A l’egard de Mona, Angie eprouve une etrange tendresse, de la pitie, et meme une certaine dose d’envie ; bien que Mona ait ete transformee pour ressembler le plus possible a Angie, sa vie n’a laisse aucune trace sur la trame des choses et represente, dans le systeme de Legba, ce qui s’apparente le plus a l’innocence.

Cherry-Lee Chesterfield est cernee d’un triste gribouillis echevele : son profil d’identite, pareil a un dessin d’enfant. Arrestations pour vagabondage, dettes mineures, une carriere avortee de technicienne paramedicale de sixieme echelon encadrent son bulletin de naissance et sa FAUTE.

La Ruse, dit Henry la Ruse, fait partie des sans FAUTE, mais 3Jane, le Script, Bobby, tous lui ont prodigue leur attention. Pour 3Jane, il sert de point focal a un n?ud mineur d’associations : elle met en parallele la poursuite de son rite de construction, reponse cathartique au trauma chimio-penal, avec l’echec de ses propres tentatives pour exorciser le reve sterile des Tessier-Ashpool. Dans les corridors de la memoire de 3Jane, Angie est souvent apparue dans cette chambre ou un manipulateur aux bras d’araignee se demene pour refuser l’histoire grumeleuse et breve de Lumierrante – acte de collage a grande echelle. Quant a Bobby, il fournit d’autres souvenirs, voles a l’artiste lorsqu’il a accede a la bibliotheque de Babel de 3Jane : son long, lent et pueril labeur sur la plaine baptisee Chienne de Solitude, pour eriger a nouveau les formes de la douleur et de la memoire.

En bas, dans les froides tenebres du rez-de-chaussee de la Fabrique, l’une des sculptures cinetiques de la Ruse, controlee par un sous-programme emanant de Bobby, retire le bras gauche d’un autre mercenaire, a l’aide d’un mecanisme recupere deux etes plus tot sur une moissonneuse de fabrication chinoise. Le mercenaire, dont le nom et la FAUTE frolent Angie en bouillonnant comme des bulles d’argent fondu, meurt, la joue posee contre l’une des bottes de Petit Oiseau.

Seul de tous les personnages presents dans la piece, Bobby n’est pas ici sous la forme de donnees. Et Bobby n’est pas non plus cette ruine gisant devant elle, sanglee sous l’alliage et le nylon, le menton recouvert d’une pellicule sechee de vomi, pas plus que ce visage vif et familier qui l’observe depuis l’ecran du moniteur sur l’etabli de Gentry. Bobby serait-il la masse compacte et rectangulaire boulonnee au-dessus de la civiere ?

Elle traverse a present les vagues de dunes de satin rose sale, sous un ciel d’acier cisele, enfin liberee de la piece et de ses donnees grumeleuses.

Brigitte marche a ses cotes, et il n’y a ni pression, ni vide de la nuit, ni bourdonnement de ruche. Il n’y a pas de cierges. Le Script est la egalement, represente par un ondulant griffonnage de guirlandes d’argent qui lui rappellent vaguement Hilton Swift sur la plage de Malibu.

— On se sent mieux ? lui demande Brigitte.

— Beaucoup mieux, merci.

— Je m’en doutais.

— Pourquoi le Script est-il ici ?

— Parce qu’il est ton cousin, construit a partir de biopuces Maas. Parce qu’il est jeune. Nous t’accompagnons a ton mariage.

— Mais qui etes-vous, Brigitte ? Qui etes-vous vraiment ?

— Je suis le message que ton pere a recu l’ordre d’ecrire. Je suis les veves qu’il t’a traces dans la tete. (Brigitte se penche vers elle.) Sois gentille avec le Script. Il craint d’avoir, par sa maladresse, suscite ton mecontentement.

La guirlande les precede en se tortillant a travers les dunes de satin pour annoncer l’arrivee de la mariee.

41. M. YANAKA

La platine Maas-Neotek etait encore chaude au toucher ; le volet de plastique blanc, en dessous, etait decolore, comme par la chaleur. Odeur de poils brules…

Elle regardait noircir les ecchymoses sur le visage de Tic-Tac. Il l’avait envoyee chercher dans la table de nuit un etui a cigarettes use, garni de comprimes et de timbres dermiques, avait degrafe son col d’un coup sec puis applique trois des disques adhesifs contre sa peau blanche comme de la porcelaine.

