victime et s’envola. La sauterelle servirait d’incubateur – et de garde-manger – a l’?uf qui y serait pondu. Bientot, au c?ur d’un chateau de boue, une petite larve blanche se repaitrait de la victime vivante et immobile fournie par sa mere – mere qui ne la verrait jamais, ne s’en soucierait jamais et ne s’en souviendrait pas davantage.
Burl poursuivit sa route.
Le sol se faisait plus accidente. Avancer devenait difficile. Burl peinait dans l’escalade d’escarpements abrupts et devait prendre garde de ne pas glisser en descendant des pentes vertigineuses. Une fois, il lui fallut meme grimper a travers un enchevetrement de petits champignons si serres qu’il fut contraint de s’ouvrir un passage a larges coups de sa lance dont il se servait comme d’une machette. Tandis que pieds et chapeaux s’ecroulaient, des torrents d’un liquide rouge feu eclaboussaient le jeune homme avant d’aller imbiber le sol.
Un etrange sentiment de superiorite habitait maintenant Burl. Il marchait en prenant moins de precautions. Il avait reflechi, il avait frappe, il se trouvait merveilleux. Il se voyait deja amener la tribu dans cette foret bourree de nourriture – il n’avait aucune idee de la distance qu’il faudrait parcourir pour mener a bien ce projet – et il se pavanait tout seul au milieu de la vegetation cauchemardesque de la planete qui avait ete oubliee.
Maintenant, il voyait la riviere. Il avait escalade un tertre d’argile rouge haut de trente metres. En periode de crue, l’eau lechait le pied de cette falaise. Actuellement, elle se trouvait retiree a quatre cents metres de la.
Les pentes de l’escarpement etaient recouvertes de champignons qui formaient un chaos blanc, jaune et vert. A mi-hauteur entre Burl et le rivage etait attache le cable – epais de trois centimetres – d’une toile d’araignee. Burl se pencha et vit l’immense toile tendue au-dessus des champignons.
Quelque part, dans les fourres, l’araignee geante qui avait tisse ce piege attendait que sa proie s’y prenne. Lorsqu’un insecte se debattrait frenetiquement dans ses filets, elle se montrerait. Jusque-la, elle attendait, sans un mouvement, avec une patience implacable, absolument sure de faire des victimes, absolument sans pitie pour elles.
Burl se pavanait sur le bord de la falaise, animal a peau rose assez ridicule avec son poisson huileux pendu autour du cou et son pagne en aile de papillon. Il brandissait triomphalement au-dessus de sa tete la longue antenne du hanneton.
C’etait une activite assez stupide. Cela ne servait a rien. Mais si Burl etait un genie parmi les siens, il avait encore beaucoup a apprendre. Il regardait avec mepris la trappe blanche qui scintillait au-dessous de lui. Burl avait frappe un poisson et l’avait tue. Quand Burl frappait des champignons, ils volaient en morceaux. Rien ne pouvait effrayer Burl. Il allait chercher Saya pour l’amener dans cette region ou la nourriture poussait en abondance.
A une soixantaine de pas, au bord de la falaise, une cheminee s’enfoncait verticalement dans le sol argileux. Elle etait soigneusement arrondie et tapissee de soie. Dix metres plus bas, elle s’elargissait. Elle formait une chambre ou le constructeur et proprietaire de la cheminee pouvait se reposer. Le trou etait ferme par une sorte de couvercle camoufle de boue et de terre pour imiter le sol environnant. Ce couvercle etait legerement souleve et un ?il percant observait par cette ouverture l’homme a la peau rose.
C’etait l’?il de la tarentule qui avait creuse le puits.
Huit pattes velues entouraient le corps du monstre. Son ventre etait un globe informe d’un brun sale. Deux paires de mandibules s’etendaient devant sa bouche. Une fourrure rugueuse lui couvrait tout le corps.
C’etait une creature d’une mechancete implacable, d’une incroyable ferocite. C’etait l’araignee chasseresse, la tarentule americaine, qui s’etait hypertrophiee sur la planete oubliee au point que son corps atteignait plus de soixante centimetres de diametre. Ses pattes etendues pouvaient couvrir un cercle de trois metres de diametre. Ses yeux brillants suivaient Burl tandis qu’il avancait fierement sur le bord de la falaise.
Le jeune homme etait occupe a braver l’autre araignee, celle dont la toile s’etalait a ses pieds. Il savait qu’elle ne quitterait pas ses filets pour l’attaquer. Se penchant, Burl detacha un morceau de champignon et le jeta dans la toile. Il eclata de rire quand il vit la masse noire de l’araignee descendre de sa cachette pour examiner le champignon.
Cependant, la tarentule fremissait d’impatience. Insensiblement, Burl se rapprochait du puits. Il se servait de sa lance comme levier pour detacher des debris et les faire tomber le long de la falaise jusque dans la toile geante. Il s’amusait beaucoup chaque fois que l’araignee se deplacait d’un point a un autre, tatant chaque nouveau projectile avec ses palpes, puis l’abandonnant.
