Il lui lacha le menton et sourit.
— Ca ne devrait pas etre un probleme, dit-il. Pouvez-vous ouvrir la bouche, je vous prie ?
— La bouche ?
— Je veux examiner vos dents.
Elle regarda Prior.
— De ce cote, vous avez de la veine, confia Gerald a Prior apres avoir utilise sa petite torche pour regarder dans la bouche de Mona. L’etat est assez bon et proche de la configuration cible. Couronnes, plombages.
— Nous savions que nous pouvions compter sur vous, Gerald.
Gerald retira ses lunettes et regarda Prior. Il retourna vers la mallette noire pour les y deposer.
— Z’avez de la veine egalement, pour les yeux. Tres voisins. Faudra juste changer la couleur. (Il retira de la mallette une enveloppe en alu et la dechira, en sortit un pale gant chirurgical qu’il roula sur sa main droite.) Retirez votre serviette, Mona. Mettez-vous a l’aise.
Elle regarda Prior, Gerald.
— Vous voulez voir mes papiers, mes analyses sanguines, ce genre de trucs ?
— Non, dit Gerald, c’est tres bien comme ca.
Elle regarda dehors, esperant apercevoir le belier, mais il avait disparu et le ciel paraissait bien plus noir.
Elle defit la serviette, la laissa tomber, puis s’allongea sur le dos, sur la plaque de mousse beige.
Ce n’etait pas si different de ce pour quoi on la payait ; ca prit meme moins longtemps.
Assise dans la salle de bains, la trousse a maquillage ouverte sur les genoux, tout en ecrasant un autre cristal, elle decida qu’elle etait en droit d’en avoir ras le bol.
Primo, Eddy se barre sans elle, ensuite Prior se pointe avec cet horrible docteur, et lui annonce qu’Eddy va dormir dans une autre chambre. La-bas, en Floride, elle aurait volontiers admis qu’il lui lache un peu la grappe, mais ici c’etait different. Elle n’avait pas envie de se retrouver toute seule et elle aurait eu peur de reclamer a Prior une cle. Il en avait pourtant bien une, qui lui permettait d’aller et venir a sa guise avec son terrifiant copain. Quel genre de plan etait-ce la ?
Et le coup de l’imper en plastique, qui la gonflait pas mal egalement. Un putain d’imper jetable en plastique.
Elle saupoudra le wiz en poudre sur le crible en nylon, le versa soigneusement dans le pulverisateur, se vida les poumons, porta l’embout a ses levres et pressa. Le nuage de poudre jaune tapissa les muqueuses de sa gorge ; une partie avait sans doute atteint les poumons. Elle avait entendu dire que c’etait mauvais pour la sante.
Elle n’avait aucun plan precis en s’enfermant dans la salle de bains pour prendre sa dose mais, quand elle sentit le picotement lui gagner la nuque, elle se surprit a penser aux rues entourant l’hotel et a ce qu’elle en avait vu a leur arrivee. Des boites, des bars, des vitrines aux rideaux tires. De la musique. De la musique, ca serait impec, en ce moment, et la foule aussi. Pour pouvoir s’y perdre, s’y oublier, etre la, simplement. La porte n’etait pas verrouillee, elle le savait ; elle l’avait deja essayee. Elle se refermerait toutefois derriere elle, et elle n’avait pas de cle. Mais elle etait installee ici et Prior devait l’avoir inscrite a la reception. Elle envisagea de descendre demander une cle a la receptionniste mais cette perspective la mettait mal a l’aise. Elle connaissait les complets- gris derriere les comptoirs, et leur facon de vous devisager. Non, decida-t-elle, le mieux encore etait de rester et de stimer ces nouvelles cassettes d’Angie.
Dix minutes plus tard, elle sortait par une porte laterale, a l’ecart du hall principal, la tete bourdonnante de wiz.
Dehors, il tombait un petit crachin, peut-etre du a la condensation du dome. Elle avait passe l’imper blanc pour traverser le hall – apres tout, Prior devait savoir ce qu’il faisait et elle n’etait pas mecontente de l’avoir. Elle sortit d’une poubelle archipleine une feuille de jourlex et se la mit sur la tete pour garder les cheveux secs. Il ne faisait pas aussi froid qu’avant, ce qui etait encore un bon point. Aucun de ses nouveaux vetements ne pouvait etre qualifie de chaud.