Elle l’aida a se confectionner un brassard avec un troncon de cable a fibres optiques.

— Mais Colin a dit qu’elle avait oublie…

— Absolument pas, dit Tic-Tac. (Il prit une profonde inspiration, serra les dents et glissa l’attelle sous son bras.) C’est l’impression que ca a pu donner, durant un temps. Ca traine un peu… (Il fit une grimace.)

— Pardon…

— Non, ca va. Sally m’a explique. Au sujet de ta mere, je veux dire.

— Oui… (Elle ne detourna pas les yeux.) Elle s’est tuee. A Tokyo…

— Tout a l’heure ce n’etait en tout cas pas elle.

— La platine… (Elle lanca un regard vers la table du petit dejeuner.)

— Elle l’a brulee. Pour lui, peu importe, de toute maniere. Il est encore la. S’en est tire. Mais que nous concocte encore Sally ?

— Elle a Angela Mitchell avec elle. Elle est partie a la recherche de ce qui est a l’origine de tout. Ou nous nous trouvions. Un endroit appele New Jersey.

Le telephone sonna.

Le pere de Kumiko apparut, en buste, sur le grand ecran derriere le telephone de Tic-Tac : il portait son costume fonce, sa montre Rolex, et toute une galaxie de petits appareils fraternels sur son giron en worsted. Kumiko lui trouva l’air tres fatigue et tres serieux, un homme serieux assis derriere le vaste plateau lisse et sombre de sa table de travail, dans son bureau. Elle regretta que Sally n’ait pas appele depuis une cabine equipee d’une camera. Elle aurait nettement prefere revoir cette derniere plutot que son pere ; a present, peut-etre cela ne serait-il plus jamais possible.

— Tu as l’air en forme, Kumiko, dit son pere.

Kumiko etait assise bien droite face a la petite camera fixee juste sous l’ecran mural. Par reflexe, elle voulut arborer le masque dedaigneux de sa mere mais n’y parvint pas. Confuse, elle baissa les yeux vers ses mains croisees sur ses cuisses. Elle prit brutalement conscience de la presence de Tic-Tac, de son embarras, de sa peur a se retrouver ainsi piege dans son fauteuil derriere elle, en plein dans le champ de la camera.

— Tu as eu raison de t’enfuir de la maison de Swain, reprit son pere.

Elle croisa de nouveau son regard.

— C’est votre kobun.

— Plus maintenant. Pendant qu’ici nous etions distraits par nos propres difficultes, il a forme de nouvelles et douteuses alliances, poursuivant des objectifs que nous ne pouvions pas approuver.

— Quelles difficultes, pere ?

Y avait-il eu l’esquisse d’un sourire ?

— Tout cela est termine. L’ordre et la concorde sont a nouveau retablis.

— Euh, excusez-moi, monsieur Yanaka… commenca Tic-Tac, puis il parut perdre definitivement sa voix.

— Oui, vous etes… ?

Le visage tumefie de Tic-Tac se deforma en un large rictus particulierement lugubre.

— Il s’appelle Tic-Tac, pere. Il m’a abritee et protegee. C’est lui, avec Col… enfin, avec la platine Maas- Neotek, qui m’a sauve la vie, hier soir.

— Vraiment ? On ne m’en avait pas informe. Je croyais que tu n’avais pas quitte son appartement.

Sensation de froid…

— Comment ? demanda-t-elle en s’avancant sur son siege. Comment avez-vous pu savoir ?

— La platine Maas-Neotek a emis ta destination, sitot celle-ci connue, et des que le boitier fut hors de portee des detecteurs de Swain. (Elle se rappela le vendeur de nouilles.) Sans bien entendu en informer celui-ci. Mais le boitier n’a jamais emis d’autre message.

— Il etait casse. Un accident.

— Et malgre tout, il t’a sauve la vie ?

— Monsieur, intervint Tic-Tac, je vous demande pardon mais… ce que je voudrais savoir, c’est si je suis

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