Londres…
Et son ennemie, dans tout ca, celle qui jouait les maitres chanteurs ? Elle etait folle, disait le Finnois, et sa folie avait amene declin et revers pour sa famille. Elle vivait seule, dans la demeure ancestrale, le domaine appele Lumierrante. Qu’avait donc fait Sally pour lui valoir son animosite ? Avait-elle reellement tue le pere de cette femme ? Et qui etaient les autres, les autres qui etaient morts ? Elle avait deja oublie les noms des
Et enfin, Sally avait-elle appris ce qu’elle desirait savoir, en rendant visite au Finnois ? Kumiko avait attendu que tombe un verdict quelconque de cette chasse blindee mais l’entretien n’avait debouche sur rien, hormis, en guise d’adieu, l’echange rituel de plaisanteries typiques des
Dans le hall de l’hotel, Petale attendait, assis dans un fauteuil de velours bleu. En habit de voyage, sa large carrure engoncee dans un costume trois-pieces en laine grise, il quitta son siege, bondissant comme un drole de ballon, des leur entree, le regard toujours aussi doux derriere ses lunettes a monture d’acier.
— Bonjour, fit-il, puis il toussota. Swain m’a envoye vous chercher. Juste pour m’occuper de la petite, n’est-ce pas…
— Ramene-la, dit Sally. Tout de suite. Ce soir.
— Sally ! Non !
Mais la main de Sally s’etait deja fermement refermee autour du bras de Kumiko, pour l’entrainer vers l’entree d’un salon eteint, a l’ecart du hall principal.
— Attends-moi la, aboya Sally a l’adresse de Petale. (Puis, tirant Kumiko dans un coin :) Toi, ecoute-moi. Tu vas rentrer. Je ne peux pas te garder avec moi en ce moment.
— Mais je ne me plais pas, la-bas. Je n’aime pas Swain ni sa maison… Je…
— Petale est tres gentil, dit Sally, se penchant pour lui parler tres vite. En cas de coup dur, je te conseillerais de te fier a lui. Swain, enfin, tu sais comment il est, mais ton pere le tient. Quoi qu’il advienne, je crois qu’ils te tiendront a l’ecart. Mais si ca tournait mal, vraiment mal, file au pub ou nous avons rencontre Tic- Tac. La Couronne et la Rose. Tu te souviendras ?
Kumiko acquiesca, les yeux soudain embues de larmes.
— Si Tic-Tac n’est pas la, trouve un garcon nomme Bevan et dis-lui mon nom.
— Sally, je…
— T’es grande, dit Sally et elle l’embrassa brusquement. (Une de ses lentilles effleura un instant la pommette de Kumiko, etonnamment froide et rigide.) Moi, ma cherie, je me barre.
Ce qu’elle fit, disparaissant dans le silence feutre du salon tandis qu’a l’entree, Petale se raclait la gorge.
Le vol de retour a Londres fut comme un long trajet en metro. Petale passait son temps a inscrire des mots, lettre par lettre, sur une espece de puzzle idiot, dans un jourlex en anglais, en grommelant tout seul a voix basse. Elle finit par s’endormir et reva de sa mere…
— Le chauffage marche, indiqua Petale qui avait pris le volant pour les ramener d’Heathrow chez Swain.
Il faisait desagreablement chaud dans la Jaguar, une chaleur seche qui sentait le cuir et lui irritait les sinus. Elle ignora sa remarque pour contempler l’aube pale, le reflet noir des toits sous la neige qui fondait, les rangees de poteries des cheminees…
— Il n’est pas fache apres vous, vous savez, disait Petale. Il se sent particulierement responsable…
—
— Je n’ai pas envie de parler, merci.
Petits yeux chagrines de Petale dans le retroviseur.
Dans la rue en arc de cercle etaient garees une file de voitures, de longues voitures gris metallise aux vitres teintees.
— Il recoit beaucoup de visites, cette semaine, commenta Petale en se garant en face du 17.
Il sortit, lui ouvrit la porte. Elle le suivit comme un automate, traversant la rue pour escalader les marches grises du perron. La porte noire fut ouverte par un homme trapu et rougeaud, serre dans un costume anthracite ; Petale le depassa comme s’il ne l’avait pas vu.
— Attendez un peu, dit le visage rougeaud. Swain veut la voir tout de suite…
Petale s’immobilisa ; puis il pivota avec une rapidite deconcertante et saisit l’homme par le revers de sa veste.
— A l’avenir, tache de faire montre de plus de respect, bordel.
Bien qu’il n’eut pas eleve le ton, toute sa douceur un peu lasse avait disparu. Kumiko entendit craquer des coutures.
— Desole, chef. (Le rougeaud, prudent, n’avait pas bronche.) C’est lui qui m’a dit de vous prevenir.
— Eh bien, venez, dit Petale, pour Kumiko, en relachant le revers anthracite malmene. Il veut juste vous dire bonjour.
Ils trouverent Swain dans la piece ou elle l’avait vu pour la premiere fois ; il etait installe derriere une table de refectoire en chene, longue de trois metres, les dragons de son rang caches sous le fil blanc et la soie d’une cravate a rayures. Son regard croisa celui de Kumiko des qu’elle entra ; son visage allonge restait dans l’ombre d’une lampe de bureau en cuivre a abat-jour vert, posee sur la table entre une petite console et une epaisse liasse de papiers.
— Bien, dit-il. Et comment etait la Conurb ?
— Je suis tres fatiguee, monsieur Swain. J’aimerais monter dans ma chambre.
— Nous sommes heureux de vous revoir parmi nous, Kumiko. La Conurb est un endroit dangereux. Les amis que peut y avoir Sally ne sont sans doute pas le genre de personnes que votre pere aimerait vous voir frequenter.
— Puis-je monter dans ma chambre, a present ?
— Avez-vous rencontre un ami de Sally, Kumiko ?
— Non.
— Vraiment ? Qu’avez-vous fait ?
— Rien.
— Il ne faut pas nous en vouloir, Kumiko. Nous vous protegeons.
— Merci. Alors, puis-je monter dans ma chambre ?
— Bien sur. Vous devez etre tres fatiguee.
Petale sortit derriere elle, son costume gris tout fripe par le sejour dans l’avion. Elle prit soin de ne pas lever les yeux quand ils passerent sous le buste en marbre derriere lequel la platine Maas-Neotek devait encore etre dissimulee mais, avec Swain et Petale dans la piece, elle ne voyait pas comment la recuperer.
Il regnait dans la maison une agitation nouvelle, une sourde activite : bruits de voix, de pas, grincements de l’ascenseur, grondement des tuyauteries lorsque quelqu’un prenait un bain.
Elle s’assit au pied de l’immense lit, les yeux fixes sur la baignoire en marbre noir. Des images remanentes de New York semblaient flotter a la lisiere de son champ visuel ; si elle fermait les yeux, elle se retrouvait dans l’impasse, accroupie pres de Sally. Sally qui l’avait chassee. Sans se retourner. Sally, dont le nom avait jadis ete Molly, ou l’Arme-a-l’?il ou les deux. Encore une fois, indigne de confiance. La Sumida, sa mere, derivant dans l’eau noire. Son pere. Sally.
Peu apres, poussee par la curiosite, surmontant sa gene, elle se leva, se brossa les cheveux, glissa ses pieds dans de minces chaussons de caoutchouc noir a semelles en plastique crantees et sortit tout doucement dans le corridor. Quand l’ascenseur arriva, il empestait le tabac.
Lorsqu’elle sortit de la cabine, Rougeaud faisait les cent pas dans le hall moquette de rouge, les mains dans les poches de sa veste.
— Allons bon, fit-il en haussant les sourcils, on a besoin de quelque chose ?