Burl sauta en l’air et rit bruyamment en voyant un morceau de champignon pourri manquer de justesse la silhouette noire et argent qui evoluait au-dessous de lui.
Soudain, un bruit leger lui fit dresser l’oreille. C’etait la trappe de la tarentule dont le couvercle se refermait.
Burl se retourna vivement. Son rire se transforma en hurlement de terreur. Dressee sur ses huit pattes, la tarentule avancait vers lui. Ses mandibules etaient largement ouvertes. Ses dents a venin etaient degainees. Elle etait a trente pas de Burl… A vingt pas… A dix…
Les yeux etincelants, elle sauta, ses huit pattes etendues pour saisir sa proie.
Burl poussa un nouveau cri et projeta ses bras devant lui pour repousser le monstre. C’etait un geste d’horreur aveugle. Dans sa terreur, il serrait frenetiquement sa lance. Il la tendit en avant, et la tarentule se jeta dessus. L’arme penetra dans le corps de la bete feroce.
Empalee sur la lance, la tarentule se tortillait affreusement. Elle s’efforcait toujours d’atteindre Burl paralyse par la peur. Les grosses mandibules s’entrechoquaient. Des gargouillements furieux se firent entendre. Les pattes velues agripperent les bras du jeune homme. Dans un paroxysme de terreur, il trebucha en arriere et le bord de la falaise ceda sous lui.
Il degringola, toujours cramponne a sa lance, incapable de la lacher. Meme pendant sa chute, la tarentule se debattait encore furieusement pour tenter d’atteindre sa proie. Ils tomberent ensemble a travers le vide. Le regard de Burl etait rendu vitreux par la panique. Puis il y eut un bruit d’ecrasement et un craquement. L’homme et le monstre etaient tombes dans la toile dont Burl s’etait moque avec tant de mepris quelques minutes auparavant.
Burl etait incapable de penser. Il ne pouvait que se debattre comme un forcene. Mais les fils de l’araignee etaient une substance elastique et collante comme de la glu. Pres du jeune homme, a moins de deux metres, se debattait la tarentule blessee.
Burl avait atteint le paroxysme de la terreur. Sa poitrine et ses bras, lubrifies par l’huile du poisson qu’il portait autour de son cou, n’adheraient pas a la toile de l’araignee. Son bassin et ses jambes, en revanche, etaient inextricablement empetres dans les cables gluants. Les efforts qu’il faisait pour se degager ne servaient d’ailleurs qu’a aggraver la situation. Ces cables avaient ete tendus pour capturer des proies. Cette fois-ci, la proie, c’etait Burl.
Le jeune homme cessa sa lutte aveugle. Il etait epuise. Il cherchait son souffle. C’est alors qu’il vit, a cinq metres de lui, l’araignee noire et argent qu’il avait defiee du haut de la falaise. Elle attendait patiemment qu’il ne se debatte plus. Pour l’araignee, la tarentule et l’homme etaient une seule et meme chose, une meme proie gigotante tombee dans son piege. Les deux victimes remuaient encore, mais faiblement. L’araignee fileuse approchait avec precaution, balancant son enorme corps, tissant un cable soyeux qui trainait derriere elle.
Burl avait les bras libres. Il les agita frenetiquement en poussant des cris. Le monstre s’arreta. Les bras de Burl ressemblaient a des mandibules qui pouvaient blesser.
Les araignees prennent peu de risques. Celle-ci se rapprocha prudemment. Puis s’arreta de nouveau. Se servant d’une de ses huit pattes comme d’un bras, elle jeta un voile de soie gluante sur la tarentule et l’homme.
Burl lutta contre le linceul qui tombait sur lui. Il s’efforca vainement de l’ecarter. En quelques minutes, il fut completement recouvert d’une matiere soyeuse et collante qui lui cachait meme la lumiere. Son ennemi, la monstrueuse tarentule, gisait avec lui sous la meme couverture. Elle remuait faiblement.
La douche de soie gluante cessa. L’araignee avait decide que ses victimes etaient maintenant reduites a l’impuissance. Bientot, Burl sentit la toile vibrer. L’araignee tisseuse s’approchait pour piquer sa proie et en absorber le suc.
La toile remuait doucement. Burl etait paralyse par la terreur. Mais la tarentule, elle, continuait a se tordre de douleur autour de la lance qui l’avait transpercee. Ses mandibules s’entrechoquaient, fremissaient autour de l’epieu.
Burl s’attendait a ce que les crocs a venin se plantent dans sa peau. Il connaissait le processus. Il avait deja vu la placidite avec laquelle l’araignee tisseuse piquait ses victimes avant de battre en retraite pour attendre, avec une patience ignoble, que le venin agisse. Quand ses victimes ne se debattaient plus, elle revenait aspirer leur suc,