Soudain, elle se transforma en incendie. Les etincelles devinrent des braises. Une douzaine de colonnes de fumee s’eleverent et se rassemblerent en un voile epais au-dessus des collines pourpres. Burl, apathique, regarda les fourmis monter en rangs serres vers la fournaise qui les attendait.
Les ancetres de ces insectes n’avaient jamais connu le feu. Sur la Terre, dans le bassin de l’Amazone, il n’y avait pas eu d’incendies de forets. Sur la planete oubliee, encore bien moins. Les fourmis n’avaient donc aucune terreur instinctive des flammes. Elles entrerent sans hesiter dans les ouvertures embrasees qui apparaissaient sur les collines. De leurs mandibules, elles cherchaient a saisir les flammes. Elles sautaient a l’assaut des charbons incandescents.
Burl regardait ce spectacle sans le comprendre. Les flammes qui approchaient lui brulaient la peau. La fumee acre le faisait larmoyer. Il battit lentement en retraite, s’appuyant sur son arme et se retournant souvent.
La nuit etait tombee. Mais, pour l’armee des fourmis, il faisait encore clair. Elles avancaient toujours, lancant leur defi strident. Avec un courage forcene, elles attaquaient le feu de leurs machoires crochues. Aveuglees, les antennes arrachees, les pattes recroquevillees par le feu, elles attaquaient toujours.
Enfin, il ne resta plus de l’immense armee des fourmis qu’un petit groupe de retardataires courant ca et la sur le sol devaste. Les cadavres des immenses bataillons formaient un charnier malodorant qui se consumait dans la fournaise.
Burl reprit lentement sa marche a travers les collines. Par deux fois, il rencontra des petits elements de l’armee disparue. Ces isolees devoraient furieusement tout ce qu’elles rencontraient. Une fois, Burl fut apercu et un cri strident retentit. Il continua d’avancer. Une fourmi qui marchait en solitaire tenta de le poursuivre. Burl la frappa de son gourdin et abandonna le corps contorsionne que ses camarades trouverent et devorerent.
Maintenant, les dernieres lueurs du jour avaient disparu a l’ouest. Il n’y avait plus aucune lumiere, sauf celle que repandaient les collines en feu. La lente pluie nocturne fit son apparition. Burl entendit tomber les gouttes sur les parties intactes des collines.
Le jeune homme trouva sous ses pieds du terrain ferme. A l’affut du danger, il s’arreta et preta attentivement l’oreille. Quelque chose bruissait lourdement a trois cents metres de lui dans un massif de champignons. Puis un gros corps s’envola dans un battement d’ailes puissantes.
Un violent courant d’air frappa Burl. Il leva les yeux a temps pour apercevoir la silhouette d’un enorme phalene qui passait au-dessus de lui. Il se tourna pour le suivre des yeux et le vit se jeter dans les flammes.
Burl s’accroupit sous un champignon pour attendre l’aube. La lente pluie continuait a tomber doucement, frappant le chapeau du champignon. Burl ne pouvait pas dormir. Les incendies s’etendaient. Le flamboiement a l’horizon devenait de plus en plus vif. Il se rapprochait aussi.
Le jeune homme avait peur. Jamais il n’avait imagine l’existence du feu. Et maintenant les nuages bas eux-memes refletaient les lueurs de l’incendie. Sur un front d’une trentaine de kilometres, les foyers crepitants et les colonnes de fumee rougeoyante semblaient vouloir illuminer l’univers. On aurait dit les lumieres qu’une metropole lance vers le ciel. Et, tels des avions guides par les feux de balisage, des millions d’insectes nocturnes, fascines, convergeaient vers le monstrueux brasier.
D’enormes phalenes, des hannetons volants, des mouches et des moucherons gigantesques dansaient au- dessus des flammes. Des creatures aux dimensions colossales mais aux membres d’une delicatesse exquise survolaient l’etendue chauffee a blanc. Des papillons de nuit aux ailes eclatantes et aux yeux de grenat contemplaient la fournaise, fascines par son incandescence.
Burl vit un grand phalene-paon qui planait au-dessus des collines. Ses ailes, dont l’envergure atteignait plus de dix metres, claquaient comme des voiles d’une beaute irreelle. Ses antennes plumeuses semblaient faites de la dentelle la plus fine ; son corps, du velours le plus soyeux. Un col de fourrure d’un blanc de neige marquait la naissance de sa tete. Les lueurs montant du sol avivaient l’eclat de son ventre marron. Deux enormes taches iridescentes, marquaient ses ailes. Parmi les feux des champignons incandescents, c’etait une symphonie chatoyante de pourpre et d’or, de calcedoine et de chrysoprase.
