guerrieres deferla. Pietinee par les insectes a l’odeur fetide, elle effectua une sortie, jouant de l’aiguillon et des mandibules pour assurer le salut de sa progeniture. En quelques secondes, elle disparut sous une masse de fourmis decidees a mettre en pieces son armure chitineuse. Elle combattait pourtant avec l’energie du desespoir, bourdonnant a tout rompre pour alerter les membres de la colonie demeures a l’interieur.

Dix enormes abeilles de pres d’un metre cinquante vinrent se jeter dans la melee a coups de pattes et de maxilles, d’ailes et de mandibules, luttant comme des tigres en furie. Mais les fourmis montaient sur leur dos, mordaient leurs yeux a facettes multiples et s’acharnaient sur les jointures sensibles de leurs armures.

L’issue d’un tel combat ne faisait pas de doute : aussi vaillantes que soient les abeilles, elles ne pouvaient que succomber sous le nombre. Et avant meme que la derniere ne soit hors de combat, la galerie souterraine avait deja ete mise a sac tandis que les larves, incapables de se defendre, etaient devorees vivantes.

Apres le passage de la horde, il ne restait plus de la ruche qu’un tunnel vide et quelques fragments d’armures – si coriaces que meme les fourmis n’en avaient pas voulu.

Lorsqu’il commenca a preter attention au bruit de l’armee en marche, Burl etait en train d’examiner la scene d’une recente tragedie. Des fragments arraches a la carapace luisante d’un gros hanneton gisaient sur le sol. La victime avait ete tuee par un hanneton encore plus gros qu’elle. Burl contemplait les restes de la bataille. Il cherchait une arme.

Trois ou quatre jeunes fourmis, minuscules insectes qui mesuraient a peine quinze centimetres de long, fourrageaient dans les debris. Burl jeta son devolu sur une patte posterieure aux griffes feroces. Lorsqu’il la ramassa, une plainte courroucee s’eleva du sol. Une des petites fourmis etait en train de detacher un morceau de chair de la patte. Burl lui avait arrache son butin.

La petite bete se precipita avec fureur sur le jeune homme en poussant un cri strident. Burl la frappa avec la patte de hanneton et l’ecrasa. Deux autres fourmis, attirees par les cris de la premiere, apparurent. Elles decouvrirent le corps ecrase de leur compagne et l’emporterent triomphalement.

Burl continua sa marche, tenant a la main la patte griffue. Derriere lui, l’armee des fourmis guerrieres approchait. Elles envahirent une foret de champignons dont les chapeaux jaunatres ne tarderent pas a disparaitre sous la maree des insectes.

Une grosse mouche a viande, brillant d’un eclat metallique, etait postee sous un bolet infeste d’asticots qui exsudaient une pepsine capable d’en dissoudre la chair. Les asticots baignaient beatement dans ce brouet infect qui s’ecoulait vers le sol. Et, a terre, la mouche bleue aspirait avec volupte le liquide puant.

Burl s’approcha et frappa. La mouche s’effondra.

Le jeune homme se pencha sur sa victime et reflechit.

Le vacarme de l’armee en marche s’intensifiait. Les fourmis s’engouffrerent dans une petite vallee et se ruerent a travers un ruisseau que Burl avait saute. Les fourmis sont capables de rester longtemps sous l’eau sans se noyer. Le ruisseau n’etait donc guere dangereux pour elles. Bien sur, quelques-unes furent emportees par le courant. Mais, se cramponnant les unes aux autres et formant une chaine, les membres de l’avant-garde improviserent un pont que le gros de la troupe franchit aussitot sans encombre.

Les guerrieres atteignirent une clairiere situee a quatre cents metres environ de la route suivie par Burl. Une etendue de quelques arpents etait recouverte de choux geants qui, dans ce coin, avaient reussi a l’emporter sur les champignons. Leurs fleurs claires en forme de croix fournissaient du pollen aux abeilles. Leurs feuilles, larges de six metres, nourrissaient d’innombrables vers et larves. A leurs pieds, sous les feuilles mortes, vivaient des grillons.

Les guerrieres envahirent la foret de choux. Un vacarme effrayant s’eleva. Les grillons cherchaient a s’enfuir. Affoles, ils sautaient a l’aveuglette dans tous les sens. La moitie d’entre eux atterrirent au milieu de l’armee de fourmis, sur le tapis de corps noirs cliquetants. Ils furent mis en pieces. D’horribles hurlements parvinrent aux oreilles de Burl.

Isole, un de ces cris d’agonie n’aurait pas attire son attention. Mais ce ch?ur de creatures torturees lui fit lever la tete. Il ne s’agissait pas de meurtre individuel. Une tuerie massive etait en cours.

Burl tourna brusquement la tete pour voir ce qui se passait. Il regarda fixement les silhouettes des choux geants. Aucun rayon de soleil ne percant les nuages pour chauffer leurs enormes feuilles, ces choux revetaient des couleurs blafardes. Leurs fleurs blanches se decoupaient sur le fond jaunatre des feuilles. Soudain, tandis que Burl le contemplait, ce fond devint lentement noir.

