commencant par une jointure ou un membre avant de passer a un autre – et ainsi de suite jusqu’a ce que, d’un etre vivant, il ne reste plus qu’une carcasse dessechee qui serait rejetee hors de la toile a la tombee de la nuit.

Le monstre bouffi tourna pensivement autour du double objet enrobe de soie. Seule, la tarentule remuait. Son abdomen bulbeux agitait le linceul. Sa masse arrondie formait une bonne cible pour la tisseuse. Elle avanca rapidement. Avec une precision superbe, elle piqua.

La tarentule fut comme rendue folle par la douleur. Ses pattes battaient inutilement, avec d’horribles gesticulations de souffrance.

Burl poussa un hurlement lorsqu’une patte l’atteignit. Il se debattait tout aussi frenetiquement. Grace a l’huile du poisson, ses bras et sa tete n’etaient pas englues par la soie. Cramponne aux cordes, il tenta desesperement de se liberer de son dangereux voisin. Une toute petite ouverture apparut dans la soie. Et la tete de Burl emergea a l’air libre.

Il etait suspendu a six metres du sol jonche des depouilles chitineuses des victimes precedentes.

La tete et les bras de Burl etaient libres. Son poisson, que ses efforts avaient fait passer dans son dos, avait abondamment couvert d’huile ses epaules. Mais son bassin et ses jambes restaient toujours englues dans les cables visqueux de la tisseuse.

Il demeura suspendu dans le vide pendant un moment. Puis il vit, non loin de lui, la masse terrifiante de l’araignee qui attendait patiemment que son venin agisse. La tarentule ne faisait plus que palpiter, maintenant. Bientot, la tisseuse s’approcherait pour faire son repas.

Empoignant les cables a pleines mains, Burl tenta desesperement de detacher la soie agglutinee a ses jambes. Constatant que ses mains graisseuses n’offraient pas de prise a la toile gluante, il lui vint une idee. Il saisit le poisson accroche autour de son cou, le dechiqueta et frotta son corps avec la masse ecailleuse et rance. Il parvint a decoller la glu de ses jambes.

A son grand desespoir, le jeune homme sentit trembler la toile. L’araignee approchait. Pour elle, les mouvements de Burl signifiaient que le poison n’avait pas produit son plein effet. Une autre piqure devenait necessaire. Mais cette fois, le monstre n’enfoncerait pas son dard dans la tarentule qui ne bougeait plus. Elle enverrait son venin dans le corps de Burl.

Dans un sursaut, Burl banda tous ses muscles pour tenter, par la force, de s’extraire de son linceul gluant. On aurait dit qu’il etait pret a se separer de la moitie inferieure de son individu plutot que de rester a portee des crocs de l’araignee. Son buste emergea hors du trou.

L’enorme araignee le surveillait, prete a l’ensevelir sous de nouveaux jets de soie. Ses filieres entrerent en action. Une de ses pattes s’empara de la matiere visqueuse…

Soudain, l’etau gluant qui emprisonnait les pieds de Burl ceda.

Il tomba lourdement. Il s’ecroula sur le sol au-dessous de lui, ecrasant la coquille ratatinee d’un hanneton volant qui s’etait aventure dans le piege et n’avait pu s’echapper comme lui.

Apres une serie de roules-boules sur le sol en pente, il parvint a s’asseoir pour se trouver aussitot nez a nez avec une fourmi de fort mechante humeur. Longue de trente centimetres, elle le menacait de ses mandibules tout en stridulant sur le mode aigu.

Des siecles plus tot, sur la Terre – ou la plupart des varietes de fourmis se mesuraient en fractions de centimetres –, les savants avaient doctement debattu de cette grave question : ces petits hymenopteres etaient-ils ou non capables d’emettre un son ? Ils estimaient que certaines cannelures, sur le corps de l’insecte – et qui n’etaient pas sans rappeler celles rencontrees sur les pattes posterieures des grillons –, pouvaient etre la source d’ultrasons inaudibles pour les humains. La validite de l’hypothese etait difficile a prouver.

Mais Burl, lui, n’avait pas besoin de preuves. Il savait que cette stridulation etait emise par l’insecte qui lui faisait face, et peu lui importait de savoir comment elle etait produite. L’appel etait destine a battre le rappel des autres fourmis de la colonie, soit qu’il y ait danger, soit qu’il y ait decouverte de nourriture.

Des cliquetis secs ne tarderent pas a se faire entendre a moins de deux cents metres. Les renforts arrivaient. Or, si seules les fourmis guerrieres etaient dangereuses, une colonie quelconque de fourmis en marche pouvait se reveler redoutable. Il y avait de quoi mettre un homme en pieces, comme une meute de fox-terriers dechaines aurait pu le faire sur la Terre.

