en jette morts vingt, et Gautier six, et l'archeveque cinq. Les paiens disent : « Les felons que voila ! Gardez, seigneurs, qu'ils ne s'en aillent vivants ! Traitre qui ne va pas les attaquer, et couard qui les laissera echapper ! » Alors recommencent leurs huees et leurs cris. De toutes parts ils reviennent a l'assaut.

CLIV

LE comte Roland est un noble guerrier, Gautier de l'Hum un chevalier tres bon, l'archeveque un prud'homme eprouve. Pas un des trois ne veut faillir aux autres. Au plus fort de la presse ils frappent sur les paiens. Mille Sarrasins mettent pied a terre ; a cheval, ils sont quarante milliers. Voyez-les qui n'osent approcher ! De loin ils jettent contre eux lances et epieux, guivres et dards, et des museraz, et des agiers… Aux premiers coups ils ont tue Gautier. A Turpin de Reims ils ont tout perce l'ecu, brise le heaume et ils l'ont navre a la tete ; ils ont rompu et demaille son haubert, transperce son corps de quatre epieux. Ils tuent sous lui son destrier. C'est grand deuil quand l'archeveque tombe.

CLV

TURPIN de Reims, quand il se voit abattu de cheval, le corps perce de quatre epieux, rapidement il se redresse debout, le vaillant. Il cherche Roland du regard, court a lui, et ne dit qu'une parole : « Je ne suis pas vaincu. Un vaillant, tant qu'il vit, ne se rend pas ! » Il degaine Almace, son epee d'acier brun ; au plus fort de la presse, il frappe mille coups et plus. Bientot, Charles dira qu'il ne menagea personne, car il trouvera autour de lui quatre cents Sarrasins, les uns blesses, d'autres transperces d'outre en outre et d'autres dont la tete est tranchee. Ainsi le rapporte la Geste ; ainsi le rapporte celui-la qui fut present a la bataille : le baron Gilles, pour qui Dieu fait des miracles, en fit jadis la charte au moutier de Laon. Qui ne sait pas ces choses n'entend rien a cette histoire.

CLVI

LE comte Roland combat noblement, mais son corps est trempe de sueur et brule ; et dans sa tete il sent un grand mal : parce qu'il a sonne son cor, sa tempe s'est rompue. Mais il veut savoir si Charles viendra. Il prend l'olifant, sonne, mais faiblement. L'empereur s'arrete, ecoute : « Seigneurs », dit-il, « malheur a nous ! Roland, mon neveu, en ce jour, nous quitte. A la voix de son cor j'entends qu'il ne vivra plus guere. Qui veut le joindre, qu'il presse son cheval ! Sonnez vos clairons, tant qu'il y en a dans cette armee ! » Soixante mille clairons sonnent, et si haut que les monts retentissent et que repondent les vallees. Les paiens l'entendent, ils n'ont garde d'en rire. L'un dit a l'autre : « Bientot Charles sera sur nous. »

CLVII

LES paiens disent : « L'empereur revient : de ceux de France entendez sonner les clairons. Si Charles vient, il y aura parmi nous du dommage. Si Roland survit, notre guerre recommence ; l'Espagne, notre terre, est perdue. » Quatre cents se rassemblent, portant le heaume, de ceux qui s'estiment les meilleurs en bataille. Ils livrent a Roland un assaut dur et apre. Le comte a de quoi besogner pour sa part.

CLVIII

LE comte Roland, quand il les voit venir, se fait plus fort, plus fier, plus ardent. Il ne leur cedera pas tant qu'il sera en vie. Il monte le cheval qu'on appelle Veillantif. Il l'eperonne bien de ses eperons d'or fin ; au plus fort de la presse, il va tous les assaillir. Avec lui, l'archeveque Turpin. Les paiens l'un a l'autre se disent : « Ami, venez-vous-en ! De ceux de France nous avons entendu les cors : Charles revient, le roi puissant. »

CLIX

LE comte Roland jamais n'aima un couard, ni un orgueilleux, ni un mechant, ni un chevalier qui ne fut bon

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