l’essuyaient a l’aide de linges de soie, tiedes. Elles avaient des mains reches, mais tres legeres.
Le matin du second jour, Herve Joncour vit arriver dans le village un Blanc : accompagne de deux chariots remplis de grandes caisses en bois. C’etait un Anglais. Il n’etait pas la pour acheter. Il etait la pour vendre.
— Des armes,
— Moi, j’achete. Des vers a soie.
Ils dinerent ensemble. L’Anglais avait beaucoup d’histoires a raconter : depuis huit ans, il faisait l’aller-retour entre l’Europe et le Japon. Herve Joncour l’ecouta et a la fin seulement lui demanda
— Connaissez-vous une femme, jeune, europeenne, je crois, blanche, qui vit ici ?
L’Anglais continua de manger, impassible.
— Il n’y a pas de femmes blanches au Japon.
Il n’existe pas une seule femme blanche dans tout le Japon.
L’Anglais repartit le lendemain, charge d’or.
21
Herve Joncour ne revit Hara Kei que le matin du troisieme jour. Il s’apercut que ses cinq serviteurs avaient soudain disparu, comme par enchantement, et quelques instants plus tard il le vit arriver. Cet homme autour duquel tous, dans ce village, existaient, se deplacait toujours dans une bulle de vide. Comme si quelque injonction tacite ordonnait au monde de le laisser vivre seul.
Ils gravirent ensemble le flanc de la colline, avant d’arriver dans une clairiere ou le ciel etait comme sillonne par le vol de dizaines d’oiseaux aux grandes ailes bleues.
— Les gens d’ici les regardent voler, et dans leur vol lisent le futur.
Dit Hara Kei.
— Quand j’etais un jeune garcon, mon pere m’emmena dans un endroit comme celui-ci, il me mit son arc entre les mains et m’ordonna de tirer sur un de ces oiseaux. Je tirai, et un grand oiseau, aux ailes bleues, tomba a terre, comme une pierre morte. Lis le vol de ta fleche, si tu veux savoir ton futur, me dit alors mon pere.
Les oiseaux volaient avec lenteur, montant dans le ciel puis redescendant, comme s’ils avaient voulu l’effacer, meticuleusement, avec leurs ailes.
Ils revinrent au village en marchant dans la lumiere etrange d’un apres-midi qui ressemblait a un soir. Arrives devant la maison d’Herve Joncour, ils se saluerent. Hara Kei se tourna et commenca a marcher, lentement, descendant par la route qui longeait la riviere. Herve Joncour resta debout, sur le seuil, a le regarder : il attendit qu’il fut a une vingtaine de pas, puis il dit
— Quand me direz-vous qui est cette jeune fille ?
Hara Kei continua de marcher, d’un pas lent auquel ne s’attachait aucune fatigue. Autour de lui, il y avait le silence le plus absolu, et le vide. Comme par une injonction particuliere, ou qu’il aille, cet homme allait dans une solitude inconditionnelle et parfaite.
22
Le matin du dernier jour, Herve Joncour sortit de sa maison et se mit a errer a travers le village. Il croisait des hommes qui s’inclinaient sur son passage et des femmes qui, en baissant les yeux, lui souriaient. Il comprit qu’il etait arrive non loin de la demeure d’Hara Kei quand il vit une immense voliere qui abritait un nombre incroyable d’oiseaux, de toutes sortes : un spectacle. Hara Kei lui avait raconte qu’il les faisait venir de tous les endroits du monde. Quelques-uns d’entre eux valaient plus que toute la soie produite par Lavilledieu en une annee. Herve Joncour s’arreta pour regarder cette folie magnifique. Il se souvint d’avoir lu dans un livre que les Orientaux, pour honorer la fidelite de leurs maitresses, n’avaient pas coutume de leur offrir des bijoux mais des oiseaux raffines, et superbes.
La demeure d’Hara Kei semblait noyee dans un lac de silence. Herve Joncour s’approcha et s’arreta a quelques metres de l’entree. Il n’y avait pas de portes, et sur les murs de papier apparaissaient et disparaissaient des ombres qui derriere elles ne semaient aucun bruit. Ca ne ressemblait pas a la vie : s’il y avait un nom pour tout ceci, c’etait : theatre. Sans savoir quoi, Herve Joncour s’arreta pour attendre : immobile, debout, a quelques metres de la maison. Pendant tout le temps qu’il laissa au destin, les ombres et le silence furent tout ce qui filtra de cette scene singuliere. Alors il tourna le dos et se remit a marcher, d’un pas rapide, vers chez lui. La tete penchee, il regardait ses pas, s’aidant ainsi a ne pas penser.
23
Le soir, Herve Joncour prepara