les stars quand elles decident de se marier. Apparemment Angie s’y refusait et chaque fois que revenait la voix de ce Sam-Eddy, Mona sentait ses cheveux se herisser. Elle devinait toutefois la nature du marche de Molly : celle-ci voulait voir son casier nettoye, efface. Un jour avec Lanette, elle avait vu un reportage video sur une fille qui avait plusieurs personnalites, un coup, c’etait la gamine timide, un autre coup, la vieille pute defoncee jusqu’a la moelle, mais a aucun moment on n’avait evoque le fait que toutes ces personnalites pourraient servir a effacer son ardoise avec la police.
Puis etait apparue dans leurs phares cette plaine battue par la neige avec des cretes basses couleur de rouille qu’on devinait la ou le vent avait dechire le manteau blanc.
L’aeroglisseur etait equipe d’un de ces atlas video comme on en voit dans les taxis ou les camions quand un routier vous prend en stop, mais Molly ne l’avait jamais allume, sauf une fois, au debut, pour chercher les numeros que lui avait donnes la voix. Mona avait fini par comprendre qu’Angie lui indiquait l’itineraire que les voix lui dictaient. Elle trouvait que le jour tardait a venir et il faisait encore nuit quand Molly eteignit les phares et fonca dans le noir…
— Les phares ! s’ecria Angie.
— On se calme, dit Molly, et Mona se rappela son aisance a evoluer dans le noir, chez Gerald.
Le glisseur ralentit legerement, entama une longue courbe en vibrant sur le sol inegal. Les lumieres du tableau de bord s’eteignirent sur tous les cadrans.
— Plus un bruit, a present, d’accord ?
Le glisseur accelera dans la nuit.
Eclair blanc vacillant, haut dans le ciel. Par la vitre, Mona entrevit un point qui derivait en tourbillonnant ; au-dessus, une masse indistincte, grise et bulbeuse…
— Au sol ! Plaque-la au sol !
Mona tira sur la boucle de la ceinture de securite d’Angie a l’instant ou quelque chose percutait le flanc du glisseur. Elle plaqua la jeune femme sur le plancher, en l’emmitouflant dans ses fourrures tandis que Molly derapait sur la gauche, en rasant quelque chose que Mona ne put distinguer. Elle releva la tete : le temps d’apercevoir l’eclair fugitif d’un edifice noir passablement delabre avec une unique ampoule blanche allumee au- dessus du portail ouvert d’un entrepot, et deja elles l’avaient franchi et les turbines hurlaient, poussee inversee a fond.
Le crash.
—
Puis la voix se mit a rire, et ne s’arreta plus, devint un son hache, hoquetant, qui n’avait plus rien d’un rire, et Mona ouvrit les yeux.
Une fille apparut avec une minuscule lampe-torche, comme celle que Lanette avait sur son gros trousseau de cles ; Mona la distinguait vaguement dans la faible reverberation du faisceau, le cone de lumiere etant braque sur les traits inertes d’Angie. Puis elle vit que Mona regardait et le bruit cessa.
— Qui diable etes-vous ?
La lampe dans les yeux de Mona. L’accent de Cleveland, un petit visage de renard, dur, sous un casque hirsute de cheveux platine.
— Mona. Et vous, qui etes-vous ?
C’est alors qu’elle avisa le marteau.
— Cherry…
— C’est quoi, ce marteau ?
Cette fameuse Cherry regarda l’outil.
— Y a quelqu’un qui nous cherche, la Ruse et moi. (Elle fixa de nouveau Mona :) Z’etes avec eux ?
— Je ne crois pas.
— Vous lui ressemblez. (Trait de lumiere sur Angie.)
— Pas les mains. Et en tout cas, c’est pas de naissance.
— Vous ressemblez toutes les deux a Angie Mitchell.
— Ouais. C’est bien elle.
Cherry eut un leger frisson. Elle portait trois ou quatre blousons de cuir, cadeaux de compagnons successifs. Une tradition, a Cleveland.