Des larves se prelassaient avec une satisfaction paresseuse sur les choux. Tout a coup, une d’entre elles, puis une autre, commencerent a s’agiter spasmodiquement. Burl s’apercut qu’autour de chacune des larves une bordure noire s’etait formee. Le flot sombre les recouvrit entierement. Les contorsions frenetiques des victimes temoignaient de leurs souffrances atroces tandis qu’elles etaient devorees vivantes.

Les fourmis depasserent la clairiere des choux. Burl vit apparaitre une vague noire qui approchait des champignons au milieu desquels il se trouvait. Un flot vivant, etincelant, inondait le sol avec un bruit de cliquetis intense que dominaient des stridulations aigues.

La maree noire le rattrapait.

Burl sentit ses cheveux se dresser sur sa tete. Il savait ce que cela signifiait. Et il ne s’arreta pas pour reflechir. Il jeta le champignon comestible qu’il portait sous son bras et, se cramponnant a son arme, il tourna les talons et s’enfuit. Les autres dangers qu’il pouvait courir, il s’en moquait bien. Il lui fallait, a tout prix, echapper aux fourmis guerrieres qui representaient une mort certaine.

D’enormes mouches vinrent bourdonner autour de lui et l’une d’elles – plus large que sa main – se posa sur son epaule.

Continuant a foncer droit devant lui, il la chassa. Mais l’huile dont il etait enduit avait ranci, et l’odeur fetide attirait irresistiblement ses congeneres. Une demi-douzaine, puis une douzaine d’insectes grondants et vrombissants – la plus petite de ces mouches avait la taille d’un faisan – accompagnerent bientot sa course eperdue.

Une mouche a viande, aussitot rejointe par une seconde, se posa sur sa tete. Et, grace a leur trompe velue, les deux creatures ignobles se mirent a aspirer la graisse qui poissait ses cheveux. Burl les chassa de sa main et accelera encore sa course, les oreilles aux aguets, attentif au cliquetis des fourmis qui marchaient dans son sillage.

Car il continuait a retentir, ce cliquetis terrifiant, meme s’il etait presque noye a present par le vacarme du halo de mouches qui accompagnait Burl. Sur la planete oubliee, le bourdonnement de ces dipteres etait descendu de plusieurs tons au fur et a mesure que la taille de l’espece s’etait accrue – il etait proche maintenant du son le plus grave que soit capable de produire un orgue. Et pourtant, les mouches, bien que de dimensions respectables, n’avaient pas cru aussi demesurement que les autres insectes sur ce monde abandonne. Elles n’y disposaient pas, en effet, de grands amoncellements de matiere putride ou pondre leurs ?ufs : les fourmis, inlassables charognards, charriaient les moindres debris pour les utiliser a leur profit bien avant qu’ils n’aient acquis cette odeur de faisande tant appreciee des asticots. Les mouches ne proliferaient qu’en de rares endroits, ou elles pullulaient alors en veritables nuages.

Un de ces nuages etait precisement en train de se former autour de Burl. On aurait dit qu’un tourbillon l’accompagnait dans sa fuite eperdue – un tourbillon de corps velus, repugnants, et d’yeux a facettes multiples. Pour se tailler un chemin a travers cet envol d’animaux immondes, le jeune homme etait oblige d’effectuer de constants moulinets avec son arme. Chaque mouvement de la patte griffue qu’il faisait tournoyer devant lui provoquait la mort d’une mouche geante qu’il ecrasait dans un affreux giclement de liquide rougeatre.

Soudain, Burl sentit une violente douleur dans son dos. Une mouche lui avait plante sa trompe aceree dans la chair pour lui sucer le sang. Il poussa un hurlement et, aveugle par la douleur, entra de plein fouet dans le pied d’un champignon veneneux en etat de putrefaction avancee.

Le champignon s’ecroula avec un bruit mou. D’innombrables insectes y avaient pondu leurs ?ufs, transformant la chair empoisonnee en une masse gelatineuse a l’odeur pestilentielle, grouillante d’asticots.

Le bourdonnement profond des mouches exprima brusquement la satisfaction. Et elles fondirent sur ce festin inattendu. Burl, qui avait perdu tout attrait a leurs yeux, reprit sa course folle. Seules le suivirent quelques obstinees, qu’il abattit sans difficulte. Il n’eut meme pas besoin de les tuer toutes : les survivantes etaient trop occupees a se repaitre des cadavres de leurs s?urs pour se preoccuper du fugitif.

Burl passa en courant sous un chou geant isole. Une enorme sauterelle, prete a bondir, etait en train de broyer de ses terribles mandibules radiales la vegetation luxuriante. Une demi-douzaine de grosses chenilles broutaient consciencieusement les feuilles qui les supportaient. Une autre s’activait au filage du cocon dans lequel

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