Burl s’enfuit sans demander son reste et, bientot, il entendit la clameur decroitre puis s’eteindre. La fourmi, myope comme toutes ses congeneres, ne se sentait plus menacee. Elle s’etait remise tranquillement a la tache que Burl avait interrompue. Ramassant une charogne tombee de la toile d’araignee, elle l’emporta triomphalement vers sa fourmiliere.

Burl courut pendant quelques centaines de metres, puis s’arreta. Il etait hebete, tremblant. Pour l’instant, il etait redevenu aussi peureux que n’importe quel homme de sa tribu. Plus tard, le jeune homme comprendrait la pleine signification de l’exploit sans precedent qu’il avait accompli en s’echappant de la toile d’araignee geante. Personne n’etait jamais venu a bout d’une action aussi extraordinaire ! Mais il etait trop secoue pour y reflechir.

Chose curieuse, la premiere sensation qui le ramena a la realite fut la douleur qu’il eprouvait aux pieds. La matiere gluante de la toile etait encore collee a sa peau, et de petits objets, cailloux, debris chitineux, s’y accrochaient pendant qu’il marchait. Il s’arreta pour les enlever tout en regardant craintivement autour de lui.

Apres une dizaine de pas, il fut contraint de recommencer.

Ce fut l’exasperation nee de cette gene intolerable qui l’amena a une decouverte tout aussi marquante que les precedentes. Durant les dernieres vingt-quatre heures, son cerveau avait ete sollicite de maniere peu commune. Bien sur, le fruit de ses reflexions n’avait pas toujours ete entierement positif. Mais si l’idee de tuer un poisson d’un coup de lance l’avait plonge dans des difficultes sans nombre, le fait d’avoir plante cette meme lance dans le ventre d’une tarentule l’avait sauve d’une mort affreuse. Entre-temps, l’exercice de la pensee l’avait conduit a concevoir un plan hardi – amener Saya dans cette region –, meme si ce projet ne lui paraissait plus aussi enthousiasmant depuis ses demeles avec la toile d’araignee. En outre, c’etait surement une sorte de raisonnement qui l’avait incite a s’oindre le corps au moyen de l’huile de poisson. Sans ce subterfuge, il aurait connu le sort de la tarentule et servi de second plat pour l’occupant de la toile d’araignee.

Burl regarda craintivement autour de lui. Tout semblait calme. Alors, de sa propre initiative, il s’assit pour reflechir. C’etait la premiere fois de sa vie qu’il se posait un probleme dans le but d’y trouver une solution.

Rien que cela representait une date dans l’histoire de l’humanite errante de la planete oubliee !

Il regarda ses pieds. Le gravier et les debris de carapace en meurtrissaient la plante quand il marchait. Cela avait d’ailleurs toujours ete le cas. Mais jamais auparavant il n’avait eu les pieds poisseux au point que des particules y restent collees plus d’un pas ou deux. Soigneusement, il entreprit de retirer les debris aceres. En partie baignes de substance gluante, ils avaient tendance a rester colles a ses doigts, sauf aux endroits ou la couche d’huile de poisson y etait epaisse.

Une idee lui vint donc. L’huile de poisson qui recouvrait son corps lui avait permis de se liberer de la soie gluante qui composait les cables de la toile d’araignee. Maintenant, il devait en liberer ses pieds. Il les graissa donc.

Et sa tentative fut couronnee de succes ! Burl repartit. Les petits cailloux et les morceaux de carapace ne le genaient plus – ou presque. Il s’arreta pour se congratuler avec une surprise admirative. Il etait encore a cinquante kilometres de sa tribu. Il etait nu et desarme. Il avait perdu sa lance.

Mais il constatait cependant avec une sorte de crainte respectueuse qu’il etait quelqu’un de veritablement remarquable.

L’envie lui prit de montrer a nouveau ce dont il etait capable. Mais il avait perdu sa lance. Il estima donc indispensable de se remettre a reflechir. Et, aussi extraordinaire que cela puisse paraitre, il y reussit.

En un laps de temps etonnamment court, il trouva la solution a la plupart de ses problemes. Il etait nu ? Qu’a cela ne tienne, il se trouverait des vetements. Il n’avait plus d’arme ? Il s’en decouvrirait une. Il avait faim ? Il recolterait de la nourriture. Il etait loin des membres de sa tribu ? Il irait les rejoindre. Bien sur, tout cela semble aller de soi – mais pas sur la planete oubliee, pas sur une planete ou les preoccupations des humains ne depassaient pas la minute presente. Burl etait en train de developper en lui la faculte de resoudre un probleme apres l’autre, et c’etait d’une importance capitale.

Meme sur les autres planetes a la civilisation avancee, peu d’hommes utilisaient reellement leur cerveau. La majeure partie des gens attendaient non seulement des machines qu’elles effectuent les calculs dont ils voulaient la solution, mais aussi qu’elles prennent les decisions a leur place. Si leurs machines ne decidaient pas pour eux,

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