alors leurs dirigeants le faisaient. Les membres de la tribu de Burl, quant a eux, laissaient leur estomac penser a leur place. Ils etaient capables d’avoir faim. Ou aussi d’avoir peur. Mais, dans les moments de peur, ce n’est pas la reflexion qui vous pousse a l’action. Tandis que Burl, lui, reflechissait bel et bien. C’etait la un phenomene lourd de consequences.

Suivant la riviere, il reprit sa marche vers l’amont. Tous ses sens etaient aux aguets. Des libellules gigantesques, aux couleurs tapageuses, voguaient dans la brume. De temps en temps, une sauterelle fendait l’air dans un bond fantastique. Ou bien c’etait une guepe qui se precipitait sur sa proie, ou encore une abeille inquiete qui s’epuisait a chercher du pollen dans cet univers quasi depourvu de fleurs.

Burl marchait d’un pas vif. Quelque part derriere lui, un leger bruit se fit entendre. Comme la source en etait tres lointaine, Burl n’y prit pas garde. Le jeune homme avait le point de vue limite d’un enfant. Ce qui etait proche etait important, ce qui etait eloigne ne l’etait pas.

Pourtant, Burl etait en danger. Ce faible crissement etait produit par des myriades de cliquetis. C’etait le fond sonore continu qui accompagnait une armee de fourmis en marche. Les sauterelles terrestres etaient de bien pietres predateurs, comparees aux fourmis guerrieres de la planete oubliee.

Sur Terre, les sauterelles et leur appetit vorace avaient autrefois compte parmi les pires calamites qui accablaient les hommes de l’Antiquite. Ici, sur les basses terres, le type de vegetation – fongoides et choux geants – avait permis aux sauterelles de se multiplier, mais pas au point de se muer en plaie. Les fourmis guerrieres, en revanche…

Mais Burl ne se souciait pas du bruit qu’il avait si vaguement entendu. Tout en cheminant d’un pas vif, le jeune homme fouillait du regard le paysage herisse de champignons dans l’espoir d’y decouvrir de la nourriture et des debris susceptibles de lui tenir lieu d’armes et de vetements. Ses problemes alimentaires furent bientot resolus : un taillis de champignons comestibles se dressait devant lui.

Comme d’habitude, il ramassa plus de nourriture qu’il n’etait necessaire avant de poursuivre sa route en grignotant machinalement un morceau de champignon.

Il ne tarda pas a deboucher sur une plaine parsemee d’etranges monticules formes par des champignons qu’il n’avait encore jamais vus et qui etaient en train de murir : un peu partout, en effet, des hemispheres rouge sang crevaient le sol, presses d’atteindre la lumiere. Il examina le phenomene avec curiosite, tout en se gardant bien de toucher a ces champignons-la. Pour lui, l’inconnu etait toujours synonyme de danger. Ayant d’ailleurs d’autres preoccupations en tete – trouver des armes et des vetements –, il ne s’eternisa pas.

Survolant la plaine, une guepe transportait un lourd fardeau sous son ventre noir barre d’un trait rouge. Il s’agissait de la gigantesque descendante de la guepe des sables – qui ne differait de ses lointains ancetres terrestres que par la taille. Elle emportait vers son nid souterrain une chenille paralysee. Burl la vit piquer soudain vers le sol comme une fleche, soulever une lourde pierre plate et, abandonnant sa proie, disparaitre dans un puits qui ne devait pas mesurer moins d’une bonne quinzaine de metres de profondeur.

L’insecte inspectait manifestement son nid. Probablement satisfaite, la guepe emergea au bout de quelques secondes pour disparaitre aussitot dans son trou, tirant sa proie derriere elle. Burl, qui se hatait de traverser la plaine boursouflee par les eruptions de champignons, ignorait ce qui se passait sous la terre. Il n’en vit pas moins la guepe ressortir et, balayant sable et cailloux, reboucher soigneusement le puits.

La guepe avait paralyse une chenille, l’avait transportee dans son nid et avait pondu sur elle un ?uf avant de sceller l’orifice du puits. Bientot, l’?uf se transformerait en une larve qui aurait a peine la taille de l’index de Burl et qui, enfouie sous la terre, se gaverait de la chenille vivante mais sans defense. Une fois grande et grasse, la larve se tisserait un cocon a l’interieur duquel elle dormirait d’un long sommeil avant de se reveiller, insecte parfait, et de creuser son chemin vers l’air libre.

A l’extremite de la plaine, Burl rencontra une foret de champignons tels qu’il en avait deja vu la veille et qui singeaient les arbres qui ne pouvaient croitre sur les basses terres. Des simulacres de branches jaunatres pleuraient a partir de leurs troncs renfles. De-ci de-la, une vesse-de-loup piriforme, haute de trois a quatre metres, n’attendait qu’un effleurement pour projeter aux alentours un tourbillon de poussiere impalpable.

