— Parce que vous m’avez donne l’exemple ... Je vous suivrai partout ... pour construire mon Epsilon du Toucan sur notre Terre.
— Et vous reviendrez avec moi dans le Grand Monde ?
— Oui.
Mven Mas se retourna pour’nager plus loin et poussa un cri de surprise : la limpidite de l’eau qui lui avait joue un mauvais tour s’etait encore accrue a cette distance considerable du rivage. Lui et Tchara semblaient planer a une hauteur vertigineuse, au-dessus du fond, visible dans ses moindres details a travers des flots aussi transparents que l’air. L’audace triomphante de ceux qui depassaient les limites de l’attraction terrestre s’empara de Mven Mas. Les vols en pleine tempete sur l’ocean et les bonds dans l’abime noir du Cosmos a partir des satellites artificiels provoquaient les memes sensations de temerite sans bornes et de succes absolu. L’Africain se rapprocha vivement de Tchara, murmurant son nom et lisant une ardente reponse dans ses yeux clairs et hardis. Leurs mains et leurs levres se joignirent au-dessus du gouffre cristallin.
Le Conseil d’Astronautique, de meme que le Conseil de l’Economie, cerveau de la planete, disposait d’un batiment a part pour ses reunions scientifiques. On estimait qu’un local amenage et decore specialement a cet effet devait orienter toute l’assistance vers les problemes du Cosmos et favoriser la transition rapide des affaires terrestres aux questions stellaires.
Tchara Nandi n’avait jamais ete dans la grande salle du Conseil. Elle entra tout emue, en compagnie d’Eyda Nal, dans l’etrange amphitheatre oblong dont la voute et lensemble des gradins avaient la forme d’un paraboloide. La lumiere, vive et diaphane, semblait emise par un astre plus brillant que le soleil. Les lignes des murs, de la voute et des gradins se rejoignaient au fond de la vaste salle, comme si c’etait leur point de convergence naturelle. La, sur une estrade, il y avait les ecrans de demonstration, la tribune et les sieges des membres du Conseil qui presidaient la reunion.
Les panneaux des murs couleur d’or mat encadraient des cartes planetaires en relief. A droite, se trouvaient les cartes des planetes du systeme solaire ; a gauche, celles des planetes d’etoiles proches, etudiees par les expeditions du Conseil. Plus haut, sous la retombee bleu ciel de la voute, s’alignaient des schemas phosphorescents de systemes stellaires habites, qu’on avait recus de mondes voisins par le Grand Anneau.
L’attention de Tchara fut attiree par un tableau noirci et sans doute restaure a maintes reprises, qui surmontait la tribune. Un ciel violet sombre occupait toute la partie superieure de l’immense toile. Le croissant mince d’une lune inconnue eclairait de sa lueur blafarde la poupe dressee d’un astronef ancien qui se detachait violemment sur le couchant pourpre. Le sol se herissait de vilaines plantes bleues, seches et dures, d’aspect metallique. Un homme en scaphandre leger cheminait peniblement sur le sable. Il se retournait vers l’astronef brise et les cadavres de ses camarades. Les lunettes de son masque ne refletaient que le rouge du couchant, mais l’artiste avait reussi, par un procede mysterieux, a y rendre le desespoir infini de la solitude dans un monde etranger ... A droite, sur une dune basse, rampait un etre informe et repugnant. Le titre du tableau, Seul, etait aussi laconique qu’expressif.
Captivee par cette peinture, la jeune fille n’apprecia pas tout de suite l’ingeniosite de l’architecte qui avait dispose les gradins en eventail, de sorte qu’on pouvait acceder separement a chaque place par des galeries dissimulees sous l’amphitheatre.
