ressemblerait de pres a cette bravade. J'imaginerais une femme vetue de noir qui, aux toutes premieres heures d'une matinee d'hiver sombre, entrerait dans une petite ville frontaliere. […]. Elle pousserait la porte d'un cafe au coin d'une etroite place endormie, s'installerait pres de la fenetre, a cote d'un calorifere. La patronne lui apporterait une tasse de the. Et en regardant, derriere la vitre, la face tranquille des maisons a colombages, la femme murmurerait tout bas: 'C'est la France… Je suis retournee en France. Apres… apres toute une vie.'»
Ce roman, superbement compose, a l'originalite de nous offrir de la France une vision mythique et lointaine, a travers les nombreux recits que Charlotte Lemonnier, «egaree dans l'immensite neigeuse de la Russie», raconte a son petit-fils et confident. Cette France, qu'explore a son tour le narrateur, apparait comme un regard neuf et penetrant sur le monde.
LA FILLE D'UN HEROS DE L'UNION SOVIETIQUE
«Il semblait que le monde allait tressaillir et qu'une fete sans fin allait commencer ici et sur la terre entiere.»
Olia est nee, un jour de novembre, dans cette atmosphere de liesse de l'apres-guerre ou tout parait possible.
Mais les reves que construit Ivan, le heros decore de l'Etoile d'or de l'Union sovietique, a la naissance de sa fille ne sont qu'illusions.
Dans ce premier roman, Andrei Makine brosse le portrait d'une generation perdue, dans une langue superbe de verite.
LE CRIME D'OLGA ARBELINA [1998]
«Tout devait etre exactement ainsi, elle le comprenait a present: cette femme, cet adolescent, leur indicible intimite dans cette maison suspendue au bord d'une nuit d'hiver, au bord d'un vide, etrangere a ce globe grouillant de vies humaines, hatives et cruelles. Elle l'eprouva comme une verite supreme. Une verite qui se disait avec cette transparence bleutee sur le perron, le fremissement d'une constellation juste au-dessus du mur de la Horde, avec sa solitude face a ce ciel. Personne dans ce monde, dans cet univers ne savait qu'elle se tenait la, le corps limpide de froid, les yeux largement ouverts… Elle comprenait que, dite avec les mots, cette verite signifiait folie. Mais les mots a cet instant-la se transformaient en une buee blanche et ne disaient que leur bref scintillement dans la lumiere stellaire…»
REQUIEM POUR L'EST [2000]
«Ce chuchotement dans lequel j'avais cru reconnaitre ta voix me rappela une soiree lointaine, dans cette ville qui brulait derriere notre fenetre avec sa moustiquaire dechiree. Je me souvenais que ce soir-la, la proximite de la mort, notre complicite face a cette mort m'avaient donne le courage de te raconter ce que je n'avais encore jamais avoue a personne: l'enfant et la femme caches au milieu des montagnes, des paroles chantees dans une langue inconnue…
Je me savais a present incapable de dire la verite de notre temps. Je n'etais ni un temoin objectif, ni un historien, ni surtout un sage moraliste. Je pouvais tout simplement reprendre ce recit interrompu alors par la nuit, par les routes qui nous attendaient, par les nouvelles guerres.
Je commencai a parler en cherchant seulement a preserver le ton de notre conversation nocturne d'autrefois, cette amertume sereine des paroles a portee de la mort.»
LA TERRE ET LE CIEL DE JACQUES DORME
«C'est alors que, d'une voix presque eteinte, en acceptant l'echec et ne demandant plus rien, je parlai de Jacques Dorme. Je reussis a dire sa vie en quelques phrases breves, nues. Je me trouvais dans un etat d'abattement tel que j'entendais a peine ce que je disais. Et c'est dans cet etat seulement que je fus capable d'exprimer toute la douloureuse verite de cette vie. Un aviateur venu d'un pays lointain rencontre une femme du meme pays que le sien et, pendant tres peu de jours, dans une ville dont il ne restera bientot que des ruines, ils s'aiment; puis il part au bout de la terre pour conduire les avions destines au front, et meurt, en s'ecrasant sur un versant de glace, sous le ciel bleme du cercle polaire.
Je l'avais dit autrement. Non pas mieux, mais plus brievement encore, plus pres de l'essence de leur amour.»