son visage etait celui d’une jeune fille.
Baldabiou ecouta, en silence, jusqu’a la fin jusqu’au train a Eberfeld.
Il ne pensait rien.
Il ecoutait.
Il eut mal d’entendre, a la fin, Herve Joncour dire doucement
— Je n’ai meme jamais entendu sa voix. Et un instant plus tard :
— C’est une souffrance etrange. Doucement.
— Mourir de nostalgie pour quelque chose que tu ne vivras jamais.
Ils remonterent le parc en marchant cote a cote. La seule chose que dit Baldabiou, ce fut
— Mais pourquoi diable fait-il ce froid de canard ?
Dit-il, a un moment.
54
Au debut de la nouvelle annee – 1866 – le Japon autorisa officiellement l’exportation des ?ufs de vers a soie.
Pendant la decennie suivante, la France irait jusqu’a importer pour dix millions de francs d’?ufs japonais.
A partir de 1869, avec l’ouverture du canal de Suez, se rendre au Japon n’allait d’ailleurs plus demander que vingt jours de voyage. Et en revenir, un peu moins.
La soie artificielle serait brevetee en 1884 par un Francais nomme Chardonnet.
55
Six mois apres son retour a Lavilledieu, Herve Joncour recut par la poste une enveloppe de couleur moutarde. Quand il l’ouvrit, il y trouva sept feuilles de papier, couvertes d’une ecriture dense et geometrique : encre noire : ideogrammes japonais. Hormis le nom et l’adresse sur l’enveloppe, il n’y avait pas un seul mot ecrit en caracteres occidentaux. D’apres les timbres, la lettre semblait venir d’Ostende.
Herve Joncour la feuilleta, et l’examina longtemps. On aurait dit un catalogue d’empreintes de petits oiseaux, dresse avec une meticuleuse folie C’etait surprenant de penser qu’en fait c’etaient des signes, la cendre d’une voix brulee.
56
Pendant des semaines, Herve Joncour garda la lettre sur lui, pliee en deux, glissee dans sa poche. Quand il changeait de costume, il remettait la lettre en place dans le nouveau. Jamais il ne l’ouvrit pour la regarder. De temps en temps, il la tournait entre ses doigts, pendant qu’il parlait avec un metayer, ou attendait que l’heure du diner arrive, assis sous la veranda. Un soir, il se mit a l’examiner contre la lumiere de la lampe, dans son bureau. En transparence, les empreintes de ces oiseaux minuscules parlaient, d’une voix etouffee. Elles disaient quelque chose d’absolument insignifiant, ou bien capable de bouleverser une existence : c’etait impossible de le savoir, et cette idee plaisait a Herve Joncour. Il entendit Helene arriver. Il posa la lettre sur la table. Elle s’approcha et, comme tous les soirs, avant de se retirer dans sa chambre, voulut lui donner un baiser. Quand elle se pencha vers lui, sa chemise de nuit s’entrouvrit legerement, sur sa poitrine. Herve Joncour vit qu’elle ne portait rien, dessous, et que ses seins etaient petits, d’un blanc immacule comme ceux d’une jeune fille. Pendant quatre jours, il continua de mener sa vie, sans rien changer aux rites prudents de ses journees. Le matin du cinquieme jour, il mit un elegant complet gris et partit pour Nimes. Il annonca qu’il serait de retour avant le soir.
57
Rue Moscat, au numero 12, tout etait pareil que trois annees plus tot. La fete n’etait toujours pas terminee. Les filles etaient toutes jeunes et francaises. Le pianiste jouait, en sourdine, des airs aux senteurs de Russie. C’etait peut-etre la vieillesse, peut-etre quelque sale douleur : a la fin de chaque morceau, il ne se passait plus la main droite dans les cheveux, et ne murmurait plus, doucement,
— Voila.
Il restait muet, regardant ses mains, deconcerte.
58
Madame Blanche l’accueillit sans un mot. Ses cheveux noirs, brillants, son visage oriental, parfait. Petites fleurs bleues aux doigts, comme autant de bagues. Une robe longue, blanche, presque transparente. Pieds nus.
Herve Joncour s’assit en face d’elle. Il sortit la lettre de sa poche.
— Vous vous souvenez de