— En ce haut chateau, lanca soudain, par la bouche d’Angie, une voix epaisse comme la glaise (Cherry s’en cogna la tete contre le toit du taxi et laissa echapper son marteau), ma monture est venue. (Dans le faisceau vacillant de la lampe, elles voyaient les muscles du visage d’Angie onduler sous la peau.) Pourquoi trainez-vous ici, petites s?urs, maintenant que le mariage est arrange ?
Les traits d’Angie se detendirent, redevinrent les siens, tandis qu’un mince filet de sang s’ecoulait, ecarlate, de sa narine gauche. Elle ouvrit les yeux, grimaca, eblouie.
— Ou est-elle ? demanda-t-elle a Mona.
— Partie, repondit cette derniere. M’a dit de rester ici avec vous…
— Qui ca ? demanda Cherry.
— Molly, dit Mona. C’est elle qui conduisait…
Cherry se tourna vers Angie :
— Qu’est-ce qui ne va pas, ma petite dame ? lui demanda-t-elle.
Cherry voulait retrouver un denomme la Ruse. Mona voulait que Molly revienne lui dire ce qu’il fallait faire mais Cherry, nerveuse, semblait pressee de quitter le rez-de-chaussee, disant que c’etait a cause de ces types armes, dehors. Mona se rappela le bruit, l’impact contre le glisseur ; elle prit la torche de Cherry et se rendit a l’arriere. Il y avait effectivement un trou dans lequel elle pouvait passer le doigt, a mi-hauteur du flanc droit, et un second, plus gros, sur le cote gauche.
Cherry dit qu’elles feraient mieux de monter – la Ruse devait sans doute etre deja la-haut – avant que ces types decident d’entrer en force. Mona n’en etait pas sure.
— Allons, dit Cherry. La Ruse est sans doute planque la-haut, avec Gentry et le Comte…
— Qu’est-ce que vous avez dit, la ?
Et cette voix etait celle d’Angie Mitchell, exactement la meme que dans les stims.
Il faisait un froid de canard quand enfin elles sortirent du glisseur – Mona avait les jambes nues – mais l’aube avait fini par apparaitre : elle parvenait a distinguer de pales rectangles, a l’emplacement probable des fenetres, une simple lueur grise. La fille nommee Cherry les precedait, les guidant vers l’etage, disait-elle, en naviguant a coups d’eclairs brefs de sa minitorche, Angie sur ses talons et Mona fermant la marche.
Mona se prit la pointe de la chaussure dans un truc qui produisit un bruit de froissement. En se penchant pour se degager, elle sentit quelque chose qui ressemblait a un sac en plastique. Collant. Rempli de petits objets durs. Elle prit une profonde inspiration, se redressa, fourra le sac dans la poche laterale du blouson de Michael.
Mais deja, elles grimpaient cet escalier etroit, escarpe, presque une echelle ; fourrure d’Angie effleurant la main de Mona posee sur la rampe froide et rugueuse. Puis un palier, un virage, une autre volee de marches, un autre palier. Un courant d’air venu de nulle part.
— C’est une sorte de passerelle, expliqua Cherry. Traversez-la en vitesse, sans vous poser de questions, vu ? Parce qu’elle aurait plutot tendance a trembler…
Elle ne s’etait attendue a rien de tout cela, ni a la haute salle blanche aux etageres qui ployaient sous la quantite de livres uses et cornes – elle se crut revenue chez le vieux –, ni a cette accumulation de consoles et de terminaux avec des cables qui se tortillaient dans tous les sens ; ni a cet homme en noir, decharne, au regard brulant, aux cheveux ramenes en crete de « poisson de combat », comme on disait a Cleveland ; ni a ce rire quand il les apercut, ni enfin au type mort.
Mona avait deja vu des morts, suffisamment en tout cas pour les reconnaitre au premier coup d’?il, a leur couleur. Parfois, en Floride, devant le squat, on voyait un type allonge sur une plaque de carton posee en travers du trottoir. Pour ne plus se relever. Ses habits et sa peau avaient deja pris la teinte de la chaussee, mais la