guerrier. Il appela l'archeveque Turpin : « Sire, vous etes a pied et je suis a cheval. Pour l'amour de vous je tiendrai ferme en ce lieu. Ensemble nous y recevrons et le bien et le mal ; je ne vous laisserai pour nul homme fait de chair. Nous allons rendre aux paiens cet assaut. Les meilleurs coups sont ceux de Durendal. » L'archeveque dit – Honni qui bien ne frappe ! Charles revient, qui bien nous vengera ! »
CLX
LES paiens disent : « Nous sommes nes a la malheure ! Quel douloureux jour s'est leve pour nous ! Nous avons perdu nos seigneurs et nos pairs. Charles revient, le vaillant, avec sa grande armee. De ceux de France, nous entendons les clairons sonner clair ; ils crient « Montjoie ! » a grand bruit. Le comte Roland est de si fiere hardiesse que nul homme fait de chair ne le vaincra jamais. Lancons contre lui nos traits, puis laissons-lui le champ. » Et ils lancerent contre lui des dards et des guivres sans nombre, des epieux, des lances, des museraz empennes. Ils ont brise et troue son ecu, rompu et demaille son haubert ; mais son corps, ils ne l'ont pas atteint. Pourtant, ils lui ont blesse Veillantif de trente blessures ; sous le comte ils l'ont abattu mort. Les paiens s'enfuient, ils lui laissent le champ. Le comte Roland est reste, demonte.
CLXI
LES paiens s'enfuient, marris et courrouces. Vers l'Espagne, ils se hatent, a grand effort. Le comte Roland ne peut leur donner la chasse : il a perdu Veillantif, son destrier ; bon gre mal gre, il reste, demonte. Vers l'archeveque Turpin, il va, pour lui porter son aide. Il lui delaca du chef son heaume pare d'or et lui retira son blanc haubert leger. Il prit son bliaut et le decoupa tout ; dans ses grandes plaies il en a boute les pans. Puis il l'a pris dans ses bras, serre contre sa poitrine ; sur l'herbe verte il l'a mollement couche. Tres doucement il lui fit une priere : « Ah ! gentil seigneur, donnez-m'en le conge : nos compagnons, qui nous furent si chers, les voila morts, nous ne devons pas les laisser. Je veux aller les chercher et les reconnaitre, et devant vous les deposer sur un rang, cote a cote. » L'archeveque dit : « Allez et revenez ! Ce champ est votre, Dieu merci ! votre et mien. »
CLXII
ROLAND part. Il va a travers le champ, tout seul. Il cherche par les vaux, il cherche par les monts. [La il trouva Ivoire et Ivon, et puis il trouva le Gascon Engelier.] La il trouva Gerin et Gerier son compagnon, et puis il trouva Berengier et Aton. La il trouva Anseis et Samson, et puis il trouva Gerard le Vieux, de Roussillon. Un par un il les a pris, le vaillant, et il revient avec, vers l'archeveque. Devant ses genoux il les a mis sur un rang. L'archeveque pleure, il ne peut s'en tenir. Il leve la main, fait sa benediction. Apres il dit : « C'est pitie de vous, seigneurs ! Que Dieu recoive toutes vos ames, le Glorieux ! En paradis qu'il les mette dans les saintes fleurs ! A mon tour, combien la mort m'angoisse ! Je ne reverrai plus l'empereur puissant. »
CLXIII
ROLAND repart ; a nouveau il va chercher par le champ. Il retrouve son compagnon, Olivier. Contre sa poitrine il le presse, etroitement embrasse. Comme il peut, il revient vers l'archeveque. Sur un ecu il couche Olivier aupres des autres, et l'archeveque l'a absous et signe du signe de la croix. Alors redoublent la douleur et la pitie. Et Roland dit : « Olivier, beau compagnon, vous etiez fils du duc Renier, qui tenait la marche du Val de Runers. Pour rompre une lance et pour briser des ecus, pour vaincre et abattre les orgueilleux, pour soutenir et conseiller les prud'hommes [… ], en nulle terre il n'y a chevalier meilleur que vous ne futes ! »
CLXIV
LE comte Roland, quand il voit morts ses pairs, et Olivier qu'il aimait tant, s'attendrit : il se met a pleurer. Son visage a perdu sa couleur. Si grand est son deuil, il ne peut plus rester debout ; qu'il le veuille ou non, il choit contre terre, pame. L'archeveque dit : « Baron, c'est pitie de vous ! »