Les rangs des sieges etaient isoles les uns des autres. Une fois assise a cote d’Evda, Tchara remarqua le style ancien des fauteuils, des pupitres et des barrieres en bois gris perle de l’Afrique. Personne ne se serait donne aujourd’hui tant de peine pour faconner ce qu’on pouvait mouler et polir en quelques minutes. Peut-etre par respect traditionnel de l’antiquite, Tchara trouva le bois plus intime et plus vivant que la matiere plastique. Elle caressa tendrement l’accoudoir incurve, sans cesser d’examiner la salle.
Il y avait, comme toujours, beaucoup de monde malgre les puissants appareils de television qui allaient diffuser a travers la planete toutes les peripeties de la seance. Mir Om, secretaire du Conseil, annoncait les nouvelles breves qui s’etaient amassees depuis la derniere reunion. Parmi les centaines d’auditeurs, on n’apercevait pas un visage distrait. L’attention constituait le trait caracteristique des hommes du Grand Anneau. Mais Tchara n’entendit pas la premiere information, occupee qu’elle etait a regarder la salle et a lire les aphorismes des savants celebres inscrits sous les cartes de planetes. Elle gouta surtout l’appel trace au-dessous de Jupiter : Voyez tous ces faits incomprehensibles qui nous entourent, qui sautent aux yeux et crient a nos oreilles, cependant que nous restons aveugles et sourds aux grandes decouvertes qu’ils recelent. Et plus loin, a gauche, cette autre inscription : On ne peut soulever simplement le voile de l’inconnu, c’est apres un travail opiniatre, apres des reculs et des deviations, que nous commencons a saisir le sens veritable des choses et que des perspectives immenses s’ouvrent a nous. N’eludez jamais ce qui semble a premiere vue inutile, inexplicable.
Un mouvement a la tribune, la lumiere baissa. La voix calme du secretaire tressaillit d’emotion.
— Vous allez voir ce qui paraissait recemment impossible : un cliche montrant l’aspect exterieur de notre Galaxie. Il y a plus de cent cinquante millenaires, une minute et demie du temps galactique, les habitants du systeme planetaire (vint une serie de chiffres qui ne disaient rien a Tchara) de la constellation du Centaure s’adresserent aux habitants /lu Grand Nuage, le seul systeme stellaire voisin situe en dehors de la Galaxie, dont nous sachions qu’il contient des mondes pensants, capables de communiquer avec notre Galaxie par l’Anneau. Nous ne pouvons pas encore situer exactement ce systeme planetaire du Nuage, mais nous avons recu, nous aussi, leur cliche de la Galaxie. Le voila !
Le vaste ecran renvoya la clarte d’argent d’un large amas d’etoiles, retreci aux deux bouts. Les tenebres profondes de l’espace noyaient les bords de l’ecran. Un noir aussi opaque remplissait les intervalles des spires, des branches echevelees a leurs extremites. L’anneau des amas spheriques, doyens des systemes planetaires de notre Univers, s’aureolait d’un nimbe pale. Les champs stellaires plats alternaient avec des nuages et des bandes sombres de matiere refroidie. Le cliche avait ete pris sous un angle inexpressif : la Galaxie se presentait de biais et par en dessus, de sorte que le noyau central se voyait a peine} masse lumineuse convexe au milieu de l’etroite lentille. Pour avoir une idee plus complete de notre systeme stellaire, il fallait sans doute solliciter des galaxies plus lointaines, situees plus haut suivant la latitude galactique. Mais aucune d’entre elles n’avait donne signe de vie depuis l’existence du Grand Anneau.
Les nommes de la Terre ne detachaient pas les yeux de l’ecran. C’etait la premiere fois qu’on avait la possibilite de regarder son propre Univers de l’exterieur, a une distance formidable.
Tchara eut l’impression que toute la planete retenait son souffle, examinant sa Galaxie dans les millions de televiseurs des terres et des mers, partout ou il y avait des ilots de vie et de travail humains.
— C’est tout pour les nouvelles inedites de l’Anneau recues par notre observatoire, reprit le secretaire. Passons maintenant aux projets a debattre en public.