facultes mentales pour compenser l’absence des griffes et des crocs qui leur faisaient si cruellement defaut. Et si Burl etait aussi demuni qu’eux, ses ennemis a lui et les dangers qu’il lui fallait affronter etaient mille fois plus effroyables que tout ce qu’avaient connu ses predecesseurs. Ses ancetres avaient invente poignards, epieux, avions, missiles. Mais les armes des adversaires quotidiens du jeune homme etaient mille fois plus meurtrieres que celles qui avaient defendu les premiers humains.
Cependant, le simple fait qu’il reflechisse desormais mettait en avant une faculte ignoree de l’univers des insectes et que lui, Burl, possedait.
Vers le milieu de la matinee, Burl entendit a moins de vingt metres de lui un mugissement profond et discordant. Il se cacha avec terreur et attendit, pretant l’oreille. Le mugissement recommenca mais, cette fois, sur un ton plaintif. Un champignon s’ecroula avec un bruit spongieux. Quelque chose luttait desesperement avec quelque chose d’autre. Mais Burl ne savait pas quels animaux etaient en train de se battre.
Il attendit, et le bruit s’eteignit peu a peu. Il respira plus calmement et reprit courage, il sortit de sa cachette et serait reparti si une curiosite nouvelle ne l’avait retenu. Au lieu de fuir la scene, il avanca prudemment vers la source du bruit.
Glissant son regard entre deux pieds de champignons de couleur creme, Burl apercut un piege de soie en forme d’entonnoir, large d’une vingtaine de metres et tout aussi profond. On aurait dit un tissu de la texture la plus fine et la plus diaphane. Soutenu par de hauts champignons, il etait fixe au sol. Il se resserrait autour d’un trou conduisant a un repaire encore visible.
C’etait la trappe d’une mygale, l’araignee a labyrinthe. Aucun des fils entrelaces n’etait assez solide pour retenir autre chose qu’une proie tres legere. Mais il y avait des milliers de ces fils. Un grillon se debattait dans le labyrinthe gluant. A chaque ruade, il brisait des cordes, mais s’empetrait davantage. C’etait lui qui emettait un horrible rugissement caverneux.
Burl, aux aguets, regardait tantot le grillon prisonnier, tantot l’ouverture dans laquelle se tenait l’araignee. Soudain celle-ci sortit d’un bond leger. Elle etait grise, avec deux bandes noires sur son thorax et deux raies brunes sur son ventre blanc. Burl vit aussi qu’elle avait deux appendices bizarres qui formaient comme une sorte de queue.
Maintenant, le grillon se debattait faiblement et ses cris etaient assourdis. Burl vit l’araignee se jeter sur sa proie. Il vit les crochets transpercer la cuirasse du grillon. Peu apres, la mygale commenca son repas. Avec une joie bestiale, elle sucait tout le jus succulent de sa victime.
Soudain Burl, terrifie, sursauta. Il avait le souffle coupe. Non pas a cause de ce spectacle, banal pour lui, mais a cause d’une idee qui lui etait venue.
Lui, Burl, avait tue une tarentule sur la falaise rouge. Cet exploit avait ete accidentel, il est vrai, et il avait failli lui couter la vie. Mais enfin, il avait tue une araignee, et de l’espece la plus meurtriere. La pensee lui etait venue qu’il pourrait en tuer une autre.
Sur la planete oubliee, les araignees etaient les ogres des tribus humaines. Il etait difficile d’apprendre a les connaitre car les etudier, c’etait aller a une mort certaine. Cependant, tous les hommes savaient qu’une araignee tisseuse ne quittait jamais sa trappe. Jamais. Et Burl imagina l’exploit impossible, magnifique, d’utiliser cette faiblesse pour tuer une mygale.
Le jeune homme passa derriere la toile. Et il attendit. Bientot, par les interstices de la soie, il apercut la masse grise de l’araignee. Elle avait abandonne la carcasse du grillon pour retourner dans son nid soyeux.
Du fond de son repaire, elle surveillait les fils de son piege d’un ?il hallucine.
Burl sentit ses cheveux se dresser sur sa tete. Mais il n’abandonna pas son projet.
Le nid de l’araignee ne reposait pas sur le sol. Il etait suspendu par des cables comme ceux qui recouvraient le piege lui-meme.
La sueur coulait sur le visage de Burl. Il leva sa lance. Il ne courait en fait aucun danger avant le moment ou il frapperait, mais l’idee meme d’attaquer une mygale le terrifiait.
La main de Burl se crispa sur son arme. Il la projeta sur la masse que formait le corps de l’araignee. Il appuya avec une furie hysterique. Puis il s’enfuit comme si le diable etait a ses trousses.
