trente ours. Chacun parlait comme un homme. Ils lui disaient : « Sire, rendez-le-nous ! Il n'est pas juste que vous le reteniez plus longtemps. Il est notre parent, nous lui devons notre secours. » De son palais accourt un levrier. Sur l'herbe verte, au dela des autres, il attaque l'ours le plus grand. La le roi regarde un merveilleux combat ; mais il ne sait qui vainc, qui est vaincu. Voila ce que l'ange de Dieu a montre au baron. Charles dort jusqu'au lendemain, au jour clair.

CLXXXVII

LE roi Marsile s'enfuit a Saragosse. Sous un olivier il a mis pied a terre, a l'ombre. Il rend a ses hommes son epee, son heaume et sa brogne ; sur l'herbe verte il se couche miserablement. Il a perdu sa main droite, tranchee net ; pour le sang qu'il perd, il se pame d'angoisse. Devant lui sa femme, Bramimonde, pleure et crie, hautement se lamente. Avec elle plus de vingt mille hommes, qui maudissent Charles et douce France. Vers Apollin ils courent, dans une crypte, le querellent, l'outragent laidement : « Ah ! mauvais dieu ! Pourquoi nous fais-tu pareille honte ? Pourquoi as-tu souffert la ruine de notre roi ? Qui te sert bien, tu lui donnes un mauvais salaire ! » Puis ils lui enlevent son sceptre et sa couronne [… ], le renversent par terre a leurs pieds, le battent et le brisent a coups de forts batons. Puis a Tervagan, ils arrachent son escarboucle ; Mahomet, ils le jettent dans un fosse, et porcs et chiens le mordent et le foulent.

CLXXXVIII

MARSILE est revenu de pamoison. Il se fait porter dans sa chambre voutee : des signes de diverses couleurs y sont peints et traces. Et la reine Bramimonde pleure sur lui, s'arrache les cheveux : « Chetive ! » dit-elle, puis a haute voix elle s'ecrie : « Ah ! Saragosse, comme te voila deparee, quand tu perds le gentil roi qui t'avait en sa baillie ! Nos dieux furent felons, qui ce matin lui faillirent en bataille. L'emir fera une couardise, s'il ne vient pas combattre l'engeance hardie, ces preux si fiers qu'ils n'ont cure de leurs vies. L'empereur a la barbe fleurie est vaillant et plein d'outrecuidance : si l'emir lui offre la bataille, il ne fuira pas. Quel deuil qu'il n'y ait personne qui le tue ! »

CLXXXIX

L'EMPEREUR, par vive force, sept ans tous pleins est reste dans l'Espagne. Il y conquiert des chateaux, des cites nombreuses. Le roi Marsile s'evertue a lui resister. Des la premiere annee il a fait sceller ses brefs : a Babylone il a requis Baligant : c'est l'emir, le vieillard charge de jours, qui vecut plus que Virgile et Homere. Qu'il vienne a Saragosse le secourir : s'il ne le fait, Marsile reniera ses dieux et toutes les idoles qu'il adore ; il recevra la loi chretienne ; il cherchera la paix avec Charlemagne. Et l'emir est loin, il a longuement tarde. De quarante royaumes il appelle ses peuples ; il a fait appreter ses grands dromonts, des vaisseaux legers et des barges, des galles et des nefs. Sous Alexandrie, il y a un port pres de la mer ; il assemble la toute sa flotte. C'est en mai, au premier jour de l'ete : il lance sur la mer toutes ses armees.

CXC

GRANDES sont les armees de cette engeance haie. Les paiens cinglent a force de voiles, rament, gouvernent. A la pointe des mats et sur les hautes proues, escarboucles et lanternes brillent, nombreuses : d'en haut elles jettent en avant une telle clarte que par la nuit la mer en est plus belle. Et, comme ils approchent de la terre d'Espagne, la cote s'eclaire toute et resplendit. La nouvelle en vient jusqu'a Marsile.

CXCI

LA gent des paiens n'a cure de faire relache. Ils laissent la mer, entrent dans les eaux douces. Ils passent Marbrise et passent Marbrose, remontent l'Ebre avec toutes leurs nefs. Lanternes et escarboucles brillent sans nombre et toute la nuit leur donnent grande clarte. Au jour, ils parviennent a Saragosse.

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