La jeune fille souleva legerement la tete.
Pour la premiere fois, elle detacha son regard d’Herve Joncour, et le posa sur la tasse.
Lentement, elle la tourna jusqu’a avoir sous ses levres l’endroit exact ou il avait bu.
En fermant a demi les yeux, elle but une gorgee de the.
Elle ecarta la tasse de ses levres.
La replaca doucement la ou elle l’avait prise.
Fit disparaitre sa main sous son vetement.
Reposa sa tete sur les genoux d’Hara Kei.
Les yeux ouverts, fixes dans ceux d’Herve Joncour.
16
Herve Joncour parla encore longtemps. Il ne s’interrompit que lorsque Hara Kei detacha ses yeux de lui et le salua, en inclinant le buste.
Silence.
En francais, trainant un peu sur les voyelles, avec une voix rauque, vraie, Hara Kei dit
— Si vous le desirez, ce sera un plaisir pour moi de vous voir revenir.
Pour la premiere fois, il sourit.
— Les ?ufs que vous avez sont des ?ufs de poisson, ils n’ont a peu pres aucune valeur.
Herve Joncour baissa les yeux. Devant lui, il y avait sa tasse de the. Il la prit et commenca a la faire tourner et a l’examiner, comme s’il cherchait quelque chose, sur le fil colore de son bord. Quand il eut trouve ce qu’il cherchait, il y posa ses levres, et but jusqu’au fond. Puis il reposa la tasse devant lui et dit
— Je sais.
Hara Kei se mit a rire, amuse.
— C’est pour cette raison que vous les avez payes avec de l’or faux ?
— J’ai paye ce que j’ai achete.
Hara Kei redevint serieux.
— Quand vous sortirez d’ici, vous aurez ce que vous voulez.
— Quand je sortirai de cette ile, vivant, vous recevrez l’or qui vous revient. Vous avez ma parole.
Herve Joncour n’attendit pas de reponse. Il se leva, recula de quelques pas, puis s’inclina.
La derniere chose qu’il vit, avant de sortir, ce fut les yeux de la jeune fille, fixes dans les siens, parfaitement muets.
17
Six jours plus tard, Herve Joncour s’embarqua, a Takaoka, sur un navire de contrebandiers hollandais qui le deposa a Sabirk. De la, il remonta la frontiere chinoise jusqu’au lac Baikal, traversa quatre mille kilometres de terre siberienne, franchit les monts Oural, atteignit Kiev et parcourut en train toute l’Europe, d’est en ouest, avant d’arriver, apres trois mois de voyage, en France. Le premier dimanche d’avril – a temps pour la grand-messe – il etait aux portes de Lavilledieu. Il s’arreta, remercia le bon Dieu, et entra dans le bourg a pied, comptant ses pas, pour que chacun eut un nom, et pour ne plus jamais les oublier.
— Elle est comment la fin du monde ? lui demanda Baldabiou.
— Invisible.
A sa femme Helene, il offrit en cadeau une tunique de soie que, par pudeur, elle ne porta jamais. Si tu la serrais dans ton poing, tu avais l’impression de ne rien tenir entre les doigts.
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