— Ce que je n’arrive pas a voir, ma chere, dit Danielle en l’ignorant, c’est pourquoi vous avez pris toute cette peine…

— Quelle peine, Danielle… ?

— D’endurer la corvee de cette hospitalisation et tout. Alors que vous aviez affirme que cela n’affectait pas votre travail. Soutenu qu’il n’y avait pas de « defonce », au sens usuel du terme. (Elle gloussa.) Meme si vous n’en maintenez pas moins que ce produit cree une formidable dependance. Alors, pourquoi donc avez-vous decide de decrocher ?

— C’etait terriblement ruineux…

— Ce ne devait pas etre un probleme dans votre cas.

Exact, songea Angie, meme si ma dose hebdomadaire coutait aux alentours de ton salaire annuel.

— Je suppose que j’en avais assez de payer pour me sentir normale. Ou du moins sentir une pauvre approximation de la normalite.

— Avez-vous developpe une intolerance ?

— Non.

— Comme c’est bizarre…

— Pas vraiment. Ces chimistes fournissent des substances censees eviter les inconvenients habituels.

— Ah ! Mais les nouveaux inconvenients, les inconvenients actuels ? (Danielle se resservit elle-meme de vin.) J’ai entendu une autre version de tout cela, bien entendu.

— Tiens donc ?

— Absolument. Ce que c’etait, qui l’a fabrique, pourquoi vous avez decroche.

— Oui ?

— C’etait un antipsychotique, produit dans les labos memes de Senso/Rezo. Vous avez cesse d’en prendre parce que vous preferiez etre cinglee.

Porphyre prit delicatement le verre des mains de Danielle, tandis que ses paupieres commencaient a battre, pesantes, sur ses yeux bleus etincelants.

— Bonne nuit, les petits, dit-il.

Les yeux de Danielle se fermerent et elle se mit a ronfler doucement.

— Porphyre, que… ?

— J’ai drogue son vin. Elle n’y verra que du feu, mam’zelle. Elle ne se souviendra de rien en dehors de ce qu’elle a enregistre… (Son sourire s’epanouit.) Vous n’avez surement pas envie d’ecouter cette salope durant tout le trajet du retour, non ?

— Mais elle s’en doutera, Porphyre !

— Non, absolument pas. On lui dira qu’elle s’est descendu trois bouteilles a elle toute seule et qu’elle a vomi partout dans les toilettes. Et c’est vraiment l’impression qu’elle aura, en plus…

Il pouffa.

Danielle Stark ronflait toujours, avec bruit, maintenant, dans l’une des deux couchettes rabattables a l’arriere de la cabine.

— Porphyre, dit Angie, crois-tu qu’elle aurait pu avoir raison ?

Le coiffeur tourna vers elle ses yeux splendides, inhumains.

— Et vous ne vous en seriez pas apercue ?

— Je ne sais pas…

Il soupira.

— Mam’zelle se tracasse trop. Vous etes libre, a present. Profitez-en.

— J’entends quand meme des voix, Porphyre.

— N’est-ce pas notre lot a tous, mam’zelle ?

— Non, dit-elle, ce n’est pas le mien. Connais-tu quelque chose aux religions africaines, Porphyre ?

Sourire narquois de l’interesse :

— Je ne suis pas africain.

— Mais quand tu etais petit…

— Quand j’etais petit, dit Porphyre, j’etais blanc.

— Oh…

Il rit.

— Les religions, mam’zelle ?

— Avant que j’entre au Reseau, j’avais des amis. Dans le New Jersey. Ils etaient noirs et… tres religieux.

Nouveau sourire narquois de Porphyre qui roula des yeux.

— Le signe du vaudou, mam’zelle ? Os de poulet et huile de pouliot.

— Tu sais bien que ce n’est pas ca.

— Et si je le sais ?

— Ne me taquine pas, Porphyre. J’ai besoin de toi.

— Vous m’avez, mam’zelle. Eh oui, je sais ce que vous voulez dire. Et c’est cela, vos voix ?

— C’etait cela. Des que je me suis mise a la poudre, elles sont parties…

— Et maintenant ?

— Disparues.

Mais l’elan etait passe et elle brulait de lui parler de la Grande Brigitte, de la drogue dans le blouson.

— Bien, dit-il, c’est bien, mam’zelle.

Le Lear entama sa descente au-dessus de l’Ohio. Fige comme une statue, Porphyre fixait la cloison devant lui. Angie regardait la mer de nuages monter vers eux, et se souvenait de son jeu quand elle prenait l’avion, etant petite, ce jeu ou elle envoyait une Angie imaginaire batifoler parmi les canyons de nuages, enjamber les pics cotonneux solidifies comme par magie. Sans doute ces avions-la appartenaient-ils a la Maas-Neotek. Des jets d’affaires elle etait passee aux Lears du Reseau. Les avions des lignes commerciales n’etaient pour elle que les decors de ses stims : New York-Paris sur le vol inaugural du Concorde restaure de la JAL, avec Robin et des invites de Senso/Rezo tries sur le volet.

La descente. Survolaient-ils deja le New Jersey ? Les enfants qui grouillaient sur les terrains de jeu des toits de l’arcologie de Beauvoir entendaient-ils leurs reacteurs ? Le bruit de son passage effleurait-il doucement les appartements ou vivait Bobby, enfant ? Quelle impensable complexite que celle du monde, avec tous les details de sa mecanique, quand la volonte commerciale de Senso/Rezo ebranlait les os minuscules dans l’oreille interne d’enfants inconscients et inconnus…

— Porphyre sait certaines choses, dit-il tout doucement. Mais Porphyre a besoin de temps pour reflechir, mam’zelle…

L’avion virait deja pour l’approche finale.

26. KUROMAKU

Sally garda le silence, dans la rue et dans le taxi, tout au long du froid trajet de retour jusqu’a leur hotel.

Sally et Swain etaient victimes du chantage de l’ennemi de Sally, « la-haut en orbite ». Sally se trouvait forcee d’enlever Angie Mitchell. Pour Kumiko, l’idee d’enlever la star de Senso/Rezo paraissait singulierement irreelle, comme si quelqu’un projetait d’assassiner une figure, un personnage mythologique.

Le Finnois avait sous-entendu qu’Angie elle-meme etait deja impliquee, par quelque biais mysterieux, mais il avait use de termes et d’idiomes que Kumiko n’avait pas saisis. Quelque chose dans le cyberspace ; des gens qui pactisaient avec un ou plusieurs elements qui s’y trouveraient. Le Finnois avait connu un garcon qui etait devenu l’amant d’Angie ; mais Robin Lanier n’etait-il pas deja son amant ? La mere de Kumiko lui avait permis de passer plusieurs des stims d’Angie et Robin. Le garcon avait ete un cow-boy, un pirate de donnees, comme Tic-Tac, a

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