Et soudain, il plongea droit dans les flammes les plus epaisses et les plus incandescentes. Il se jeta dans la fournaise, victime consentante, enivree de tant de beaute.
Des hannetons volants fendaient maladroitement l’air surchauffe et leurs corps patauds se paraient, l’espace d’un instant, de l’eclat du metal en fusion.
D’affreuses collisions, des rencontres grotesques avaient lieu au-dessus des collines en feu. Males et femelles tournoyaient dans la lumiere, dansant leur danse d’amour et de mort avant de piquer dans les flammes.
De tous cotes apparaissaient des creatures etranges. Des papillons de nuit du jaune le plus vif, aux corps velus palpitants de vie, se ruaient a la mort. D’autres, du noir le plus sombre, les ailes ornees de symboles sinistres, arrivaient a tire-d’aile pour danser au-dessus de l’embrasement comme des poussieres dans le soleil.
Et Burl, tapi sous son champignon, regardait toujours tandis que la pluie tombait inlassablement et qu’un chuintement bizarre s’elevait des endroits ou les gouttes rejoignaient les flammes.
4
La nuit s’ecoula. Au-dessus du feu, les insectes dansaient et mouraient. Burl, tendu, immobile, regardait intensement autour de lui. Il s’efforcait de trouver une explication a ce qu’il voyait. Enfin, le ciel s’eclaircit, vira au gris. Et ce fut le jour. Les flammes des collines parurent diminuer, puis s’eteindre, tandis que l’univers tout entier devenait lumineux.
Au bout d’un long moment, Burl se glissa hors de sa cachette et se redressa.
A deux cents pas de lui, une muraille de fumee montait verticalement au-dessus des collines de champignons qui brulaient encore. La fumee s’etendait sur des kilometres. Burl se retourna pour poursuivre sa route et decouvrit les restes de l’une des tragedies de la nuit.
Un enorme phalene avait vole dans les flammes. Il avait ete affreusement roussi. S’il avait encore ete capable de voler, il serait retourne a sa divinite devorante, mais il gisait maintenant sur le sol, les antennes a moitie grillees. Une de ses ailes magnifiques n’etait plus qu’une succession de trous beants. Ses yeux etaient obscurcis. Ses pattes delicatement fuselees avaient ete brisees par la violence de sa chute. Les moignons d’antennes s’agitaient sans repit. Le ventre du papillon battait lentement au rythme de sa respiration torturee.
Burl s’approcha. Il leva sa massue.
Lorsqu’il reprit sa marche, une cape etincelant de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel etait posee sur ses epaules. Une somptueuse fourrure bleue ceignait ses reins. Sur sa tete il avait fixe deux magnifiques fragments d’antenne.
Il avancait a pas lents, vetu comme aucun homme ne l’avait ete avant lui. Quelques instants plus tard, une autre victime de l’holocauste lui fournit une lance plus longue et plus meurtriere que celle qu’il avait ramassee la veille. Le jeune homme reprit sa route vers Saya. Il ressemblait a un prince hindou se rendant a ses noces.
Pendant un grand nombre de kilometres, Burl se fraya un chemin a travers une vaste foret de champignons veneneux. Leurs pieds minces etaient herisses de mousses et de moisissures multicolores. A deux reprises, il deboucha dans des clairieres ou des flaques de vase verdatre laissaient echapper des bulles d’un gaz infect. Et, une fois, il dut se mettre a l’abri pour ceder la route a un enorme scarabee qui passait d’un pas lourd a moins de trois metres de lui, cliquetant comme une formidable machine.
Le jeune homme envia la solide armure et les machoires recourbees du monstre. Quelles armes ! Le temps n’etait cependant pas encore venu, pour Burl et ses congeneres, de s’attaquer a de tels geants afin de deguster la chair juteuse renfermee dans leurs membres blindes. Burl n’etait encore qu’un sauvage, ignorant, timore. Le seul progres reel qu’il ait accompli ? Alors qu’il y avait peu de temps encore, le moindre danger le lancait dans une fuite eperdue, il s’attardait desormais a reflechir pour decider s’il convenait ou non de fuir.
Il formait un bien etrange spectacle tandis qu’il avancait dans la foret de champignons. Il avait l’air d’un conquerant. Mais il n’etait encore qu’une creature craintive et faible. Dans cette faiblesse residaient ses plus grandes chances. Car s’il avait ete fort, il n’aurait pas eu besoin de reflechir.
Des centaines de milliers d’annees auparavant ses ancetres avaient ete contraints de developper leurs