La bonne etait partie, Mme Roland ayant declare qu’elle ferait chauffer l’eau et servirait elle-meme, car elle n’aimait pas laisser veiller les domestiques, par crainte du feu.
Personne, autre qu’elle, son fils et les ouvriers, n’etait encore entre, afin que la surprise fut complete quand on verrait combien c’etait joli.
Dans le vestibule, Jean pria qu’on attendit. Il voulait allumer les bougies et les lampes, et il laissa dans l’obscurite Mme Rosemilly, son pere et son frere, puis il cria: «Arrivez!» en ouvrant toute grande la porte a deux battants.
La galerie vitree, eclairee par un lustre et des verres de couleur caches dans les palmiers, les caoutchoucs et les fleurs, apparaissait d’abord pareille a un decor de theatre. Il y eut une seconde d’etonnement. Roland, emerveille de ce luxe, murmura: «Nom d’un chien», saisi par l’envie de battre des mains comme devant les apotheoses.
Puis on penetra dans le premier salon, petit, tendu avec une etoffe vieille or, pareille a celle des sieges… Le grand salon de consultation tres simple, d’un rouge saumon pale, avait grand air.
Jean s’assit dans le fauteuil devant son bureau charge de livres, et d’une voix grave, un peu forcee:
«Oui, Madame, les textes de lois sont formels et me donnent, avec l’assentiment que je vous avais annonce, l’absolue certitude qu’avant trois mois l’affaire dont nous nous sommes entretenus recevra une heureuse solution.» Il regardait Mme Rosemilly qui se mit a sourire en regardant Mme Roland; et Mme Roland, lui prenant la main, la serra.
Jean, radieux, fit une gambade de collegien et s’ecria:
«Hein, comme la voix porte bien. Il serait excellent pour plaider, ce salon.» Il se mit a declamer:
«Si l’humanite seule, si ce sentiment de bienveillance naturelle que nous eprouvons pour toute souffrance devait etre le mobile de l’acquittement que nous sollicitons de vous, nous ferions appel a votre pitie, Messieurs les jures, a votre c?ur de pere et d’homme; mais nous avons pour nous le droit, et c’est la seule question du droit que nous allons soulever devant vous…» Pierre regardait ce logis qui aurait pu etre le sien, et il s’irritait des gamineries de son frere, le jugeant, decidement, trop niais et pauvre d’esprit.
Mme Roland ouvrit une porte a droite.
«Voici la chambre a coucher», dit-elle.
Elle avait mis a la parer tout son amour de mere. La tenture etait en cretonne de Rouen qui imitait la vieille toile normande.
Un dessin Louis XV – une bergere dans un medaillon que fermaient les becs unis de deux colombes – donnait aux murs, aux rideaux, au lit, aux fauteuils un air galant et champetre tout a fait gentil.
«Oh! c’est charmant, dit Mme Rosemilly, devenue un peu serieuse, en entrant dans cette piece.
– Cela vous plait? demanda Jean.
– Enormement.
– Si vous saviez comme ca me fait plaisir.» Ils se regarderent une seconde, avec beaucoup de tendresse confiante au fond des yeux.
Elle etait genee un peu cependant, un peu confuse dans cette chambre a coucher qui serait sa chambre nuptiale. Elle avait remarque, en entrant, que la couche etait tres large, une vraie couche de menage, choisie par Mme Roland qui avait prevu sans doute et desire le prochain mariage de son fils; et cette precaution de mere lui faisait plaisir cependant, semblait lui dire qu’on l’attendait dans la famille.
Puis quand on fut rentre dans le salon, Jean ouvrit brusquement la porte de gauche et on apercut la salle a manger ronde, percee de trois fenetres, et decoree en lanterne japonaise. La mere et le fils avaient mis la toute la fantaisie dont ils etaient capables. Cette piece a meubles de bambou, a magots, a potiches, a soieries pailletees d’or, a stores transparents ou des perles de verre semblaient des gouttes d’eau, a eventails cloues aux murs pour maintenir les etoffes, avec ses ecrans, ses sabres, ses masques, ses grues faites en plumes veritables, tous ses menus bibelots de porcelaine, de bois, de papier, d’ivoire, de nacre et de bronze avait l’aspect pretentieux et maniere que donnent les mains inhabiles et les yeux ignorants aux choses qui exigent le plus de tact, de gout et d’education artiste. Ce fut celle cependant qu’on admira le plus. Pierre seul fit des reserves avec une ironie un peu amere dont son frere se sentit blesse.
Sur la table, les fruits se dressaient en pyramides, et les gateaux s’elevaient en monuments.
On n’avait guere faim; on suca les fruits et on grignota les patisseries plutot qu’on ne les mangea. Puis, au bout d’une heure, Mme Rosemilly demanda la permission de se retirer.
Il fut decide que le pere Roland l’accompagnerait a sa porte et partirait immediatement avec elle, tandis pue Mme Roland, en l’absence de la bonne, jetterait son coup d’?il de mere sur le logis afin que son fils ne manquat de rien.
«Faut-il revenir te chercher?» demanda Roland.
Elle hesita, puis repondit:
«Non, mon gros, couche-toi. Pierre me ramenera.» Des qu’ils furent partis, elle souffla les bougies, serra les gateaux, le sucre et les liqueurs dans un meuble dont la clef fut remise a Jean; puis elle passa dans la chambre a coucher, entrouvrit le lit, retarda si la carafe etait remplie d’eau fraiche et la fenetre bien fermee.
Pierre et Jean etaient demeures dans le petit salon, celui-ci encore froisse de la critique faite sur son gout, et celui-la de plus en plus agace de voir son frere dans ce logis.
Ils fumaient assis tous les deux, sans se parler. Pierre tout a coup se leva:
«Cristi! dit-il, la veuve avait l’air bien vannee ce soir, les excursions ne lui reussissent pas.» Jean se sentit souleve soudain par une de ces promptes et furieuses coleres de debonnaires blesses au c?ur.
Le souffle lui manquait, tant son emotion etait vive, et il balbutia:
«Je te defends desormais de dire «la veuve» quand tu parleras de Mme Rosemilly.» Pierre se tourna vers lui, hautain: