Il n’etait pas sur lui-meme de sa destination. Il voulait emmener Cherry au moins jusque chez Marvie, puis la laisser la-bas. Ensuite, peut-etre qu’il reviendrait voir ce qui se passait avec Gentry. Elle, elle pourrait toujours gagner en stop une ville de la ceinture de rouille, il suffisait d’un jour ou deux. Elle n’en savait encore rien, toutefois ; elle n’avait qu’une idee, pour l’instant, c’etait de partir. Elle semblait tout aussi terrifiee a la perspective de voir Bobby claquer sur sa civiere que d’affronter les autres, dehors. Mais la Ruse n’avait pas de mal a voir que la mort etait pour Bobby le cadet de ses soucis. Peut-etre s’imaginait-il qu’il resterait eternellement la-dedans, comme cette 3Jane. Ou peut-etre qu’il s’en foutait royalement ; parfois, les gens devenaient comme ca.
S’il devait partir pour de bon, songea-t-il, tout en guidant Cherry dans le noir, de sa main libre, il fallait qu’il entre jeter un dernier coup d’?il sur le Juge, la Sorciere, le Hache-corps et les deux Enqueteurs. De cette maniere, il reussirait a faire sortir Cherry, avant de revenir lui-meme… Il se rendait compte pourtant, a l’instant meme ou il y pensait, que son idee ne tenait pas debout : il n’aurait pas le temps ; malgre tout, il la ferait sortir quand meme…
— Il y a un trou, de ce cote, au ras du sol, lui indiqua-t-il. On va s’y faufiler, en esperant que personne ne remarquera…
Elle serra sa main qui la guidait dans le noir.
Il trouva l’ouverture a tatons, y glissa de force les sacs de couchage, coinca le marteau dans sa ceinture, puis s’allongea sur le dos et se coula a l’exterieur jusqu’a ce qu’il ait passe la tete et le torse. Le ciel etait bas et a peine plus lumineux que les tenebres de la Fabrique.
Il crut deceler un vague grondement de moteurs qui disparut bientot.
Il finit de s’extraire en jouant des talons, des hanches et des epaules puis roula sur lui-meme dans la neige.
Quelque chose lui heurta le pied : Cherry poussait dehors le bidon d’eau. Il se pencha pour le saisir et c’est alors que la phalene rouge lui illumina le dos de la main. Il recula d’un bond, roula de nouveau, au moment ou la balle percutait le mur de la Fabrique comme un marteau-pilon.
Un eclair blanc, a la derive. Au-dessus de la Solitude. A peine visible a travers les nuages bas. Il descendait avec lenteur des flancs gris gonfles d’un cargo-robot : la diversion de Bobby. Illuminant le second aeroglisseur, trente metres plus loin, et la silhouette en capuche avec son fusil…
Le premier conteneur s’ecrasa par terre avec bruit, juste devant le glisseur, puis il explosa, en projetant un nuage de billes d’emballage en polystyrene expanse. Le second, qui contenait deux refrigerateurs, fit mouche, aplatissant la cabine. Le Borg-Ward detourne continuait a degorger ses conteneurs tandis que la bombe eclairante tournoyait en finissant de s’eteindre.
La Ruse se hata de rebrousser chemin par la faille dans le mur, abandonnant dehors l’eau et les sacs de couchage.
A toute vitesse, dans le noir.
Il avait perdu Cherry. Il avait perdu le marteau. Elle avait du se glisser a nouveau dans la Fabrique lorsque l’homme avait tire la premiere balle. Sa derniere, s’il s’etait trouve sous la caisse lors de son atterrissage…
Ses pieds trouverent la rampe d’acces a la salle ou attendaient ses machines.
— Cherry ?
Il alluma la torche.
Le Juge manchot s’encadra dans son faisceau. Devant lui se tenait une silhouette, avec a la place des yeux des miroirs qui renvoyaient la lumiere.
— Tu veux mourir ? (Une voix de femme.)
— Non…
— Alors eteins.
Le noir. Courir…
— Je peux voir dans le noir. Fourre-moi simplement cette lampe dans ta poche de blouson. M’est avis que t’as encore envie de detaler. Essaie pas, j’ai une arme braquee sur toi.
Detaler ?
— N’y songe meme pas. T’as deja vu une flechette Fujiware HE ? Contre une cible dure, elle explose. Dans une cible molle, comme la plus grande partie de ton corps, mec, elle penetre, avant d’exploser. Dix secondes plus tard.
— Pourquoi ?
— Pour que tu te mettes a y reflechir.
— Z’etes avec ces types, dehors ?
— Non. C’est toi qui leur as balance ces cuisinieres et tout ce bordel sur la tronche ?
— Non.
— Newmark. Bobby Newmark. On s’est mis d’accord cette nuit. Je retrouve quelqu’un avec Bobby Newmark, on m’efface mon ardoise. Faut me montrer ou il est.
39. TROP
Quel genre d’endroit etait-ce, d’ailleurs ?
La situation en etait arrivee au point ou Mona ne trouvait plus le moindre confort a imaginer l’avis de Lanette. Mettant Lanette a sa place, Mona se demanda si elle continuerait a bouffer du Noir de Memphis jusqu’a ce qu’elle ait l’impression que ce n’etait plus son probleme. Jamais le monde n’avait eu autant de rouages pour aussi peu d’etiquettes.
Elles avaient roule toute la nuit, avec une Angie a peu pres completement jetee – Mona n’avait du coup plus aucun mal a croire a cette histoire de drogues – et qui parlait, parlait, en plusieurs langues, avec
La premiere voix avait jailli quand elles descendaient vers le Sud, apres que Molly eut transporte Angie dans l’helico. Cette voix s’etait contentee de siffler et de croasser, en repetant toujours la meme chose, un truc a propos du New Jersey, de numeros sur un plan. Deux heures apres, environ, Molly avait fait entrer son glisseur sur une aire de repos et annonce qu’elles etaient dans le New Jersey. Puis elle etait descendue pour passer un coup de fil d’une cabine couverte de givre. Le coup de fil dura longtemps ; quand elle etait remontee a bord, Mona l’avait vue jeter une telecarte dans la neige fondue, la jeter, purement et simplement. Et Mona lui ayant demande qui elle avait appele, elle lui avait dit l’Angleterre.
Mona avait alors remarque les mains de Molly sur le volant, les taches jaunatres sur les ongles noirs, comme lorsqu’on se casse des faux ongles.
Elles quitterent l’autoroute juste apres avoir traverse un fleuve. Des arbres, des champs, une route goudronnee a deux voies, de temps en temps une balise rouge isolee au sommet d’une tour quelconque. Et c’est alors que les autres voix etaient venues. Des lors, c’avait ete l’alternance permanente : les voix, puis Molly, puis a nouveau les voix, et leurs echanges lui rappelaient Eddy et ses tentatives de marchandage, mais Molly semblait nettement mieux se debrouiller ; meme si elle n’y comprenait rien, elle sentit le moment ou Molly etait pres d’arriver a ses fins. Mais elle ne supportait pas la presence de ces voix ; chaque fois, elles lui donnaient envie de se plaquer contre la portiere, le plus loin possible d’Angie. Le pire s’appelait Sam-Eddy, quelque chose comme ca. Ce qu’ils voulaient tous, c’etait que Molly conduise Angie quelque part, pour un mariage, disaient-ils, et Mona se demanda si Robin Lanier etait oui ou non dans le coup et si ce n’etait pas encore un de ces trucs dingues que font