empecher. Mais il ne veut pas se mettre lui-meme en oubli ; il bat sa coulpe et implore la merci de Dieu : « Vrai Pere, qui jamais ne mentis, toi qui rappelas saint Lazare d'entre les morts, toi qui sauvas Daniel des lions, sauve mon ame de tous perils, pour les peches que j'ai faits dans ma vie ! » Il a offert a Dieu son gant droit : saint Gabriel l'a pris de sa main. Sur son bras il a laisse retomber sa tete ; il est alle, les mains jointes, a sa fin. Dieu lui envoie son ange Cherubin et saint Michel du Peril ; avec eux y vint saint Gabriel. Ils portent l’ame du comte en paradis.
CLXXVII
ROLAND est mort ; Dieu a son ame dans les cieux. L'empereur parvient a Roncevaux. Il n'y a route ni sentier, pas une aune, pas un pied de terrain libre ou ne gise un Francais ou un paien. Charles s'ecrie : « Ou etes-vous, beau neveu ? Ou est l'archeveque ? Ou, le comte Olivier ? Ou est Gerin ? et Gerier, son compagnon ? Ou est Oton ? et le comte Berengier ? Ivon et Ivoire, que je cherissais tant ? Qu'est devenu le Gascon Engelier ? le duc Samson ? et le preux Anseis ? Ou est Gerard de Roussillon, le Vieux ? Ou sont-ils, les douze pairs, qu'ici j'avais laisses ? » De quoi sert qu'il appelle, quand pas un ne repond ? » « Dieu ! » dit le roi, « j'ai bien sujet de me desoler. Que ne fus-je au commencement de la bataille ! » Il tourmente sa barbe en homme rempli d'angoisse ; ses barons chevaliers pleurent ; contre terre, vingt mille se pament. Le duc Naimes en a grande pitie.
CLXXVIII
IL n'y a chevalier ni baron qui de pitie ne pleure, douloureusement. Ils pleurent leurs fils, leurs freres, leurs neveux et leurs amis et leurs seigneurs liges ; contre terre, beaucoup se sont pames. Le duc Naimes a fait en homme sage, qui, le premier, dit a l'empereur : « Regardez en avant, a deux lieues de nous ; vous pourrez voir les grands chemins poudroyer, tant il y a de l'engeance sarrasine. Or donc, chevauchez ! Vengez cette douleur ! – Ah ! Dieu », dit Charles, « deja ils sont si loin ! Accordez-moi mon droit, faites-moi quelque grace ! C'est la fleur de douce France qu'ils m'ont ravie ! » Il appela Oton et Geboin, Tedbalt de Reims et le comte Milon : « Gardez le champ de bataille, par les monts, par les vaux. Laissez les morts couches, tout comme ils sont. Que bete ni lion n'y touche ! Que n'y touche ecuyer ni valet ! Que nul n'y touche, je vous l'ordonne, jusqu'a ce que Dieu nous permette de revenir dans ce champ ! » Et ils repondent avec douceur, en leur amour : « Droit empereur, cher seigneur, ainsi ferons-nous ! » Ils retiennent aupres d'eux mille de leurs chevaliers.
CLXXIX
L'EMPEREUR fait sonner ses clairons ; puis il chevauche, le preux, avec sa grande armee. Ils ont force ceux d'Espagne a tourner le dos ( ?) ; ils tiennent la poursuite d'un meme c?ur, tous ensemble. Quand l'empereur voit decliner la vepree, il descend de cheval sur l'herbe verte, dans un pre : il se prosterne contre terre et prie le Seigneur Dieu de faire que pour lui le soleil s'arrete, que la nuit tarde et que le jour dure. Alors vient a lui un ange, celui qui a coutume de lui parler. Rapide, il lui donne ce commandement : « Charles, chevauche ; la clarte ne te manque pas. C'est la fleur de France que tu as perdue, Dieu le sait. Tu peux te venger de l'engeance criminelle ! » Il dit, et l'empereur remonte a cheval.
CLXXX
POUR Charlemagne Dieu fit un grand miracle, car le soleil s'arrete, immobile. Les paiens fuient, les Francs leur donnent fortement la chasse. Au Val Tenebreux ils les atteignent, les poussent vivement vers Saragosse, les tuent a coups frappes de plein c?ur. Ils les ont coupes des routes et des chemins les plus larges. L’Ebre est devant eux : l'eau en est profonde, redoutable, violente ; il n'y a ni barge, ni dromont, ni chaland. Les paiens supplient un de leurs dieux, Tervagant, puis se precipitent ; mais nul ne les protegera. Ceux qui portent le heaume et le haubert sont les plus pesants : ils coulent a fond, nombreux ; les autres s'en vont flottant a la derive ; les plus heureux boivent a foison, tant qu'enfin tous se noient, a grande angoisse. Les Francais s'ecrient : « Roland, c'est grand'pitie de votre mort ! »