Parcourant du regard les deux cotes de l’avenue, pour decider de la direction a prendre, elle avisa une demi-douzaine de facades d’hotel quasiment identiques, une file de velo-taxis, l’eclat mouille de pluie d’une rangee de boutiques. Et des gens, pleins de gens, comme au centre de Cleveland, mais ici tous sapes chic, l’air de dominer la situation, d’avoir un but precis.
Elle n’aurait pas crache sur une occasion de lorgner les vitrines, tandis que la foule la balayait, mais le flot etait pur plaisir et personne ne s’arretait. Elle se contenta de jeter de brefs regards obliques aux etalages. Les vetements etaient semblables a ceux de la stim, certains d’un style qu’elle n’avait jamais vu nulle part.
Eddy, il n’aimait pas. En tout cas, il avait toujours dit que c’etait merdique ici, trop de monde, des loyers trop eleves, trop de flics, trop de competition. Meme s’il n’avait pas hesite une seconde quand Prior lui avait fait son offre, se souvint-elle. Et de toute maniere, elle avait sa petite idee sur les raisons des critiques emises par Eddy. Elle supposa qu’il avait du se planter ici, jouer plus ou moins le wilson. Soit il n’avait pas envie qu’on lui rappelle sa bourde, soit des gens ne manqueraient pas de la lui rappeler s’il remettait les pieds dans le secteur. C’etait la, sous-jacent, dans sa facon dedaigneuse de parler d’ici, avec le meme ton qu’il utilisait pour critiquer ceux qui jugeaient ses plans foireux. Le nouveau pote si foutrement intelligent la veille n’etait plus qu’un cretin de wilson le lendemain, completement nul, aucune
Elle passa devant un imposant magasin avec du super-matos de stim en vitrine, minces boitiers noir mat, le tout preside par le voluptueux hologramme d’Angie qui les regardait tous glisser devant elle avec son leger sourire triste. La reine de la nuit, ouais.
Le flot de la foule se deversait vers une sorte de place, un carrefour autour d’une fontaine. Les gens divergeaient dans plusieurs directions sans s’arreter et, parce que Mona n’avait pas reellement de but, elle atterrit ici. Certaines personnes etaient assises sur la margelle en beton fissuree de la fontaine. Au centre de celle-ci se dressait une statue de marbre, toute polie par l’usure. Cela representait une espece de bebe chevauchant un gros poisson, un dauphin. Sa bouche devait cracher de l’eau, mais la fontaine ne marchait pas. Derriere la tete des gens assis, Mona voyait flotter des feuilles de jourlex chiffonnees, gorgees d’eau, et des gobelets blancs en plastique.
Puis il lui sembla que la foule derriere elle s’etait fondue en un mur de corps, incurve, ondulant, tandis que les trois personnages assis devant elle sur la margelle se detachaient comme sur une photo. Une grosse fille aux cheveux teints en noir, la bouche a demi ouverte, les lolos debordant d’un bustier en caoutchouc rouge ; une blonde au visage allonge barre d’un mince trait de rouge a levres bleu, qui d’une main crochue tenait sa cigarette ; un type aux bras nus huiles qui bravait le froid, muscles greffes et noueux comme des rocs sous le bronzage synthetique et mechants tatouages de taulard…
— He ! frangine, lanca la grosse avec une espece d’allegresse, j’espere qu’tu t’imagines pas faire tes affaires ici !
La blonde regarda Mona avec des yeux las, en lui adressant un sourire desabuse, un sourire « j’y-peux- rien », avant de detourner la tete pour regarder ailleurs.
Le mac se leva brusquement de la fontaine comme s’il etait monte sur ressorts mais Mona avait compris le signal de la blonde et repartait deja. Il la saisit par le bras mais la couture de son imper en plastique ceda et, jouant des coudes, elle reintegra la foule. Le wiz prit le dessus et, sans transition, elle se retrouva au moins un pate de maisons plus loin, affalee contre un lampadaire, haletante et prise d’une quinte de toux.
A present, le wiz faisait l’effet inverse, comme cela se produisait parfois. Tout devenait affreux. Les visages