arrete, je t'en conjure par le nom d'Iseut la Blonde ! »
Trois fois il conjura les fuyards par le nom d'Iseut la Blonde. Vainement : ils disparurent, et Bleheri ne put atteindre qu'un de leurs chevaux, qu'il emmena comme sa capture. Il parvint au chateau de Saint-Lubin au moment ou la reine venait de s'y heberger. Et, l'ayant trouvee seule, il lui dit :
« Reine, Tristan est dans ce pays. Je l'ai vu sur la route abandonnee qui vient de Tintagel. Il a pris la fuite. Trois fois je lui ai crie de s'arreter, le conjurant au nom d'Iseut la Blonde ; mais il avait pris peur, il n'a pas ose m'attendre.
– Beau sire, vous dites mensonge et folie : comment Tristan serait-il en ce pays ? Comment aurait-il fui devant vous ? Comment ne se serait-il pas arrete, conjure par mon nom ?
– Pourtant, dame, je l'ai vu, a telles enseignes que j'ai pris l'un de ses chevaux. Voyez-le tout harnache, la-bas, sur l'aire. »
Mais Bleheri vit Iseut courroucee. Il en eut deuil, car il aimait Tristan et la reine. Il la quitta, regrettant d'avoir parle.
Alors, Iseut pleura et dit : « Malheureuse ! j'ai trop vecu, puisque j'ai vu le jour ou Tristan me raille et me honnit ! Jadis, conjure par mon nom, quel ennemi n'aurait-il pas affronte ? Il est hardi de son corps : s'il a fui devant Bleheri, s'il n'a pas daigne s'arreter au nom de son amie, ah ! c'est que l'autre Iseut le possede ! Pourquoi est-il revenu ? Il m'avait trahie, il a voulu me honnir par surcroit ! N'avait-il pas assez de mes tourments anciens ? Qu'il s'en retourne donc, honni a son tour, vers Iseut aux Blanches Mains ! »
Elle appela Perinis le Fidele, et lui redit les nouvelles que Bleheri lui avait portees. Elle ajouta :
« Ami, cherche Tristan sur la route abandonnee qui va de Tintagel a Saint-Lubin. Tu lui diras que je ne le salue pas, et qu'il ne soit pas si hardi que d'oser approcher de moi, car je le ferais chasser par les sergents et les valets. »
Perinis se mit en quete, tant qu'il trouva Tristan et Kaherdin. Il leur fit le message de la reine.
« Frere, s'ecria Tristan, qu'as-tu dit ? Comment aurais-je fui devant Bleheri, puisque, tu le vois, nous n'avons pas meme nos chevaux ? Gorvenal et un ecuyer les gardaient, nous ne les avons pas retrouves au lieu designe, et nous les cherchons encore. »
A cet instant revinrent Gorvenal et l'ecuyer de Kaherdin : ils confesserent leur aventure.
« Perinis, beau doux ami, dit Tristan, retourne en hate vers ta dame. Dis-lui que je lui envoie salut et amour, que je n'ai pas failli a la loyaute que je lui dois, qu'elle m'est chere par-dessus toutes les femmes ; dis-lui qu'elle te renvoie vers moi me porter sa merci ; j'attendrai ici que tu reviennes. »
Perinis retourna donc vers la reine et lui redit ce qu'il avait vu et entendu. Mais elle ne le crut pas :
« Ah ! Perinis, tu etais mon prive et mon fidele, et mon pere t'avait destine, tout enfant, a me