Ce ne fut que longtemps apres qu’il se risqua a revenir sur ses pas. Il avait la gorge serree. Tout etait calme. Burl avait manque les horribles convulsions de la mygale blessee. Il n’avait pas entendu les affreux grincements de ses crochets crispes sur l’arme qui la transpercait. Quand il revint, il vit tout de suite la large dechirure que sa lance avait faite dans la soie du nid. Le regard eteint de l’araignee le fixait avec une cruaute intense. Ses crochets etaient encore leves pour tuer. Ses pattes velues avaient dechire le trou beant d’ou elle emergeait a demi. Une mare de liquide puant etait repandue sur le sol.
Burl fut envahi par une grande joie. Depuis pres de quarante generations, sa tribu n’etait que vermine fugitive, terrorisee par les insectes tout-puissants. Les hommes ne se defendaient pas. Ils se cachaient. Lorsqu’ils etaient pris, ils attendaient la mort en hurlant de terreur. Mais lui, Burl, avait renverse les roles. Lui, un homme, il avait tue une araignee. Il bomba le torse et une clameur triomphante sortit subitement de ses levres. C’etait le premier cri de chasse qu’ait jamais pousse un homme sur la planete oubliee.
Aussitot apres, bien entendu, son pouls cessa presque de battre tant il etait effraye d’avoir fait un tel bruit. Il tendit l’oreille, affole. Mais le monde des insectes ne lui pretait aucune attention. Alors, Burl s’approcha de sa proie. Il retira soigneusement sa lance, pret a fuir si l’araignee bougeait. Le sang sur l’arme etait repugnant. Burl l’essuya sur un champignon. Puis…
Puis il songea a Saya et a la tribu. Il tira l’araignee et parvint a la sortir de son nid. Et il repartit, emportant son butin. Le ventre de la mygale reposait sur son dos et deux de ses pattes velues sur ses epaules. Les autres membres du monstre trainaient mollement sur le sol derriere le jeune homme.
Jamais la planete oubliee n’avait connu pareil spectacle.
Burl devenait arrogant. Il pensa que les animaux fuyaient devant lui a cause de ce qu’il portait. Mais, en fait, les insectes ne connaissent pas la peur. Chaque espece ne craint que les ennemis qui lui sont particuliers.
Burl marchait d’un bon pas. Il deboucha bientot dans une vallee herissee de champignons en lambeaux. Plus un seul ne possedait de chapeau. Tous avaient ete envahis par des asticots qui en avaient reduit la chair en bouillie, la transformant en un liquide putride qui degoulinait sur le sol avant de rejoindre, en contrebas, une mare aux etranges reflets dores. Un bourdonnement sourd s’elevait du fond de la vallee.
Le jeune homme, qui s’etait arrete pour decouvrir la source du vacarme, vit la mare dont la surface doree refletait le ciel gris et les debris des champignons qui s’etageaient a flanc de coteau dans un etat de putrefaction avancee. Un ruisselet de liquide dore degouttait d’une corniche rocheuse. Et la, tout autour de la mare et sur les deux rives du ruisselet, en rangs serres, par centaines, par milliers, peut-etre meme par millions, se pressaient des mouches mordorees.
Comparees aux autres insectes de la planete oubliee, elles etaient de dimensions modestes. Les mouches a viande deposaient leurs ?ufs par centaines dans les cadavres en decomposition. Les autres pondaient dans la chair des champignons. Pour satisfaire l’appetit des asticots qui viendraient a eclosion, d’enormes quantites de nourriture etaient indispensables. Les mouches se devaient donc de rester relativement petites, sinon le cadavre d’une sauterelle, par exemple, ne pourrait suffire aux besoins que de deux ou trois asticots au lieu de la centaine qu’il etait cense contenter. Il en allait, bien entendu, de meme pour les asticots pondus a l’interieur des champignons.
Mais la gloutonnerie des mouches adultes, elle, ne connaissait pas de limites. Mouches vertes, mouches bleues – et toutes especes de mouches a reflets metalliques – s’agglutinaient la dans un horrible festin du Lucullus de la pourriture. Le bourdonnement de celles qui essaimaient au-dessus de la mare etait assourdissant. Elles volaient en tous sens, cherchant eperdument un endroit ou se poser pour participer au banquet.
Les corps etincelants de celles qui festoyaient deja etaient d’une immobilite telle qu’on les aurait crus coules dans le metal.
Ec?ure, Burl ne pouvait cependant detacher les yeux de cette ignominie lorsque, soudain, un nouveau spectacle s’offrit a sa vue.
Une libellule se decoupait dans le ciel. Son corps chatoyant, soutenu par des ailes transparentes, ne mesurait pas moins de sept metres. Tel un helicoptere, elle se balanca un instant en equilibre au-dessus de la mare, puis elle fondit vers la surface et ses machoires entrerent aussitot en action, mordant en tous sens. A chacun de leurs mouvements correspondait la disparition d’une mouche.
Une seconde libellule apparut bientot, puis une troisieme. Elles se mirent a fendre l’air au-dessus de la mare, effectuant leurs virages brutaux a angle droit, jouant des machoires a qui mieux mieux, creatures dont la