Ou des ravins creusaient un farouche entonnoir,
Dans un de ces endroits ou sous l’herbe et la ronce
Le chemin disparait et le ruisseau s’enfonce,
Je vis, parmi les gres, les houx, les sauvageons,
Fumer un toit bati de chaumes et de joncs.
La fumee avait peine a monter dans les branches;
Les fenetres etaient les crevasses des planches;
On eut dit que les rocs cachaient avec ennui
Ce logis tremblant, triste, humble; et que c’etait lui
Que les petits oiseaux, sous le hetre et l’erable,
Plaignaient, tant il etait chetif et miserable!
Pensif, dans les buissons j’en cherchais le sentier.
Comme je regardais ce chaume, un muletier
Passa, chantant, fouettant quelques betes de somme.
«Qui donc demeure la?» demandai-je a cet homme.
L’homme, tout en chantant, me dit: «Un malheureux.»
J’allai vers la masure au fond du ravin creux;
Un arbre, de sa branche ou brillait une goutte,
Sembla se faire un doigt pour m’en montrer la route,
Et le vent m’en ouvrit la porte; et j’y trouvai
Un vieux, vetu de bure, assis sur un pave.
Ce vieillard, pres d’un atre ou sechaient quelques toiles,
Dans ce bouge aux passants ouvert, comme aux etoiles,
Vivait, seul jour et nuit, sans cloture, sans chien,
Sans clef; la pauvrete garde ceux qui n’ont rien.
J’entrai; le vieux soupait d’un peu d’eau, d’une pomme;
Sans pain; et je me mis a plaindre ce pauvre homme.
– Comment pouvait-il vivre ainsi? Qu’il etait dur
De n’avoir meme pas un volet a son mur;
L’hiver doit etre affreux dans ce lieu solitaire;
Et pas meme un grabat! il couchait donc a terre?
La! sur ce tas de paille, et dans ce coin etroit!
Vous devez etre mal, vous devez avoir froid,
Bon pere, et c’est un sort bien triste que le votre!
«- Fils», dit-il doucement, «allez en plaindre un autre.
«Je suis dans ces grands bois et sous le ciel vermeil,
«Et je n’ai pas de lit, fils, mais j’ai le sommeil.
«Quand l’aube luit pour moi, quand je regarde vivre
«Toute cette foret dont la senteur m’enivre,
«Ces sources et ces fleurs, je n’ai pas de raison
«De me plaindre, je suis le fils de la maison.
«Je n’ai point fait de mal. Calme, avec l’indigence
«Et les haillons, je vis en bonne intelligence,
«Et je fais bon menage avec Dieu mon voisin.
«Je le sens pres de moi dans le nid, dans l’essaim,
«Dans les arbres profonds ou parle une voix douce,
«Dans l’azur ou la vie a chaque instant nous pousse,
«Et dans cette ombre vaste et sainte ou je suis ne.
«Je ne demande a Dieu rien de trop, car je n’ai
«Pas grande ambition, et, pourvu que j’atteigne
«Jusqu’a la branche ou pend la mure ou la chataigne,
«Il est content de moi, je suis content de lui.
«Je suis heureux.»
J’etais jadis, comme aujourd’hui,
Le passant qui regarde en bas, l’homme des songes.
Mes enfants, a travers les brumes, les mensonges,
Les lueurs des tombeaux, les spectres des chevets,
Les apparences d’ombre et de clarte, je vais
Meditant, et toujours un instinct me ramene
A connaitre le fond de la souffrance humaine.
L’abime des douleurs m’attire. D’autres sont
Les sondeurs fremissants de l’ocean profond;
Ils fouillent, vent des cieux, l’onde que tu balaies;
Ils plongent dans les mers; je plonge dans les plaies.
Leur gouffre est effrayant, mais pas plus que le mien.
Je descends plus bas qu’eux, ne leur enviant rien,
Sachant qu’a tout chercheur Dieu garde une largesse,
Content s’ils ont la perle et si j’ai la sagesse.
Or, il semble, a qui voit tout ce gouffre en revant,
Que les justes, parmi la nuee et le vent,
Sont un vol frissonnant d’aigles et de colombes.
J’ai souvent, a genoux que je suis sur les tombes,
La grande vision du sort; et par moment
Le destin m’apparait, ainsi qu’un firmament
Ou l’on verrait, au lieu des etoiles, des ames.
Tout ce qu’on nomme angoisse, adversite, les flammes,
Les brasiers, les billots, bien souvent tout cela
Dans mon noir crepuscule, enfants, etincela.
J’ai vu, dans cette obscure et morne transparence,
Passer l’homme de Rome et l’homme de Florence,
Caton au manteau blanc, et Dante au fier sourcil,
L’un ayant le poignard au flanc, l’autre l’exil;
Caton etait joyeux et Dante etait tranquille.
J’ai vu Jeanne au poteau qu’on brulait dans la ville,
Et j’ai dit: Jeanne d’Arc, ton noir bucher fumant
A moins de flamboiement que de rayonnement.
J’ai vu Campanella songer dans la torture,
Et faire a sa pensee une apre nourriture
Des chevalets, des crocs, des pinces, des rechauds,
Et de l’horreur qui flotte au plafond des cachots.
J’ai vu Thomas Morus, Lavoisier, Loiserolle,
Jane Grey, bouche ouverte ainsi qu’une corolle,
Toi, Charlotte Corday, vous, madame Roland,