C’etait une zone dangereuse mais, tout en grignotant pensivement ses champignons, Burl avancait toujours d’un pas vif.

Derriere le jeune homme, le crissement avait a peine augmente de volume. Pourtant les fourmis guerrieres avancaient par millions. Elles escaladaient tous les monticules et descendaient dans tous les ravins. Leurs antennes s’agitaient sans repit. Leurs mandibules menacantes etaient tendues. Chacune d’entre elles mesurait vingt-cinq centimetres de long. Une seule de ces creatures blindees et intrepides aurait fait battre en retraite un homme nu et desarme. Arrivant par millions, les fourmis representaient une mort certaine.

Devant la horde menacante s’etendait un univers de vie grouillante. Cependant, insectes et vegetaux – tout ce qui ne pouvait fuir devant l’armee en marche – etait condamne.

Les guerrieres progressaient a un rythme soutenu tandis qu’un ch?ur de stridulations aigues accompagne de crissements de plus en plus secs soulignait leur avance implacable.

Les grosses chenilles inoffensives qui se prelassaient sur les choux geants entendirent bien l’ennemi arriver. Mais elles etaient trop stupides pour s’enfuir. Les hordes noires recouvrirent les vegetaux exuberants. Des mandibules voraces dechiqueterent les flasques masses de chair graisseuse qui se debattaient sans espoir.

Les abeilles defendaient l’entree de leurs ruches monstrueuses a coups d’aiguillon a venin ponctues de frenetiques battements d’ailes. Les papillons de nuit prenaient leur envol en plein jour, eblouis, aveugles. Mais rien ne pouvait resister a ces hordes d’insectes impitoyables qui empestaient l’acide formique et ne laissaient que ruine et desolation sur leur passage.

Les tarentules elles-memes tombaient devant l’envahisseur. Elles en tuaient beaucoup se livrant a un baroud d’honneur desespere. Mais les fourmis pouvaient tout aneantir – absolument tout – simplement grace a leur nombre et a leur ferocite.

Seules les araignees tisseuses restaient impassibles au fond de leurs pieges enormes, tranquilles dans leur certitude que personne ne pourrait grimper le long de leurs toiles gluantes.

3

La horde des fourmis couvrait le sol comme une monstrueuse maree noire. L’avant-garde de l’armee atteignit la riviere et fit demi-tour. Burl se trouvait a une huitaine de kilometres lorsque se produisit ce changement de cap. Il s’effectua sans confusion, comme si les chefs avaient indique a toutes leurs troupes a la fois le nouvel ordre de marche.

Sur la Terre, les savants s’etaient gravement demande comment les fourmis communiquaient entre elles. Les abeilles, affirmait-on, executaient des danses compliquees pour echanger des informations. Les fourmis, en revanche, semblaient user d’un rituel moins sophistique. Une fourmi isolee, tombant par hasard sur un butin trop encombrant ou trop lourd pour elle, regagnait sa fourmiliere pour appeler ses congeneres a la rescousse. En y regardant de plus pres, les hommes accepterent la theorie selon laquelle elles se servaient d’un langage gestuel fait d’attouchements varies, de caresses et de battements d’antennes.

Burl ne possedait aucune idee preconcue sur la question. Il se contentait de savoir que les fourmis « se parlaient ». De toute maniere, alors qu’il cheminait pour rejoindre sa tribu, il ignorait encore l’existence du noir manteau qui, derriere lui, recouvrait maintenant le sol.

Des scenes d’horreur jalonnaient le parcours de l’armee en campagne. Une petite colonie d’abeilles fouisseuses vivait sur la planete oubliee. Si leur taille avait augmente, leurs habitudes millenaires etaient demeurees immuables. Une mere unique, mesurant plus d’un metre vingt, avait creuse une enorme galerie commandant l’acces d’une dizaine de cellules dans lesquelles elle avait pondu ses ?ufs et ou elle avait nourri ses larves avec du pollen peniblement recolte. Les larves avaient grandi, etaient devenues des abeilles et avaient pondu a leur tour dans cette galerie foree a leur intention.

Dix insectes corpulents s’activaient maintenant pour nourrir leurs larves dans la ruche ancestrale, tandis que la fondatrice de la colonie, vieille, decrepite, ayant perdu ses ailes et incapable d’aller butiner desormais, etait devenue la gardienne de la ruche. Muee en barriere vivante, elle en bouchait l’ouverture avec sa tete et ne reculait que pour autoriser l’entree ou la sortie des ayants droit – ses filles.

La vieille concierge de la residence souterraine etait a son poste quand la premiere vague de fourmis

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